Commentaire de C. trav. Bruxelles, 20 février 2023, R.G. 2021/AB/28
Mis en ligne le vendredi 18 août 2023
Cour du travail de Bruxelles, 20 février 2023, R.G. 2021/AB/28
Terra Laboris
Dans un arrêt du 20 février 2023, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que l’exercice d’une activité (rémunérée ou non) pendant une période d’incapacité de travail n’est pas nécessairement constitutive de motif grave.
Les faits
Une société active dans le commerce de détail de matériaux de construction et d’articles de bricolage a engagé un ouvrier magasinier en 2013. Celui-ci était chargé de la réception des marchandises, de la préparation des commandes et, ponctuellement, de leur chargement.
L’intéressé était, à côté de son activité professionnelle, passionné de fitness et organisait un festival annuel de cette discipline depuis 2011, activité dont la société avait été informée et qu’elle avait même sponsorisée en 2016.
Fin 2017, le travailleur fut victime d’un accident du travail (fracture du médius gauche), entraînant une incapacité de travail jusqu’au 31 janvier 2018. Fin janvier, lors de l’édition annuelle du festival, l’intéressé, en incapacité, prit en charge deux animations, l’une de quinze minutes d’échauffement et l’autre de trente minutes d’initiation à une pratique sportive spéciale (ultimate fight workout).
Il fut aussitôt licencié pour motif grave, l’employeur précisant les motifs dans un second courrier. Est essentiellement reprochée la participation à ce festival, au cours duquel il avait pratiqué des activités sportives « intenses », ainsi que le fait d’avoir chargé de grosses caisses de carton dans un véhicule, tous faits invoqués par l’employeur comme de nature à remettre en question la réalité de l’incapacité de travail. L’employeur souligne en outre que l’intéressé ne portait pas de bandage sur les photos de l’événement et que – la manifestation supposant toute une organisation – le travailleur avait profité de son incapacité de travail pour la préparer.
Un litige intervint, le travailleur contestant le motif grave et l’employeur maintenant son point de vue.
Dans le cadre de la procédure introduite devant le Tribunal du travail du Brabant wallon, procédure tendant à la condamnation de la société à une indemnité compensatoire de préavis, la société introduisit une demande reconventionnelle au titre de remboursement d’une rémunération indue ainsi que du solde d’une facture d’achat personnel.
Le jugement du tribunal
Par jugement du 29 septembre 2020, le tribunal du travail accueillit la demande du travailleur, après avoir constaté que l’objet de la demande reconventionnelle avait été satisfait en cours d’instance.
La société interjette appel.
Position des parties devant la cour
A titre principal, la société postule la réformation du jugement dans son intégralité et sollicite, à titre subsidiaire, des mesures d’instruction, étant d’une part des enquêtes et de l’autre la comparution personnelle des parties, visant encore, « le cas échéant », le serment.
Quant au travailleur, il postule la confirmation pure et simple du jugement.
La décision de la cour
La cour renvoie, au titre de textes et principes, à la loi du 3 juillet 1978, non seulement en son article 35, mais également en son article 17, 1°, qui impose au travailleur d’exécuter son travail avec soin, probité et conscience, au temps, au lieu et dans les conditions convenus.
Sur le plan de la faute grave, celle-ci est identifiée comme étant la remise en cause par l’employeur de la réalité de l’incapacité de travail.
La cour renvoie à la jurisprudence de la Cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 19 septembre 2017, J.L.M.B., 2019, p. 1605) pour une synthèse de la question. Un travailleur en incapacité de travail ne peut en règle exercer une activité (à titre lucratif ou non) d’une part parce qu’il est reconnu incapable de travailler et, de l’autre, parce qu’il bénéficie d’un salaire garanti à charge de son employeur (ou d’autres indemnités d’incapacité de travail en cas d’intervention de l’organisme assureur A.M.I.).
L’interdiction ci-dessus doit cependant être nuancée, la Cour du travail de Mons ayant expressément précisé que, dès lors que l’incapacité a été évaluée en relation avec le travail convenu, il est possible que le travailleur, tout en étant reconnu incapable d’effectuer son travail, puisse en exécuter un autre (lucratif ou non). Une activité réalisée pendant une période d’incapacité ne démontre dès lors pas forcément l’aptitude du travailleur à exercer le travail convenu.
Renvoi est fait à un ancien arrêt de la Cour de cassation (Cass., 8 février 1963, Pas., 1963, I, p. 653) ainsi qu’à un texte de doctrine (K. DELLA SELVA, « Exercice d’une activité professionnelle complémentaire pendant une période d’incapacité de travail : motif grave ou pas ? », A.E.B., 4, 17 janvier 2016, Kluwer, pp. 3 et s.).
Toujours dans le même arrêt de la Cour du travail de Mons, se trouve une énumération des caractéristiques exigées pour que l’activité exercée pendant une période d’incapacité soit constitutive de faute grave, étant que (i) elle doit violer une clause contractuelle, (ii) elle doit être de nature à retarder l’échéance de la guérison ou (iii) elle est par essence même révélatrice de l’absence de réalité de l’incapacité, s’agissant d’une fraude contractuelle ; ainsi si le travailleur exerce un travail identique à celui faisant l’objet du contrat. Un dernier critère est retenu, étant qu’il faut avoir égard à l’ampleur et à la similarité des activités.
D’autres décisions sont citées par la Cour du travail de Bruxelles, retenant deux des trois caractéristiques ci-dessus, étant que l’activité (i) nuit au rétablissement du travailleur et retarde sa reprise du travail ou (ii) qu’elle démontre l’absence de réalité de l’incapacité – ce que l’employeur doit prouver dès lors que le travailleur est couvert par un certificat médical. La cour rappelle encore que la possibilité de faire vérifier la réalité de l’incapacité de travail conformément à l’article 31, § 3, de la loi du 3 juillet 1978 existe pour l’employeur s’il doute de celle-ci.
Pour la cour, il n’y a pas lieu de raisonner autrement dans le cas d’une activité de loisir ou sportive dans le cadre de la vie privée.
A cet égard, elle renvoie à un arrêt particulièrement nuancé de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 23 novembre 2018, R.G. 2018/AB/832), qui a conclu que cet exercice ne contredit pas nécessairement la réalité de l’incapacité, vu que le critère est uniquement le travail convenu mais qu’elle peut même plutôt être de nature à favoriser la guérison, ainsi dans le cas d’une affection d’ordre psychologique, où la cour invite l’employeur a faire preuve de prudence, ceci ne figurant en principe pas sur le certificat médical.
La cour examine, dès lors, les éléments retenus par le tribunal, celui-ci ayant souligné que l’employeur n’avait pas fait contrôler l’incapacité de travail, de telle sorte que les certificats déposés font médicalement foi, de même que la circonstance que l’incapacité a continué à être indemnisée par l’assureur-loi pendant plusieurs semaines après la rupture. Le tribunal a également retenu que le travailleur a fait de la kinésithérapie (expliquant le retrait du bandage) et que son médecin a confirmé très rapidement après le licenciement que l’incapacité constatée n’empêchait pas l’intéressé de se déplacer ou d’accomplir certains exercices de fitness. Par ailleurs, la preuve de la mise en péril de la guérison n’est pas apportée, dans la mesure où le travailleur a été vu faisant des exercices de saut mais n’utilisant pas ses mains (sauf comme élément d’équilibre).
La cour confirme cette analyse, rejetant que l’incapacité de travail soit inexistante. Elle écarte en outre un point relevé par la société relatif à l’utilisation de son logo lors de la manifestation en cause.
Pour ce qui est de l’incapacité, elle retient que le choix de l’employeur de ne pas avoir fait procéder au contrôle médical lui appartient mais qu’il doit assumer celui-ci dans la mesure où c’est sur lui que repose la charge de la preuve du motif grave. La cour s’appuie sur les certificats médicaux produits, dont elle rappelle la valeur probante, renvoyant sur ce point à un arrêt de la Cour de cassation du 2 février 2009 (Cass., 2 février 2009, n° S.08.0127.N), selon lequel le juge apprécie souverainement en fait la valeur probante des certificats médicaux pour autant qu’ils ne violent pas la foi due à ces actes.
La cour constate par ailleurs que la mise en péril de la guérison ne figure pas parmi les motifs graves invoqués.
Enfin, pour ce qui est de l’utilisation de son logo, la société considérant que celle-ci est intervenue sans autorisation et qu’elle n’a même pas été approchée à cet égard, la cour retient que ceci a certes un caractère fautif mais n’est pas grave au point de justifier le licenciement sur le champ pour motif grave.
Sur la demande de mesures d’instruction, la cour la rejette, les faits proposés n’étant pour certains pas contestés et pour d’autres sans utilité pour la solution du litige.
Le jugement est dès lors confirmé en toutes ses dispositions.
Intérêt de la décision
L’exercice d’une activité pendant une période d’incapacité de travail a régulièrement fait l’objet de litiges eu égard à la possibilité de rompre le contrat pour motif grave de ce fait.
La Cour du travail de Bruxelles rappelle dans l’arrêt commenté la règle, étant qu’en principe le travailleur ne peut pas exercer une activité pendant cette période, que ce soit à titre lucratif ou non, l’interdiction visant toute activité, même sportive. Cette interdiction est cependant rapidement nuancée, eu égard à divers paramètres, puisqu’elle ne concerne que l’incapacité du travailleur par rapport au contrat de travail, étant que son état de maladie l’empêche de satisfaire à ses obligations contractuelles, qui sont ici essentiellement la prestation de travail.
La cour rappelle, par le renvoi à la jurisprudence de la Cour du travail de Mons ainsi que par celui à plusieurs arrêts de la Cour du travail de Bruxelles, les balises à retenir, étant qu’il s’agit – dans la problématique du motif grave – de relever que l’incapacité de travail est inexistante, étant que le travailleur a, par la remise des certificats médicaux d’incapacité, recouru à une fraude contractuelle, soit que l’activité en cause est susceptible de freiner la guérison du travailleur par une sollicitation prolongée des lésions.
Renvoi a été fait par la cour du travail à diverses décisions rendues et l’on peut ajouter, notamment, qu’ont été retenus comme constitutifs d’un motif grave le fait pour un ouvrier d’exercer pendant une période d’incapacité une activité similaire à celle du contrat, s’agissant de travaux de construction exécutés à un immeuble personnel (C. trav. Liège, 27 mars 2013, R.G. 2012/AL/57) ainsi que le fait pour un mécanicien en incapacité de travail (hernie discale et arthrose) de fournir des prestations dans le cadre de l’ouverture et de l’exploitation d’un commerce, même si celles-ci ne sont pas de la même nature que celles relevant de l’exercice de sa profession, mais sont susceptibles de retarder ou de compromettre sa guérison (Trib. trav. Hainaut, div. Charleroi, 2 décembre 2019, R.G. 17/3.212/A).