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Secteur de la construction : critères du lien de subordination

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 19 janvier 2023, R.G. 2021/AN/140

Mis en ligne le mardi 3 octobre 2023


C. trav. Liège (div. Namur), 19 janvier 2023, R.G. 2021/AN/140

Dans un arrêt du 19 janvier 2023, la Cour du travail de Liège (division Namur) rappelle les mesures spécifiques arrêtées dans le secteur de la construction, permettant de procéder à la requalification d’une relation de travail indépendante en travail salarié, ainsi que les conditions de renversement de la présomption légale d’existence d’un contrat de travail.

Les faits

Suite à un rapport de son service d’inspection, l’O.N.S.S. procède à l’établissement d’une déclaration d’office d’un prestataire travaillant pour le compte d’un entrepreneur de la construction. Dans sa décision, l’Office précise se fonder sur les quatre critères généraux fixés par la loi sur les relations de travail (organisation du temps de travail, organisation du travail, contrôle hiérarchique et volonté des parties).

Cette décision est contestée devant le Tribunal du travail de Liège (division Namur).

L’intéressé est débouté par jugement du 16 juillet 2021 et interjette appel.

Position des parties devant la cour

L’appelant expose être entrepreneur en personne physique et avoir travaillé avec un tiers (dans un premier temps salarié et indépendant à titre complémentaire, devenu ensuite indépendant à titre principal). Ce dernier facturait ses prestations à l’entrepreneur. La collaboration s’est terminée suite à un conflit et l’intéressé a repris son statut salarié, déposant concomitamment une plainte auprès de l’O.N.S.S., au motif qu’il aurait travaillé sous contrat de travail. L’entrepreneur fait valoir :

  • sur l’absence de contrat écrit, que celle-ci confirme la volonté des parties de s’inscrire dans une relation de travail indépendante, avec factures ;
  • sur le déroulement de la relation de travail, que celle-ci est conforme au statut des parties, qui étaient des auto-entrepreneurs exerçant en personne physique, travaillant sur pied d’égalité sous la forme de sous-traitance ;
  • que les éléments retenus par le premier juge ne permettent pas de conclure que les critères prévus par l’arrêté royal du 7 juin 2013 sont rencontrés.

Quant à l’O.N.S.S., il estime que les éléments confirmant l’existence d’un lien de subordination sont réunis et que l’appelant doit renverser la présomption, ce qu’il ne fait pas. Cinq critères au moins sur les neuf visés par celle-ci sont présents, de telle sorte que la décision de requalification est fondée.

La décision de la cour

La cour procède en premier lieu au rappel des composantes du contrat de travail, dans la définition de la Cour de cassation, dont elle reprend plusieurs arrêts.

Suite à la loi-programme (I) du 27 décembre 2006, qui confirme l’enseignement de la Cour de cassation, il est admis que les parties choisissent librement la nature de leur relation de travail, dont l’exécution doit être en concordance avec celle-ci. Lorsque cette exécution laisse apparaître la réunion de suffisamment d’éléments incompatibles avec la qualification contractuelle, il y a requalification.

La cour reprend les quatre critères généraux de la loi ainsi que ceux utilisés pour l’application de la présomption, rappelant que des critères spécifiques peuvent être prévus pour certains secteurs d’activité et qu’ils remplacent alors ou complètent ceux de l’article 337/2, § 1er.

C’est dans ce cadre qu’un arrêté royal est intervenu le 7 juin 2013 concernant certains travaux immobiliers, posant des critères spécifiques pour le secteur de la construction. Il remplace les critères de la loi par des critères spécifiques au secteur.

Sur le plan de la méthode, la cour rappelle qu’il faut vérifier l’application de la présomption légale et puis vérifier si celle-ci coïncide avec les critères généraux en vue du renversement éventuel de la présomption issue de la majorité de ceux-ci.

Examinant les procès-verbaux d’audition contenant les déclarations longues et fournies des parties, la cour retient qu’effectivement, aucun contrat de sous-traitance n’a été conclu, rien n’étant produit à cet égard.

Elle examine dès lors les facturations, dont elle tire la conclusion que les deux intéressés ne partageaient pas sur pied d’égalité les sommes payées à l’entrepreneur par les entreprises générales qui l’avaient engagé.

Elle entreprend ensuite de passer en revue les critères de l’arrêté royal, l’un après l’autre. Elle retient l’absence de risque financier ou économique (article 2, a), de l’arrêté royal) ; de même, pour le pouvoir de décision relatif à la politique d’achat et des prix ou de la liberté dans l’identification des clients, la négociation des contrats, etc. (article 2, c)) ; le travailleur avait la garantie du paiement d’un fixe, quels que soient les résultats, ayant ainsi une rémunération forfaitaire et fixée par l’entrepreneur (article 2, d)) ; il ne disposait pas du pouvoir d’engager du personnel ou de se faire remplacer (article 2, e)) ; il n’apparaissait pas comme une entreprise vis-à-vis d’autres personnes, n’ayant pas de relations avec les clients (article 2, f)) ; il ne travaillait que pour l’entrepreneur (article 2, g)) ; il travaillait avec du matériel mis à disposition par l’entrepreneur et dont il n’était ni propriétaire ni locataire (article 2, h)) ; enfin, il ne disposait d’aucune autonomie dans l’organisation du travail (article 2, i)).

Pour la cour, sur les neuf critères de l’arrêté royal, huit sont donc réunis.

Il en découle que c’est à l’employeur de renverser la présomption, ce qu’il peut faire en s’appuyant sur les critères généraux de la loi-programme. Ce renversement n’est cependant pas réussi, dans la mesure où il ne ressort pas des éléments du dossier que le travailleur ait eu la volonté de travailler comme indépendant, qu’il ne disposait pas librement de l’organisation de son temps de travail (voir ci-dessus), qu’il n’avait pas d’autonomie dans l’organisation de celui-ci (idem) et que l’entrepreneur disposait de la possibilité d’exercer un contrôle hiérarchique.

Le jugement est dès lors confirmé.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Liège (division Namur) rappelle les mesures spécifiques prises dans le secteur de la construction par l’arrêté royal du 7 juin 2013 pris en exécution de l’article 337/2, § 3, de la loi-programme (I) du 27 décembre 2006. Les critères y repris remplacent ceux de la loi elle-même.

La cour du travail reprend ici les deux principales étapes de l’examen de la qualification de la relation contractuelle. Dans un premier temps, il s’agit de lister, parmi les critères applicables, ceux qui sont réunis en l’espèce et, ensuite, la présomption de contrat de travail étant établie, de vérifier si celle-ci est renversée.

Ce renversement s’opère par le recours aux quatre critères généraux de la loi (et non à ses critères spécifiques). Il s’agit dès lors, dans cette deuxième partie, de vérifier la liberté de l’organisation du temps de travail, la liberté de l’organisation du travail lui-même, la possibilité de contrôle hiérarchique et la volonté des parties.

Relevons deux arrêts rendus par la Cour du travail de Bruxelles sur l’application des mesures dans ce secteur :

  • Plus de la moitié des critères spécifiques sont remplis lorsqu’aucun des intéressés n’a payé de contrepartie lors de l’attribution de parts dans la société (absence de participation au risque financier), qu’ils n’ont pas de pouvoir de décision en ce qui concerne les moyens financiers, ne participent pas à la politique d’achat, percevaient une rémunération mensuelle fixe, ne pouvaient engager de personnel, portaient des vêtements de travail au logo de la société, avaient pour seul contractant celle-ci et ne travaillaient qu’avec des outils et des vêtements de travail lui appartenant (C. trav. Bruxelles, 11 janvier 2023, R.G. 2020/AB/777) ;
  • Pour les travaux immobiliers (secteur de construction), l’arrêté royal du 7 juin 2013 a remplacé les critères de la loi-programme du 27 décembre 2006 par des critères plus adaptés. Ils visent le risque financier, l’absence de responsabilité et de pouvoir de décision (moyens financiers de l’entreprise, politique d’achat et politique des prix, etc.), la garantie du paiement d’une indemnité fixe quels que soient les résultats, l’absence de possibilité d’engager du personnel ou de se faire remplacer, l’absence d’identification de l’intéressé comme étant une entreprise (logo, lettrage, etc.), le travail principal et habituel pour un seul contractant, le travail dans des locaux hors chantier ou avec du matériel dont il n’est pas le propriétaire ou le locataire et, enfin, l’absence de travail autonome vis-à-vis des équipes de travail du cocontractant ou de l’entreprise au sein de laquelle l’intéressé a le statut d’associé actif (C. trav. Bruxelles, 25 avril 2018, R.G. 2017/AB/22 – précédemment commenté).

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