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Travail à temps partiel et présomption légale

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 21 février 2023, R.G. 2022/AN/51

Mis en ligne le mardi 3 octobre 2023


C. trav. Liège (div. Namur), 21 février 2023, R.G. 2022/AN/51

Dans un arrêt du 21 février 2023, la Cour du travail de Liège (division Namur) rappelle la portée de la présomption légale d’occupation à temps plein en cas de non-respect de la législation en matière de travail à temps partiel, statuant à propos d’une régularisation opérée par l’O.N.S.S. portant sur huit trimestres.

Les faits

Un boulanger exerçant en personne physique exploite plusieurs points de vente, dans lesquels des contrôles sont effectués dans le courant de l’année 2019 à l’initiative de l’O.N.S.S. Ces contrôles portent sur l’application de l’article 22ter de la loi du 27 juin 1969, vu l’occupation de travailleurs à temps partiel. Ceux-ci sont au nombre de dix-sept. L’auditorat du travail a sollicité les services d’inspection de l’O.N.S.S. à ce sujet. Il en est ressorti qu’un nombre très important d’heures n’étaient pas reprises aux horaires présentés, les services d’inspection ayant notamment procédé à la comparaison entre les heures de présence du personnel et les heures d’ouverture du magasin, ainsi qu’à l’examen des horaires affichés et les heures de prestations communiquées au secrétariat social.

Vu l’absence de présentation (ou la présentation incomplète) des horaires, il a été conclu à l’absence d’affichage au-delà de la période d’un an de conservation des avis et l’Office applique l’article 159 de la loi du 5 mars 2017, procédant à la régularisation sur toute la période d’occupation en respectant la limite de la prescription de l’article 42 de la loi du 27 juin 1969.

L’Office précise qu’en vertu de l’article 159, alinéa 2, lorsque les avis ont existé mais qu’ils n’ont pas été conservés au-delà d’un an, la régularisation peut être limitée à une année, chose qui ne peut trouver à s’appliquer en l’espèce vu qu’il a été clairement reconnu tant par le gérant que par les travailleurs que les avis n’ont jamais existé. La régularisation intervient dès lors pour la période du quatrième trimestre 2017 au troisième trimestre 2019, le montant des cotisations s’élevant à environ 45.750 euros.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Liège (division Namur). Dans le cadre de la procédure, l’O.N.S.S. forme une demande reconventionnelle relative au paiement d’un montant majoré, de l’ordre de 58.750 euros, à majorer lui-même des intérêts légaux sur le principal des cotisations.

Le jugement du tribunal

Par jugement du 10 février 2022, le tribunal du travail a dit la demande principale non fondée et a fait droit à la demande reconventionnelle, le demandeur étant en outre condamné à l’indemnité de procédure taxée à 3.250 euros.

Il interjette appel.

Position des parties devant la cour

L’appelant fait essentiellement valoir qu’il renverse la présomption instaurée par l’article 22ter de la loi du 27 juin 1969, considérant que la preuve de prestations à temps partiel (et non à temps plein) est établie. Il donne à l’appui de sa thèse – dans laquelle il reconnaît certes des manquements à certaines obligations légales – des explications gisant en fait, faisant essentiellement valoir qu’une bonne partie d’heures litigieuses étaient prestées par sa compagne, en sa qualité de conjoint-aidant, qui gérait seule un point de vente (situé au domicile du couple), avec l’aide ponctuelle de l’appelant lui-même. Il énumère ensuite les membres du personnel pour qui il considère que la présomption est renversée dans les faits, la première des travailleuses intéressées poursuivant des études en parallèle, la deuxième étant en incapacité de travail depuis plusieurs années et la troisième prestant en qualité de bénévole dans une piscine municipale.

Pour l’O.N.S.S., la présomption n’est pas renversée, les explications fournies n’étant pas documentées par des preuves concrètes et ne permettant pas, pour les trois travailleuses visées plus spécifiquement, d’exclure qu’elles travaillaient à temps plein. L’Office maintient que la période de récupération ne doit pas être limitée à un an.

La décision de la cour

Dans son rappel des principes applicables, la cour développe le mécanisme de l’article 22ter de la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs. Elle rappelle notamment que, lorsque l’horaire de travail est variable (avec renvoi à l’article 11bis, alinéa 3, de la loi du 3 juillet 1978), il faut informer préalablement les travailleurs de leurs horaires de travail moyennant un avis écrit et daté par l’employeur, déterminant les horaires individuels de la manière et dans le délai prévu par le règlement de travail. Tant que l’horaire est en vigueur, l’avis doit se trouver à l’endroit où le règlement de travail peut être consulté (conformément à l’article 15 de la loi du 8 avril 1965), sous format papier ou sous format électronique, et doit être conservé pendant un an à dater du jour où l’horaire cesse d’être en vigueur. La cour rappelle également l’existence du carnet de dérogations, où toutes les dérogations aux horaires de travail doivent être consignées.

Elle en vient alors au caractère d’ordre public de la présomption légale, renvoyant à un arrêt de la Cour de cassation du 24 avril 2006 (Cass., 24 avril 2006, n° S.04.0121.N), ainsi qu’à deux autres arrêts, lesquels ont jugé que la présomption est applicable non seulement au jour de la constatation du défaut de publicité, mais également pour toute la période d’occupation antérieure (Cass., 16 février 2009, n° S.08.0132.N et Cass., 20 octobre 2008, n° S.08.0014.N).

La cour poursuit par un rappel à la doctrine (P. DELCHEVALERIE et L. VAN ASSCHE, « L’article 22ter de la loi du 27 juin 1969 : présomption d’occupation à temps plein d’un travailleur à temps partiel en cas de non-respect des mesures de publicité des horaires de travail », in Le contrat de travail à temps partiel, Wolters Kluwer, 2018, Liège, p. 267) sur l’application de la présomption à la période antérieure à celle d’un an pendant laquelle l’employeur est tenu de conserver les avis.

Enfin, elle reprend l’étendue de la preuve contraire à apporter par l’employeur s’il entend renverser la présomption légale, étant qu’il doit démontrer que les travailleurs à temps partiel n’ont pas effectué de prestations à temps plein dans le cadre d’un contrat de travail à temps plein (avec renvoi à Cass., 31 janvier 2011, n° S.10.0052.F). Il n’est pas exigé de l’employeur qu’il prouve l’étendue des prestations réellement effectuées dans le cadre d’un contrat de travail à temps partiel (Cass., 3 février 2003, n° S.02.0081.N).

En l’espèce, la cour constate qu’il ressort de l’instruction du dossier que des horaires variables étaient dans les faits appliqués, sans respecter un réel formalisme. Elle reprend les diverses déclarations utiles, dont celles du gérant, qui a confirmé le caractère incomplet des horaires.

La cour souligne encore les conclusions des services d’inspection, selon lesquelles les horaires déclarés ne correspondaient pas – et de loin – à la réalité des heures réellement prestées et que l’intéressé avait été verbalisé à plusieurs reprises en ce qui concerne le non-respect de la réglementation en matière de temps partiel. Alors que celui-ci réaffirmait ne rien connaître à la question, le rapport d’inspection a souligné qu’il était employeur depuis vingt-quatre ans.

La conclusion de la cour est que les prestations sont présumées avoir été effectuées à temps plein et que les faits pointés par le gérant ne sont nullement démontrés (études, prestations en tant que bénévole, etc.).

Le jugement est dès lors confirmé dans toutes ses dispositions, l’indemnité de procédure d’appel étant taxée à 3.750 euros.

Intérêt de la décision

Des décisions judiciaires sont régulièrement rendues sur la question du respect des dispositions de la réglementation en matière de temps partiel, et particulièrement sur l’article 22ter de la loi du 27 juin 1969.

La Cour de cassation est intervenue récemment, par arrêt du 24 avril 2023 (Cass., 24 avril 2023, n° S.22.0086.F), où elle rappelle le principe général qui guide l’existence de la présomption légale. En vertu de l’article 22ter de la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, à défaut d’inscription dans les documents visés aux articles 160, 162, 163 et 165 de la loi-programme du 22 décembre 1989 ou d’utilisation des appareils visés à l’article 164 de la même loi, ou à défaut de publicité des horaires de travail à temps partiel visée aux articles 157 à 159 de la même loi, les travailleurs à temps partiel sont présumés, sauf preuve du contraire, avoir effectué leurs prestations dans le cadre d’un contrat de travail en qualité de travailleur à temps plein. Cette disposition établit, non au profit du travailleur mais en faveur de l’Office national de sécurité sociale, une présomption en vue de permettre la perception et le recouvrement des cotisations sociales. Pour le surplus, la rémunération constituant la contrepartie du travail effectué en exécution d’un contrat de travail, il incombe, en vertu de l’article 8.4, alinéa 1er, du Code civil, au travailleur qui demande la rémunération de prestations de travail effectuées à temps plein de les prouver.

En l’espèce, l’affaire oppose l’employeur à l’O.N.S.S. et est limitée à la question des cotisations dues vu l’absence de respect par l’employeur de la législation sur le temps partiel.

L’on peut encore relever sur la question deux autres arrêts de la Cour suprême non repris dans l’arrêt de la cour du travail commenté, étant Cass., 29 février 2016, n° S.15.0052.F et Cass., 25 janvier 2016, n° S.15.0070.N (tous deux précédemment commentés).


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