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Ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne et droit à l’aide sociale

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 4 novembre 2022, R.G. 2021/AL/261

Mis en ligne le lundi 7 août 2023


Cour du travail de Liège (division Liège), 4 novembre 2022, R.G. 2021/AL/261

Terra Laboris

Dans un arrêt du 4 novembre 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle qu’un ressortissant d’un Etat de l’Union européenne qui n’a pas la qualité de travailleur n’ouvre pas en principe de droit à l’aide sociale durant les trois premiers mois du séjour, ceux qui ont conservé cette qualité et les membres de leur famille pouvant solliciter une telle aide.

Les faits

Un citoyen français, qui n’est pas en séjour légal sur le territoire belge, est atteint de graves affections d’ordre psychiatrique et présente une pathologie sévère, ayant par ailleurs justifié la désignation d’un administrateur de biens.

Celui-ci a introduit une procédure contre le C.P.A.S. dont relève l’intéressé, pour la prise en charge de frais d’hôpital. Le C.P.A.S. a en effet accepté la grande majorité des factures adressées par l’institut de soins spécialisés où il est hospitalisé, prise en charge intervenue dans le cadre de l’aide médicale urgente. Il a cependant refusé certains postes (frais de transport en ambulance, frais « de tutelle », « visites médicales », « forfait linge » et « kits hygiène »). Le C.P.A.S. s’est opposé à cette prise en charge, invoquant une convention le liant avec l’institution.

Le recours, introduit devant le Tribunal du travail de Liège (division Verviers), est rejeté.

Appel est interjeté.

Position des parties devant la cour

L’administrateur de biens sollicite le paiement d’une aide sociale équivalente au revenu d’intégration sociale au taux isolé, avec comme mesure avant dire droit la désignation d’un expert. Il demande en outre la condamnation du C.P.A.S. à la prise en charge de l’intégralité des factures, en ce compris les frais divers ci-dessus.

Quant au C.P.A.S., il sollicite la confirmation du jugement et, subsidiairement, au cas où une expertise serait décidée, il demande qu’elle soit limitée à une expertise simplifiée.

L’arrêt de la cour du 22 mars 2022

La cour a rendu un premier arrêt (arrêt avant dire droit) le 22 mars 2022.

Les parties ont été invitées à reprendre des conclusions sur des questions de fond et l’affaire a été plaidée le 7 octobre 2022. A cette audience, le ministère public a indiqué qu’il estimait que l’appel devait être rejeté.

L’arrêt de la cour du 4 novembre 2022

La cour statue en premier lieu sur la demande de la partie appelante de bénéficier de l’article 21 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (droit à la libre circulation et au séjour) ainsi que de l’article 18 de celui-ci (interdiction de discrimination en raison de la nationalité).

La cour rappelle qu’en droit belge, une loi du 19 janvier 2012 a transposé l’article 24, § 2, de la Directive n° 2004/38/CE du 29 avril 2004, qui permet à l’Etat membre d’accueil de ne pas accorder le droit à une prestation d’assistance sociale pendant les trois premiers mois du séjour ou, le cas échéant, pendant une période plus longue (étant celle prévue à l’article 14, § 4, b), du même texte), non plus que d’octroyer, avant l’acquisition du droit de séjour permanent, des aides d’entretien aux études à des personnes autres que les travailleurs (salariés ou non-salariés ainsi que les personnes qui gardent ce statut et les membres de leur famille).

La Cour constitutionnelle a annulé partiellement le 30 juin 2014 l’article 57quinquies de la loi du 8 juillet 1976 sur son champ d’application matériel, qui visait les ressortissants des Etats membres ayant ou ayant conservé le statut de travailleur salarié ainsi que les membres de leur famille en séjour légal sur le territoire, un second motif d’annulation étant retenu, à savoir que le texte permettait au C.P.A.S. de refuser l’aide sociale médicale urgente à ces ressortissants durant les trois premiers mois de séjour. Cependant, le principe du refus de l’octroi de prestations sociales aux ressortissants européens n’ayant pas la qualité de travailleur n’a pas été remis en cause pour la période préalable à l’obtention d’un titre de séjour.

La cour déduit des éléments de fait que l’intéressé, qui est ressortissant d’un pays de l’Union européenne, n’a cependant pas la qualité de travailleur et n’ouvre pas en principe le droit à l’aide sociale.

Elle examine ensuite s’il y a en l’espèce impossibilité médicale de retour et conclut que tel n’est pas le cas. Tout en précisant ne pas « minimiser la grande détresse » dans laquelle se trouve l’intéressé, apparemment totalement livré à lui-même dans un contexte médical très sévère, la cour passe en revue les éléments du dossier qui ne permettent pas de conclure à ladite impossibilité (le transport vers la France restant médicalement possible et les soins adéquats et accessibles existant dans cet Etat). La cour conclut également qu’il ne peut y avoir de force majeure de nature plus administrative, dans la mesure où des contacts restent maintenus avec la famille et avec l’ambassade française. Le C.P.A.S. ne peut dès lors être condamné à octroyer une aide sociale financière à ce ressortissant, dont les autorités sont parfaitement à-mêmes de prendre soin.

Elle examine encore la question de l’aide médicale urgente, au regard de l’article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976. Le C.P.A.S. faisant valoir qu’il est tenu par la nomenclature I.N.A.M.I., la cour rejette cet argument, les impératifs budgétaires ou les modalités de remboursement de l’aide sociale ne pouvant être pris en compte pour l’examen du droit d’un demandeur d’aide médicale urgente. Ce critère n’est pas lié à la nomenclature I.N.A.M.I. (la cour renvoyant à C. trav. Liège, div. Liège, 16 juin 2020, R.G. 2019/AL/590). Elle rappelle que l’aide médicale urgente est soumise à deux conditions, étant d’une part la nécessité de celle-ci et d’autre part le fait que l’étranger est dans une situation de besoin qui ne lui permet pas de financer cette aide.

L’appréciation du caractère urgent est du ressort du corps médical et ni l’Etat ni le C.P.A.S. ne peuvent en principe procéder à un contrôle de l’opportunité des soins. Cette aide, si elle peut être prestée de manière ambulatoire ou dans un établissement de soins et peut couvrir des soins de nature tant préventive que curative, doit être exclusivement médicale et ne peut couvrir une autre aide sociale en nature.

La cour examine dès lors poste par poste les autres éléments de la demande de prise en charge. La question des transferts entre hôpitaux concerne l’aide médicale urgente, ainsi que les frais de « visites médicales », les « forfaits linge » et les « kits hygiène ». Elle rejette toutefois les frais « de tutelle », dont la nature médicale n’est pas avérée.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Liège (division Liège) a rappelé l’enseignement de la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 30 juin 2014 (arrêt n° 95/2014, rendu sur des recours en annulation partielle de la loi du 19 janvier 2012 modifiant la législation concernant l’accueil des demandeurs d’asile).

Le recours introduit reprochait à la disposition critiquée de supprimer le droit à l’aide sociale, en ce compris le droit à l’aide médicale urgente, pour les ressortissants des Etats membres de l’Union européenne (ainsi qu’aux membres de leur famille) pendant les trois premiers mois de leur séjour, ainsi que pour les ressortissants de ces mêmes Etats venus sur le territoire belge en vue d’y chercher un emploi (ainsi que les membres de leur famille) pendant toute la durée de leur recherche d’emploi. Il était également prévu par le texte critiqué de supprimer les aides d’entretien pour les ressortissants des Etats membres de l’Union européenne jusqu’à l’obtention d’un droit de séjour permanent.

La Cour constitutionnelle a rappelé d’une part que le législateur avait recherché un équilibre entre la libre circulation des personnes sur le territoire de l’Union et la possibilité de pouvoir continuer à financer les régimes sociaux et d’autre part que l’article 23 de la Constitution impose que chacun puisse mener une vie conforme à la dignité humaine.

Elle a confirmé le principe de l’obligation de standstill contenue à cet article 23 de la Constitution et précisé qu’en matière sociale, cette disposition interdit au législateur compétent de réduire significativement le niveau de protection sans qu’existent pour ce faire des motifs d’intérêt général. Ne constitue pas un tel motif celui qui se fonde sur la transposition d’une directive, dès lors que celle-ci n’est pas conforme à son prescrit et à l’interprétation y donnée par la Cour de Justice. Elle a repris les décisions de la Cour de Justice rendues sur l’article 24 de la Directive.

L’arrêt conclut à l’absence de compatibilité de la disposition attaquée avec les articles 10, 11 et 23 de la Constitution, combinés avec l’article 24 de la Directive. Elle a par conséquent annulé l’article 12 de la loi en ce qu’il s’appliquait aux citoyens de l’Union non belges qui ont ou ont conservé le statut de travailleur (ainsi qu’aux membres de leur famille qui séjournent légalement sur le territoire).

Relevons que la Cour constitutionnelle a encore réservé de longs développements à la question de l’aide sociale aux demandeurs d’emploi pour la période pendant laquelle ils recherchent un emploi en Belgique.


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