Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 10 janvier 2023, R.G. 2021/AL/81
Mis en ligne le mardi 3 octobre 2023
C. trav. Liège (div. Liège), 10 janvier 2023, R.G. 2021/AL/81
Dans un arrêt du 10 janvier 2023, la Cour du travail de Liège (division Liège) tranche deux questions relatives à l’application du statut social des travailleurs indépendants, étant d’une part la législation applicable en cas de détachement et, de l’autre, l’assujettissement à titre principal ou complémentaire.
Rétroactes
L’I.N.A.S.T.I. a interjeté appel d’un jugement du 18 décembre 2020 rendu par le Tribunal du travail de Liège (division Verviers) ayant accueilli un recours formé par une personne physique contre une mise en demeure d’affiliation. Il s’agissait d’un membre du personnel de la Police fédérale belge affecté dans un autre Etat membre de l’Union européenne (Espagne) en tant que représentant et dont la mission avait pris fin en 2020, l’intéressé revenant à ce moment en Belgique. Il y cumulait d’autres fonctions, étant que, depuis 2010, il était également administrateur d’un organisme assureur A.M.I. et, depuis 2016, qu’il faisait partie de son Comité de gestion, cette fonction étant remplacée depuis 2018 par celle de membre du Comité de direction. Des jetons de présence avaient été perçus, figurant sur sa déclaration fiscale en tant que profit de profession libérale.
C’est pour son mandat d’administrateur que l’assujettissement est demandé par l’I.N.A.S.T.I.
Les arrêts de la cour
L’arrêt du 1er février 2022
La cour a rendu un premier arrêt, dans lequel elle a rappelé les principes de l’assujettissement au statut social des travailleurs indépendants. Elle est revenue sur la notion d’« activité professionnelle » et sur la présomption fiscale de l’article 3, § 1er, alinéa 1er, de l’arrêté royal n° 38.
Elle a considéré à cet égard que, pour ce qui est de la circonstance que les mandats avaient été exercés auprès d’une mutualité, ceci ne suffit pas pour conclure à l’absence d’activité professionnelle, étant que des revenus (et non des remboursement de frais) étaient perçus.
Elle a encore jugé que l’activité avait un caractère régulier, étant qu’elle impliquait un ensemble d’opérations liées entre elles, répétées et accompagnées de démarches en vue de cette répétition et qu’à côté de celle-ci, d’autres prestations devaient encore intervenir (préparation, secrétariat de l’organe, etc.).
Dans la mesure où cette activité a été exercée en personne physique, en Belgique et en dehors de tout lien de subordination ou de statut, la cour a conclu qu’il y avait en principe assujettissement au statut social.
Une réserve a cependant été mise à cette conclusion, étant la vérification de l’application du droit belge, le Règlement européen n° 883/2004 prévoyant en son article 11 l’unicité de la législation applicable ainsi que les règles de détermination de celle-ci.
Les éléments soumis à la cour en vue de procéder à la vérification de la législation applicable à la cause manquant, une réouverture des débats a été ordonnée.
L’arrêt du 10 janvier 2023
Pour la cour, suite à l’arrêt du 1er février 2022, plusieurs points restent à trancher. En effet, à supposer le droit belge applicable, la présomption légale trouve à s’appliquer, l’intéressé ne renversant pas en l’état cette présomption d’assujettissement. Dans cette hypothèse, se pose encore la question de la rétroactivité de celui-ci, la date retenue par l’I.N.A.S.T.I. étant le 1er janvier 2015.
La cour souligne que la question du droit applicable est d’autant plus cruciale que l’intéressé plaide ne plus avoir eu de résidence administrative en Belgique et ne plus avoir été soumis à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités mais à l’assurance continuée.
Enfin, elle retient que se pose encore une question relative à l’application des majorations et intérêts de retard.
La cour reprend ensuite la position des parties :
La cour en vient ensuite au rappel de la position du Ministère public, selon lequel l’intéressé n’a pas cessé de relever de la sécurité sociale belge, étant demeuré déclaré en Dimona et n’ayant jamais été assujetti en Espagne. L’assujettissement doit, pour M. le Substitut général, intervenir à titre complémentaire.
La cour en vient ainsi à sa décision, qui, fondée sur les dispositions du Règlement n° 883/2004 ci-dessus, implique de retenir l’application du droit belge, étant l’assujettissement au statut social des travailleurs indépendants.
La question de l’assujettissement à titre principal ou à titre complémentaire se pose encore, la cour relevant toutefois sur ce point que l’enjeu concret est assez « maigre » eu égard au montant des revenus de l’intéressé, qui n’ont cessé de croître, de telle sorte que la majeure partie de ses cotisations (pour ce qui excède le seuil permettant aux indépendants à titre complémentaire d’être dispensés de toute cotisation) doivent être calculées comme pour un indépendant à titre principal (la cour renvoyant ici à V. VERDEYEN, Commentaire pratique disponible sur www.socialeye.be – CO200242276 – Texte validé le 30 novembre 2022).
Toujours est-il, pour la cour, que la question doit être tranchée. Elle conclut sur celle-ci que les conditions d’application de l’article 35, § 1er, b), de l’arrêté royal du 19 décembre 1967 sont réunies (bénéfice d’un autre régime de pension que celui des travailleurs salariés, activité exercée au cours de l’année sur huit mois ou deux cent jours au moins, nombre d’heures mensuel de travail au moins égal à la moitié d’un temps plein, etc.). Elle retient dès lors l’assujettissement à titre complémentaire.
Pour ce qui est des majorations, la cour relève que la question ne se pose pas en l’état, dans la mesure où le montant des cotisations, majorations, frais et intérêts n’est pas encore connu et qu’en conséquence, aucun litige ne se pose, ceci d’autant plus que l’I.N.A.S.T.I. a, sur la question de l’assujettissement des mandataires, pris une note le 28 avril 2017, selon laquelle, moyennant demande du travailleur, les majorations seraient exonérées intégralement et qu’aucune amende administrative ne serait infligée pour affiliation tardive. La cour retient dès lors que, vu le caractère prématuré de la demande à cet égard, il y a lieu de la rejeter.
Intérêt de la décision
La cour vide sa saisine, dans cet arrêt du 10 janvier 2023.
L’arrêt interlocutoire, du 1er février 2022, a été précédemment commenté et nous avions relevé que la cour y avait posé la question de la loi applicable eu égard au principe de droit européen d’unicité de la législation nationale en matière de sécurité sociale. Des développements en droit étaient intervenus à cet égard, avec le renvoi à la jurisprudence de la Cour de Justice.
Dans un arrêt du 9 septembre 2021 (C.J.U.E., 9 septembre 2021, Aff. n° C-33/2018, UK e.a. c/ VOLKSWAGEN BANK GmbH e.a., EU:C:2021:736), la Cour de Justice avait d’ailleurs été interrogée par la Cour du travail de Liège et elle y avait notamment répondu qu’une personne qui exerce normalement une activité (en l’espèce salariée) dans un Etat membre et une activité (en l’espèce non salariée) dans un autre Etat reste soumise à la législation de l’Etat où elle exerce son activité salariée.
Dans l’arrêt du 10 janvier 2023, la cour du travail a renvoyé aux articles 11 et 13, point 4, du Règlement n° 883/2004. Il ressort de ces dispositions que les fonctionnaires sont soumis à la législation de l’Etat membre dont relève l’administration qui les emploie (sauf exception non rencontrée ici) et qu’une personne employée comme fonctionnaire dans un Etat membre et qui exerce une activité salariée et/ou non salariée dans un ou plusieurs Etats membres est soumise à la législation de l’Etat membre dont relève cette administration.
La question a été clarifiée dans le cadre de la réouverture des débats et les parties semblaient, ainsi, acquises à la conclusion que la loi belge est indiscutablement applicable.
L’on notera enfin le débat sur l’assujettissement à titre principal ou complémentaire, la cour rappelant ici le siège de la matière, qui est l’article 35 de l’arrêté royal du 19 décembre 1967 portant règlement général en exécution de l’arrêté royal n° 38.