Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 2 février 2023, R.G. 2022/AN/22
Mis en ligne le mardi 3 octobre 2023
C. trav. Liège (div. Namur), 2 février 2023, R.G. 2022/AN/22
Dans un arrêt du 2 février 2023, la Cour du travail de Liège (division Namur) rappelle le mécanisme de la prise en compte pour la fixation de la retenue A.M.I. sur la pension légale de la perception d’un capital pension.
Les faits
Un bénéficiaire d’une pension de retraite mixte (salariée et indépendante) a perçu un capital pension de la part de son employeur, lors de la mise à la pension. En conséquence, le S.F.P. a annualisé et mensualisé le capital, ajoutant la mensualisation fictivement au montant des pensions perçues, aux fins de déterminer la retenue A.M.I. de 3,55%. Les montants cumulés dépassant le seuil prévu par la loi, cette retenue a été pratiquée sur la pension légale perçue.
Un recours a été introduit par l’intéressé devant le Tribunal du travail de Liège (division Namur). Celui-ci a statué par jugement du 13 janvier 2022, rejetant la demande. Le tribunal a confirmé la position du S.F.P., précisant que le fondement des prélèvements litigieux est l’article 191 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 et constatant que le S.F.P. n’a fait qu’appliquer les dispositions légales, dans le respect de la hiérarchie des normes (étant l’article 191, 7°, de la loi, ainsi que les arrêtés royaux d’exécution).
Appel est interjeté.
Position des parties devant la cour
Position de l’appelant
L’appelant sollicite l’écartement de tous les actes administratifs posés à son égard en ce qui concerne la cotisation litigieuse, plaidant le non-respect et la violation de la hiérarchie des normes, ainsi que de l’article 159 de la Constitution et des articles 10, 11 et 170 de celle-ci. Il sollicite en conséquence que le S.F.P. soit condamné à stopper immédiatement la retenue illégale et à rembourser les prélèvements indus, avec les intérêts compensatoires. Il sollicite encore un euro provisionnel de dommages et intérêts.
En substance, l’appelant considère qu’aucune disposition légale (ni la loi coordonnée le 14 juillet 1994 ni celle du 13 mars 2013 portant réforme de la retenue de 3,55% au profit de l’assurance obligatoire soins de santé et de la cotisation de solidarité effectuées sur les pensions) ne prévoit le cumul de la pension mensuelle légale avec une rente fictive de conversion, et ce d’autant que le capital lui-même a déjà fait l’objet du prélèvement de la retenue. Il conteste également qu’une rente fictive puisse être considérée comme un avantage mensuel de pension au sens de l’arrêté royal du 8 décembre 2013 (exécutant les articles 4 et 13 de la loi du 13 mars 2013). Il fait encore valoir un manquement au devoir d’information contenu dans la Charte de l’assuré social.
A supposer que les actes administratifs litigieux respectent l’arrêté royal du 8 décembre 2013, il en demande l’écartement pour contrariété à la loi. La violation de l’article 170 de la Constitution est tirée de la considération selon laquelle la cotisation A.M.I. est un impôt déguisé. Quant à la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, elle gît dans la considération que la réglementation se fonde sur l’état matrimonial et la supposée capacité financière, ce qui conduit à un montant imposable de pension mensuelle anormalement différent pour les ex-conjoints.
Enfin, le non-respect de la hiérarchie des normes est invoqué, dans la mesure où il serait conclu que la réglementation est conforme à l’arrêté royal en cause, qui viole les articles 10 et 11 de la Constitution. Il fait enfin valoir une violation du principe de standstill et une possible inconstitutionnalité des deux lois elles-mêmes (loi coordonnée le 14 juillet 1994 et loi du 13 mars 2013).
Position de l’intimé
Quant au S.F.P., il sollicite la confirmation du jugement. Il conteste un manquement à son obligation d’information, ayant fourni à l’intéressé des explications claires et précises chaque fois qu’il les a demandées. Il fait encore valoir que la seule réglementation qui pourrait être écartée serait l’arrêté royal – dont l’appelant n’établit cependant pas qu’il n’est pas conforme à la loi – et que la cotisation A.M.I. trouve sa source dans les deux lois, la cour n’étant pas en mesure de se prononcer sur leur constitutionnalité.
L’avis du ministère public
Dans son avis, le ministère public, qui conclut à la confirmation du jugement, considère que et le capital pension et la pension légale doivent être soumis à la retenue, celle-ci étant une cotisation de sécurité sociale non soumise au principe de légalité en matière d’impôt. Il considère qu’il n’y a pas eu excès de pouvoir dans le chef du Roi, l’article 159 de la Constitution ne devant dès lors pas trouver à s’appliquer, non plus que les articles 10 et 11, dans la mesure où l’arrêté royal définit un mode de calcul adéquat et proportionné par rapport au but poursuivi par le législateur (un plancher ayant été instauré, en-deçà duquel la retenue ne s’applique pas).
Les répliques à l’avis du ministère public
L’appelant réplique à l’avis du ministère public, maintenant sa thèse, dans laquelle il souligne que, la cotisation A.M.I. ne faisant pas naître de droit complémentaire sur le plan de la sécurité sociale, il faut la considérer comme un impôt et que, en conséquence, l’habilitation donnée au Roi est inconstitutionnelle, ne respectant par ailleurs pas le principe de légalité.
La décision de la cour
La cour reprend les textes. Il s’agit d’abord de l’article 191, alinéa 1er, 7°, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994, après sa modification par l’article 3 de la loi du 13 mars 2013 portant réforme de la retenue de 3,55% au profit de l’assurance obligatoire soins de santé et de la cotisation de solidarité effectuée sur les pensions. Celui-ci dispose notamment que la retenue est également effectuée sur l’avantage tenant lieu de pension ou complétant une pension octroyée à un travailleur indépendant en vertu d’un engagement collectif ou d’une promesse individuelle de pension, ainsi que sur les pensions complémentaires (au sens de la loi-programme (I) du 24 décembre 2002 et de la loi du 18 février 2018, ainsi que de celle du 6 décembre 2018 instaurant une pension libre complémentaire pour les travailleurs salariés). La disposition prévoit également la destination de cette retenue.
Quant à l’article 4 de la loi du 13 mars 2013, dont le texte est longuement repris dans l’arrêt, il organise notamment les modalités de la perception et de la gestion de la retenue et détermine le seuil en-deçà duquel la pension ne peut être réduite suite aux effets de la retenue en cause.
Cet article 4 a donné lieu à un arrêté royal d’exécution du 8 décembre 2013, prévoyant, pour les pensions et avantages de pension payés sous la forme d’un capital, la conversion en rente fictive (avec application d’un barème).
La cour renvoie au Rapport au Roi précédant cet arrêté royal, qui dispose notamment que la rente fictive est ajoutée aux autres revenus de pension pour évaluer si tous les revenus de pension d’un même bénéficiaire dépassent ou non le plancher. Il prévoit également que, le capital ayant été assujetti à la retenue lors de son paiement, la rente fictive n’est pas soumise à la retenue.
Il faut dès lors tenir compte de l’ensemble des pensions et autres avantages et, pour le capital, procéder à la conversion en rente fictive (cette conversion n’étant qu’une modalité de calcul devant servir à déterminer si l’ensemble des ressources dépassent le plancher en cause), la rente elle-même n’étant pas soumise à la retenue.
La cour renvoie également à d’autres dispositions de l’arrêté royal concernant les obligations des organismes débiteurs des pensions.
Elle en vient ensuite à l’examen du cas d’espèce. Elle constate que le montant mensuel brut cumulé des pensions et avantages dépasse le plancher et que la retenue effectuée sur le capital pension est due. En conséquence, le S.F.P. était fondé à procéder à la retenue sur la pension légale et il a fait une application correcte des dispositions en cause.
La cour répond encore aux objections de la partie appelante en ce qui concerne l’arrêté royal du 8 décembre 2013, considérant qu’il ne viole pas les dispositions des deux lois ci-dessus, l’article 159 de la Constitution ne trouvant dès lors pas à s’appliquer et, par ailleurs, l’habilitation législative ne concernant pas une matière réservée par la Constitution au législateur.
Pour ce qui est de la nature de la retenue, que l’appelant voit comme étant de nature fiscale, vu l’absence de droit complémentaire engendré par celle-ci sur le plan de la sécurité sociale, la cour répond que celle-ci est affectée au financement des prestations de sécurité sociale, un lien existant entre cette retenue et la sécurité sociale.
Enfin, sur le standstill, elle considère que les dispositions en cause tiennent compte de la capacité contributive réelle du bénéficiaire de la pension, celui qui a perçu un capital pension ayant vu cette capacité contributive accrue.
La cour confirme dès lors le jugement.
Intérêt de la décision
Dans cet arrêt, la Cour du travail de Liège confirme la légalité du dispositif mis en place suite à la loi du 13 mars 2013 et de son arrêté royal d’exécution du 8 décembre 2013, relatif à la prise en compte de la perception d’un capital pension pour la détermination de la retenue de 3,55% sur la pension légale, au titre de cotisations A.M.I.
Que cette cotisation ne procure aucun bénéfice complémentaire sur le plan de la sécurité sociale est sans incidence, pour la cour, sur la légalité du mécanisme en cause, s’agissant de la prise en compte par le législateur de la capacité contributive du pensionné, dès lors qu’en sus de la pension légale, il a perçu un capital pension.
La cour confirme également la légalité du mode de conversion de ce capital en rente fictive. Elle en précise les effets : la retenue de 3,55% ne sera pas effectuée sur le capital lui-même (le prélèvement étant déjà intervenu), mais le montant de la rente fictive est ajouté à la pension légale aux fins de déterminer si le seuil en-deçà duquel la cotisation n’est pas due est atteint.