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Secteur bancaire : règles applicables en cas de licenciement

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 3 mai 2023, R.G. 2021/AB/147

Mis en ligne le vendredi 18 août 2023


Cour du travail de Bruxelles, 3 mai 2023, R.G. 2021/AB/147

Terra Laboris

Dans un arrêt du 3 mai 2023, la Cour du travail de Bruxelles reprend le champ d’application de la C.C.T. sectorielle dans le secteur bancaire relative à la stabilité d’emploi, qui ne couvre pas tous les travailleurs du secteur mais uniquement ceux visés dans une autre convention collective de travail sectorielle, datée du 3 juillet 2008 et relative au système de rémunération dans le secteur.

Les faits

Une employée du secteur bancaire est engagée en 2014, suite à un contact avec un chasseur de têtes, qui lui propose cet emploi. Elle l’accepte et quitte de ce fait l’emploi qu’elle occupait précédemment, et ce depuis trois ans. Elle est promue en 2017 et le contrat se déroule sans encombre jusqu’à l’annonce, en janvier 2019, d’un entretien pour le lendemain, entretien au cours duquel elle peut se faire assister d’un délégué syndical. L’intéressée répond, inquiète, aux fins de connaître le motif de cet entretien. Lors de celui-ci, le lendemain, deux représentants de la société lui signalent qu’elle est effectivement licenciée moyennant indemnité compensatoire de préavis de quinze semaines.

Le conseil de l’intéressée prend alors contact avec la banque, sollicitant le paiement d’autres montants (une indemnité complémentaire de préavis, une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable, une indemnité pour non-respect de la procédure de la C.C.T. du 2 juillet 2007 conclue au niveau du secteur, ainsi encore que d’un bonus).

Par jugement du 11 décembre 2020, le tribunal du travail condamne la société à payer l’indemnité de protection prévue dans le secteur bancaire et réserve à statuer pour ce qui est du montant définitif du bonus.

La banque interjette appel, demandant à titre principal le rejet de la demande de l’employée et déclinant des positions à titre subsidiaire quant à la limitation de montants auxquels elle serait condamnée.

L’intéressée forme appel incident sur les postes rejetés.

La décision de la cour

La cour passe en revue les divers chefs de demande, réservant les premiers développements de son arrêt à la question de l’indemnité compensatoire, sur laquelle existe une controverse entre les parties, s’agissant de préciser l’assiette de référence. Une discussion porte en effet sur l’avantage lié à l’usage privé du véhicule (pour lequel la cour retient un montant de 500 euros par mois), une indemnité de frais de représentation (pour laquelle l’intéressée reste en défaut d’établir qu’il s’agit de rémunération déguisée) et l’usage privé du GSM (pour lequel la cour retient 25 euros par mois).

La rémunération est réajustée – et, en l’occurrence, légèrement à la baisse, la banque ayant payé un peu plus et réclamant remboursement de la différence.

Vient ensuite l’examen du droit de l’employée à l’indemnité de protection du secteur bancaire. La cour rappelle le dispositif de la convention collective du 2 juillet 2007, dont l’objectif est d’assurer une sécurité d’emploi aux travailleurs auxquels elle s’applique.

La question est de déterminer si l’employée relève du champ d’application de cette C.C.T. (dont la cour rappelle qu’elle a été modifiée par une autre du 9 octobre 2009), dans la mesure où le texte prévoit que ses dispositions (§§ 2 et 3 de l’article 2) ne sont pas d’application (outre le cas du motif grave) aux membres du personnel qui n’entrent pas dans le champ d’application d’une autre convention collective du secteur, étant celle du 3 juillet 2008 relative au système de rémunération. La cour relève que le champ d’application de celle-ci est identique à celui de deux conventions précédentes, l’une du 23 septembre 1976 relative aux conditions de travail et de rémunération du personnel de cadre et l’autre du 17 février 1977 fixant les conditions de travail et de rémunération.

L’intéressée percevait, en l’espèce, une rémunération correspondant à une catégorie déterminée au sein de l’entreprise (catégorie 8), étant qu’elle était non barémisée et se trouvait, ainsi, exclue du champ d’application de la C.C.T. du 2 juillet 2007. L’employée considérant qu’il s’agit d’une discrimination, la cour appelle à la prudence, d’autant qu’il s’agirait d’une discrimination dont le motif n’est pas protégé par une base spécifique. Elle rappelle qu’une convention collective est le fruit d’un accord négocié, qui vise à obtenir un équilibre entre les droits et obligations des travailleurs et employeurs et qui transcende dès lors les intérêts individuels des travailleurs (renvoyant, en matière d’âge, à C.J.U.E., 6 décembre 2012, Aff. n° C-152/11, ODAR c/ BAXTER DEUTSCHLAND GmbH, EU:C:2012:772 et, sur le droit de négociation collective en tant que droit fondamental, à C.J.U.E., 12 octobre 2010, Aff. n° C-45/09, ROSENBLADT c/ OELLERKING GEBÄUDEREINIGUNGSGES mbH, EU:C:2010:601).

La cour retient que le critère d’exclusion des catégories de salaire 8 et suivants est objectif et raisonnable et ne constitue pas une discrimination contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution.

Sur le droit de l’intéressée à une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable, la cour se livre à un rappel en droit des règles de cette matière, en ce compris des règles de preuve au regard du nouveau Code civil (articles 8.1, 8.4, 8.5 et 8.28) et du Code judiciaire (article 961).

L’employée ayant été exclue du champ d’application de la C.C.T. sectorielle du 2 juillet 2007, elle peut prétendre au bénéfice de la C.C.T. n° 109. Elle n’a pas en l’espèce demandé la communication des motifs du licenciement, conformément à l’article 4 de celle-ci, et doit dès lors apporter la preuve d’éléments indiquant le caractère manifestement déraisonnable de la rupture. La question de la charge de la preuve est importante, pour la cour, car elle déterminera quelle partie succombe si, au terme de l’examen des arguments et pièces auquel elle procède, elle arrive à la conclusion qu’il existe un doute.

Cependant, la banque a donné certaines explications dans un courrier faisant suite à une lettre du conseil de l’intéressée, explications dont il ressortirait que l’employée ne répondait pas aux exigences de la fonction. Même s’il y a communication spontanée, le mécanisme de l’article 4 de la C.C.T. n° 109 n’étant pas respecté, la cour considère qu’il s’agit des motifs à prendre en considération. A l’appui de sa position, la banque dépose une attestation du supérieur hiérarchique direct de l’employée, étant une des deux personnes qui ont participé au processus de licenciement.

La cour déclare préférer à celle-ci les évaluations établies in tempore non suspecto, et ce pour les trois dernières années. Elle reprend ces évaluations, avec les commentaires faits à l’époque, et en conclut qu’elles sont toutes bonnes. Elle précise qu’aucun travailleur n’est parfait et que le manager doit toujours pousser son collaborateur à s’améliorer pour l’année suivante, n’étant ainsi pas anormal que soient pointés des éléments susceptibles d’amélioration. Aussi, l’attestation du supérieur hiérarchique rédigée huit mois après le licenciement doit-elle être prise « avec une certaine distance », vu qu’elle tend à noircir quelque peu l’appréciation du manager en donnant de l’importance à certains points.

Il résulte de cet examen que le licenciement est manifestement déraisonnable. Statuant sur le montant de l’indemnité, la cour le fixe à dix semaines, sur la base des éléments d’appréciation dont elle dispose.

Enfin, elle tranche la question du bonus réclamé. Sa conclusion est en défaveur de l’employée, la société ayant posé une condition de présence au moment du paiement. Elle retient qu’il ne s’agit pas d’une violation de l’article 20, 3°, de la loi du 3 juillet 1978, le choix fait par la banque de licencier moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis ne constituant pas la preuve d’une faute dans son chef.

Intérêt de la décision

Un premier point d’intérêt évident de cet arrêt est le champ d’application de la C.C.T. du 2 juillet 2007 élaborée au sein du secteur bancaire. La cour a rappelé qu’elle a été modifiée par un texte suivant, en date du 9 octobre 2009, et ce sur deux points : (i) renvoi exprès au champ d’application de la C.C.T. sectorielle du 3 juillet 2008 relative au système de rémunération dans le secteur bancaire et (ii) droit à l’indemnité en cas de motif grave non reconnu par le tribunal (« sauf si le tribunal juge ultérieurement qu’il ne s’agissait pas d’un motif grave »).

Etant exclue du champ d’application de la C.C.T. sectorielle, l’employée conserve ses droits dans le cadre de la C.C.T. n° 109. La cour rappelle sur cette question les règles en matière de charge de la preuve, précisant que celles-ci ont comme conséquence qu’en cas de doute – celui-ci devant profiter à la partie qui n’a pas cette charge –, l’employé qui n’a pas demandé à connaître les motifs du licenciement dans le respect de l’article 4 de la C.C.T. peut échouer dans sa demande, ne rapportant pas la preuve qui lui incombe.

L’on notera enfin que la cour admet que des explications données par l’ex-employeur dans un courrier suite au licenciement peuvent valoir communication spontanée des motifs concrets de licenciement et qu’il ne convient pas d’y en ajouter d’autres.


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