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Prestation d’un préavis nul : conséquences

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 7 février 2023, R.G. 2019/AB/599

Mis en ligne le vendredi 18 août 2023


Cour du travail de Bruxelles, 7 février 2023, R.G. 2019/AB/599

Terra Laboris

Dans un arrêt du 7 février 2023, la Cour du travail de Bruxelles rappelle qu’en présence d’un préavis nul, les parties ne s’étant pas rendu compte de ladite nullité, l’on ne peut considérer que la poursuite des prestations de travail implique la renonciation au droit d’invoquer le caractère immédiat du congé

Rétroactes

Une ex-employée d’une maison de repos a introduit une procédure contre la société qui l’employait (ainsi que la gérante en nom personnel) en paiement de diverses sommes. La procédure concerne, pour une partie importante de celles-ci, également une ancienne collègue.

Une question se pose spécifiquement pour l’une des deux licenciées, étant de déterminer son droit à une indemnité compensatoire de préavis. La société lui a en effet remis un écrit mettant fin au contrat de travail moyennant prestation d’un préavis de neuf mois. Cependant, cette notification s’est faite uniquement de la main à la main et il y a violation de l’article 37 de la loi du 3 juillet 1978, le préavis notifié de la main à la main étant nul de nullité absolue.

Une procédure a été introduite devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, qui a statué par jugement du 24 juin 2019, disant les demandes recevables et en grande partie fondées.

Pour ce qui est de la demande d’indemnité compensatoire de préavis, le tribunal l’a déclarée fondée et a alloué le montant correspondant.

La société et la gérante interjettent appel, cette dernière étant condamnée solidairement pour ce qui est de certains postes (s’agissant des chefs de demande constituant également des infractions pénales, l’indemnité compensatoire de préavis n’étant de ce fait pas visée par cette condamnation solidaire).

La décision de la cour

La cour examine l’ensemble des chefs de demande, réservant des considérations particulières à la question du préavis.

Elle rappelle que la nullité de celui-ci n’affecte pas la validité du congé (renvoyant à Cass., 14 décembre 1992, n° 8.077). Lorsque le préavis est nul, le contrat est censé prendre fin immédiatement et la cour précise que, si le travailleur auquel un préavis nul de nullité absolue a été notifié ne peut couvrir cette nullité en continuant à travailler ni d’aucune autre manière, les deux parties peuvent cependant renoncer au droit d’invoquer le congé immédiat.

La cour s’appuie également sur une autre arrêt de la Cour de cassation (Cass., 28 janvier 2008, n° S.07.0097.N), qui enseigne que le travailleur qui n’invoque pas la validité du congé dans un délai de réflexion raisonnable après le préavis nul (de nullité absolue) peut perdre le droit de l’invoquer ultérieurement. Cependant, le fait qu’il poursuive le travail alors que le préavis est entaché de nullité absolue n’empêche pas qu’il bénéficie du droit à une indemnité compensatoire de préavis lorsque le contrat prend fin à l’expiration du délai du préavis nul (la cour renvoyant ici à C. trav. Liège, 4 février 1993, J.L.M.B., 1993, p 1251).

Elle relève que, pour le premier juge, le fondement de l’indemnité compensatoire de préavis doit être recherché dans la rupture du contrat de travail par l’employeur à l’expiration du délai, ce qui est confirmé dans diverses décisions de jurisprudence (la cour renvoyant notamment à C. trav. Bruxelles, 17 octobre 2016, J.T.T., 2017, p. 87).

Elle poursuit, rappelant d’abord l’article 37, § 1er, alinéa 4, de la loi du 3 juillet 1978, qui fixe à peine de nullité l’obligation de la notification du congé par lettre recommandée à la poste (sortissant ses effets le troisième jour ouvrable suivant la date de l’expédition) ou par exploit d’huissier, la disposition précisant que la nullité ne peut être couverte par le travailleur et qu’elle est constatée d’office par le juge.

Vient ensuite l’enseignement de la Cour de cassation dans divers arrêts (dont celui du 28 janvier 2008 ci-dessus), la règle de l’article 37 n’entraînant pas la nullité du congé lui-même. La nullité du préavis n’entache en effet pas la validité du congé, la Cour de cassation ayant précisé qu’aucune disposition légale ne subordonne cette validité au respect de certaines formalités. La Cour a précisé que l’attitude de l’employeur et du travailleur postérieurement à la notification d’un préavis irrégulier, par laquelle ils donnent à penser que le congé n’est pas immédiat, permet au juge de considérer, après un délai raisonnable, qu’ils ont renoncé à leur droit de se prévaloir du congé immédiat et que le contrat subsistera jusqu’à ce qu’il y soit mis fin autrement. La renonciation à invoquer un congé immédiat n’implique pas qu’il soit renoncé à la nullité absolue du préavis.

La cour renvoie également à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 1er avril 2008 (C. trav. Bruxelles, 1er avril 2008, R.G. 46.999), selon lequel, lorsque le travailleur, dans l’ignorance du vice affectant la notification du préavis, ne s’est pas prévalu du congé et a continué à travailler jusqu’à l’échéance du terme, il ne peut être considéré ni comme ayant renoncé à la nullité du préavis (renonciation prohibée par l’article 37, § 1er, 4e alinéa) ni comme ayant renoncé à se prévaloir du congé. Une renonciation doit en effet être interprétée de manière restrictive et ne peut se déduire que de faits ou attitudes non susceptibles d’une autre interprétation.

D’autres décisions sont également citées, aboutissant à la même conclusion que la poursuite des relations de travail durant le préavis frappé de nullité ne peut ni être interprétée comme une renonciation à invoquer la nullité du préavis ni couvrir celle-ci. La prestation du préavis n’implique pas la volonté des parties de renoncer au congé notifié par l’employeur ou de conclure un nouveau contrat de travail.

Plus particulièrement, dans l’hypothèse où aucune des deux parties ne semble s’être rendu compte de ce que le préavis était nul, la Cour du travail de Bruxelles a confirmé la solution ci-dessus, dans un arrêt du 3 juin 2020 (C. trav. Bruxelles, 3 juin 2020, R.G. 2017/AB/472) : la renonciation au droit d’invoquer le caractère immédiat du congé n’était pas établie en l’espèce, du fait de la simple poursuite de l’exécution du contrat, dont la cour a retenu qu’elle pouvait s’expliquer par la méconnaissance des règles légales.

En conclusion, elle confirme le jugement du tribunal, concluant qu’il ne peut être retenu qu’en poursuivant l’exécution du contrat pendant toute la période visée par le préavis nul, la travailleuse, qui ignorait ceci, aurait renoncé à se prévaloir du congé.

Intérêt de la décision

Le présent commentaire se rapporte uniquement à la question spécifique du droit à une indemnité compensatoire de préavis en cas de prestation d’un préavis nul, étant notifié en violation à l’article 37, § 1er, de la loi du 3 juillet 1978.

Il est acquis de longue date que la disposition vise la nullité du préavis mais non celle du congé, pour lequel aucune forme légale n’est imposée. La partie qui se voit dès lors notifier un congé avec préavis nul peut cesser l’exécution du contrat dans l’immédiat, le congé existant et n’étant pas assorti d’un préavis légal.

La question de savoir dans quelle mesure le travailleur pourrait avoir renoncé ultérieurement du fait de la prestation de ce préavis nul à son droit de faire valoir la validité du congé (sans indemnité compensatoire) a été plus controversée, la Cour du travail de Bruxelles rappelant ici les diverses interventions de la Cour de cassation.

La nullité étant absolue, elle ne peut être couverte par le comportement du travailleur. Celui-ci (ainsi que l’employeur) peut cependant renoncer à se prévaloir de la validité du congé, vu la nullité du préavis. Il a été souvent admis par le passé que le travailleur devait réagir « dans un délai raisonnable ». La cour du travail rappelle ici que, s’agissant d’adopter la figure juridique de la renonciation, celle-ci doit faire l’objet d’une interprétation stricte et ne peut résulter que de faits non susceptibles d’une autre interprétation, le juge décidant en fait s’il y a renonciation tacite.

L’on notera encore que, dans cette décision, sont abordées d’autres questions juridiques d’intérêt, s’agissant du droit à des arriérés de rémunération dans le cadre de la commission paritaire n° 305.201 (maisons de repos et de soins), ainsi que de primes et avantages du secteur (jours de congé, allocation de fin d’année et prime d’attractivité).

Enfin, sur la mise à la cause de la gérante de la société, la cour a confirmé la décision du tribunal à cet égard, la gérante étant, conformément aux articles 262 et 263 du Code des sociétés, l’organe de gestion de la S.P.R.L. et la responsable de l’exécution du mandat reçu et des fautes commises dans le cadre de celle-ci. La responsabilité pénale du gérant peut être engagée sur la base de dispositions spécifiques du Code des sociétés ou de certaines dispositions tirées du droit pénal commun, dont celles valant en matière sociale. Renvoi est fait ici également à diverses décisions de jurisprudence, dont l’arrêt de la Cour de cassation du 22 janvier 2007 (n° S.05.0095.N).


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