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Qui, dans l’entreprise, la femme enceinte doit-elle informer de son état de grossesse ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 17 janvier 2023, R.G. 2021/AB/808

Mis en ligne le vendredi 18 août 2023


Cour du travail de Bruxelles, 17 janvier 2023, R.G. 2021/AB/808

Terra Laboris

Dans un arrêt du 17 janvier 2023, la Cour du travail de Bruxelles précise la notion d’employeur au sens de l’article 40 de la loi du 16 mars 1971 : il s’agit de toute personne dans l’entreprise investie du pouvoir d’autorité et que la travailleuse peut légitimement considérer comme celle devant être informée de la grossesse.

Les faits

Une employée, engagée dans un commerce de détail indépendant (C.P. n° 201), entre en service le 20 septembre 2019, avec un contrat à durée indéterminée à temps partiel. La société exploite des magasins de vêtements. Le 6 décembre 2019, la fin de la relation de travail lui est communiquée verbalement par un des deux gérants, ce qui intervient en présence d’une collègue. Une lettre recommandée de confirmation lui est envoyée le même jour et un préavis d’une semaine est prévu. Après l’entretien, l’intéressée quitte le magasin et fait parvenir un certificat médical pour une période de deux semaines. Quelques jours après la fin de la période d’incapacité de travail, une nouvelle lettre recommandée lui est adressée, constatant la rupture du contrat sur le champ, le solde du préavis devant être converti en paiement d’une indemnité.

Plusieurs courriers sont adressés par l’organisation syndicale de l’intéressée, mais sans succès. Il est notamment constaté que les documents sociaux n’ont pas été adressés et que le paiement n’est pas intervenu. Est également réclamé le paiement d’un jour férié. Se pose encore la question du licenciement pendant une période de protection de maternité.

Un des deux gérants réagit, contestant avoir jamais été informé de l’état de grossesse avant le licenciement. Il donne comme explication à celui-ci des raisons financières, étant une diminution du chiffre d’affaires de 20% par rapport à la même période l’année précédente. Le syndicat répond qu’au moment de son licenciement, l’intéressée était enceinte depuis quatre mois et demi et qu’elle produisait un échange de SMS avec la responsable du magasin, dont il ressortait que celle-ci était au courant de la grossesse bien avant la rupture, l’intéressée étant en conséquence protégée contre le licenciement.

Un autre « représentant » de la société répond à l’organisation syndicale, mettant en avant une absence de trois semaines et contestant également que le gérant ait été au courant de l’état de grossesse. Il considère que, si l’intéressée fait état d’une conversation à ce sujet entre deux collègues, il n’aurait cependant pas été tenu au courant. Il maintient comme motif des raisons financières auxquelles il était fait face par le licenciement de l’intéressée, celui d’une vendeuse prestant à temps plein ne pouvant être envisagé pour des raisons d’horaires et la vendeuse licenciée ayant été la dernière engagée.

En fin de compte, une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Louvain et, par jugement du 5 août 2021, celui-ci la rejette en totalité.

L’employée interjette appel, sollicitant une indemnité de protection, ainsi qu’une indemnité pour abus de droit et une dernière pour préjudice moral.

La décision de la cour

La cour du travail fait, dans son rappel des principes sur la question de l’indemnité de protection prévue à l’article 40 de la loi sur le travail, des développements importants.

Après le rappel de la disposition légale ainsi que de la période de protection, la cour expose la question de la charge de la preuve en la matière. Il appartient à la travailleuse de prouver qu’elle a informé son employeur de sa grossesse. A cet égard, celle-ci produit trois déclarations de collègues, à propos desquelles la cour fait en préambule un rappel en droit eu égard au prescrit des articles 961/1 et suivants du Code judiciaire.

Est particulièrement pointé un SMS explicite et antérieur au licenciement. La cour en retient que la question de la grossesse a été évoquée ouvertement et que le nombre d’employés dans la société était assez limité, le gérant venant par ailleurs plusieurs fois par semaine. La cour en déduit qu’il était nécessairement au courant de la grossesse de l’intéressée.

Se pose, cependant, pour la cour, la question de déterminer qui la loi vise en qualité d’employeur à l’article 40. Ceci n’est pas précisé dans le texte, ni dans aucune autre disposition. La cour donne son interprétation, étant que l’employeur au sens de cet article est la personne qui, dans l’entreprise, est investie d’un pouvoir d’autorité patronale et dont la travailleuse peut raisonnablement comprendre qu’elle est la personne à informer de sa grossesse, et ce sur la base des usages valant en interne ou de l’apparence donnée.

La cour renvoie, en appui à cette interprétation, à un arrêt de la Cour du travail d’Anvers (C. trav. Anvers, 7 avril 2003, Chron.D.S., 2004, p. 84). Ce n’est pas parce que le gérant est le représentant fixe de la société et qu’il signe les contrats de travail ou les lettres de licenciement qu’il doit être considéré comme étant la seule personne ayant la qualité d’employeur au sens de la disposition. En l’espèce, la gérante du magasin peut être considérée comme l’employeur. Elle était investie d’un pouvoir d’autorité dans l’entreprise et il s’avère qu’elle était incontestablement au courant de la grossesse avant la licenciement. Raisonnablement, l’intéressée a également pu considérer celle-ci comme étant la personne qui devait être informée de son état.

La cour conclut dès lors que le licenciement est intervenu pendant une période où la travailleuse était protégée.

Elle examine en conséquence si l’employeur apporte la preuve de ce que le licenciement est intervenu pour des motifs étrangers à l’état physique résultant de la grossesse. Elle rappelle sur ce point que l’employeur doit établir la réalité du motif, soit, en d’autres termes, son existence et qu’il doit également prouver le lien de causalité entre le (ou les) motif(s) qui serai(en)t établi(s) et le licenciement de la travailleuse. Ceci signifie qu’il doit prouver que les motifs invoqués sont la cause déterminante du licenciement lui-même.

En l’espèce, étant invoquée une situation économique qui impliquait de prendre des mesures, la cour examine la réalité de celle-ci, constatant que les charges ont augmenté du fait de l’ouverture d’un nouveau magasin à Anvers, décision prise avant le licenciement. La société exposant que les charges de personnel devaient être payées par la société-mère et que des dettes existaient vis-à-vis de fournisseurs, la cour entreprend de vérifier si ces difficultés existaient et si elles devaient entraîner le licenciement de l’intéressée. L’employeur dépose à cet égard deux courriels de son comptable, que la cour retient comme peu probants quant au fait à prouver. Qu’une réduction du personnel ait par ailleurs dû intervenir deux ans plus tard n’est pas davantage retenu comme significatif pour conclure à l’existence de motifs économiques en 2019.

En outre, la cour précise que, même à supposer que de telles difficultés soient en fin de compte établies, la société n’expose pas en quoi ces motifs sont la cause déterminante du licenciement de cette travailleuse-là. Le fait que l’employée ait été la dernière engagée ne suffit pas, la cour exigeant que soit prouvé que le licenciement était la seule possibilité sur le plan organisationnel, ce qui n’est pas établi. La preuve légale n’étant pas apportée, l’indemnité est due.

La suite de l’arrêt est consacrée à une indemnité pour abus de droit, qui est rejetée, l’employée n’apportant pas la preuve d’un préjudice moral ou matériel spécial. La cour rejette également une demande de régularisation de rémunération ainsi que d’indemnité pour préjudice moral, celle-ci n’étant pas autrement étayée.

Intérêt de la décision

La protection de la maternité a été fixée dans la loi sur le travail du 16 mars 1971. C’est une des premières protections spéciales contre le licenciement. Elle a ainsi plus de cinquante ans dans le système législatif belge.

La disposition légale est claire sur la période de protection, sur les actes interdits à l’employeur (étant visés les actes préparatoires au licenciement et non seulement celui-ci – voir C.J.U.E., 11 octobre 2007, Aff. n° C-460/06, PAQUAY c/ SOCIÉTÉ D’ARCHITECTES HOET et MINNE SPRL, EU:C:2007:601), mais est laconique sur certains points, dont ce qu’il faut entendre par « employeur » au sens de ce texte. Pour rappel, celui-ci dispose que, sauf pour des motifs étrangers à l’état physique résultant de la grossesse ou de l’accouchement, l’employeur qui occupe une travailleuse enceinte ne peut faire un acte tendant à mettre fin unilatéralement à la relation de travail à partir du moment où il a été informé de l’état de grossesse jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois prenant cours à la fin du congé postnatal, et en ce incluse la période de huit semaines durant laquelle la travailleuse doit prendre, le cas échéant, ses jours de congé de repos postnatal (alinéa 1er). La charge de la preuve de ces motifs incombe à l’employeur (alinéa 2, 1re phrase).

La décision de la Cour du travail de Bruxelles du 17 janvier 2023 commentée est importante sur la définition de celui-ci au sens tout particulier de la disposition. Il s’agit de toute personne investie d’un pouvoir d’autorité dans l’entreprise et qui est celle qui, pour la travailleuse, peut raisonnablement être comprise comme la personne à informer, que ce soit sur la base de l’usage dans l’entreprise ou en application de la théorie de l’apparence.

La travailleuse doit apporter la preuve qu’elle a informé l’employeur de sa grossesse, preuve qui peut être rapportée par toute voie de droit. Ici, sont pris en compte des SMS tout à fait explicites échangés entre l’employée licenciée et la cheffe du magasin où elle prestait.

Rappelons encore que, sur la notion de licenciement, la loi du 7 octobre 2022 transposant partiellement la Directive (UE) n° 2019/1158 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 concernant l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et des aidants et abrogeant la Directive n° 2010/18/UE du Conseil et réglementant certains autres aspects relatifs au congé, a modifié l’article 40, le complétant de l’alinéa suivant : pour l’application du présent article, est assimilé à un licenciement par l’employeur pendant la période de protection, tel que visé à l’alinéa 1er, tout acte de l’employeur à l’issue de cette période qui tend à mettre fin unilatéralement à la relation de travail et pour lequel des mesures préparatoires ont été prises durant cette période. Par la prise de mesures préparatoires, on entend également le fait de prendre la décision de licencier.


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