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Allocations familiales et condition de séjour

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 22 juin 2023, R.G. 2022/AL/478

Mis en ligne le vendredi 1er décembre 2023


C. trav. Liège (div. Liège), 22 juin 2023, R.G. 2022/AL/478

Dans un arrêt du 22 juin 2023, la Cour du travail de Liège (division Liège) examine le droit à des allocations familiales dans le chef d’une mère, citoyenne française, ayant introduit un recours devant le Conseil du Contentieux des Etrangers contre une décision de l’Office des Etrangers mettant fin à son droit au séjour.

Les faits

Une citoyenne de nationalité française est arrivée en Belgique en 2017. Elle était accompagnée de ses deux enfants, nés en 2009 et 2013. En février 2018, elle introduit une demande d’attestation d’enregistrement en tant que demandeur d’emploi et dépose, pour ce, un contrat à durée déterminée d’un an. Celle-ci lui est dès lors délivrée (carte E – travailleur salarié) pour une période de quatre ans. Cinq mois plus tard, suite à une entorse, elle tombe en incapacité de travail. Son contrat de travail est ensuite rompu. Elle bénéficie alors de l’intervention du C.P.A.S. pendant une période de onze mois et demande le bénéfice d’une allocation dans le secteur des prestations aux personnes handicapées. Une allocation de remplacement de revenus est accordée en juin 2019.

En avril 2020, l’Office des Etrangers met fin à son droit au séjour au motif qu’elle n’avait pas travaillé au moins un an en Belgique depuis sa demande d’inscription et que, ayant travaillé plus de six mois, elle ne remplit plus les conditions pour l’exercice d’un droit de séjour en qualité de travailleur salarié, dont elle ne conserve pas le statut. Elle est ainsi radiée des registres de la population. Elle continue cependant à résider en Région wallonne et, en juillet de la même année, soit trois mois après la décision de l’Office des Etrangers, elle se retourne vers le C.P.A.S. pour solliciter le bénéfice d’une aide sociale ou d’un revenu d’intégration sociale. Ceci lui est refusé, la condition du séjour n’étant pas remplie.

Ayant accouché d’un troisième enfant, l’intéressée demande l’annulation de la décision de l’Office des Etrangers. Parallèlement, elle introduit un recours contre la décision du C.P.A.S. Deux autres décisions interviennent dans la foulée, étant l’une prise par le S.P.F. Sécurité sociale, qui procède à une révision d’office de l’allocation de remplacement de revenus et en annonce la suppression, et l’autre de FAMIWAL, qui supprime également les allocations familiales et réclame un indu (avec la prime de naissance). La motivation de la décision de FAMIWAL se fonde sur la radiation de l’intéressée au registre de la population, le paiement de la prime de naissance ainsi que des allocations étant contraire à l’article 4 du Décret wallon du 8 février 2018.

Un recours est introduit contre la décision de FAMIWAL.

Quelque temps plus tard, le Service des Etrangers de la ville de résidence est sommé par l’avocat de l’intéressée de lui délivrer une Annexe 35, ce qu’il refuse au motif d’absence d’instruction de l’Office des Etrangers. Le mois suivant, soit en janvier 2021, celle-ci est engagée par contrat de travail. Ceci lui permet d’introduire une nouvelle demande d’enregistrement, qui est délivrée, et les allocations familiales lui sont de nouveau octroyées.

Le jugement du tribunal

Suite au recours introduit, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) rend un jugement le 22 septembre 2022, accueillant celui-ci. Le tribunal avait précédemment été saisi d’un autre recours contre la décision du C.P.A.S. et avait réformé celle-ci au motif que l’intéressée n’était pas en séjour illégal pendant une première période (3 juillet – 30 novembre 2020), mais n’était pas dans un état de besoin pendant celle-ci, le séjour devenant cependant illégal pendant une courte période ultérieure (1er décembre 2020 – 31 janvier 2021), s’agissant de la période entre la décision de refus de la requête en annulation prise par le Conseil du Contentieux des Etrangers et le début du contrat de travail.

Dans son jugement du 22 septembre 2022, statuant dans le litige en matière d’allocations familiales, le tribunal du travail admet dès lors le droit pour la mère à bénéficier des allocations pendant la période où son séjour fut déclaré légal, son droit comprenant celui à la prime de naissance.

Appel est interjeté par FAMIWAL.

La décision de la cour

La cour examine la question du droit au séjour à partir de l’article 40 de la loi du 5 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers. En vertu de cette disposition, un citoyen de l’Union européenne peut séjourner en Belgique pendant plus de trois mois s’il possède une carte d’identité ou un passeport en cours de validité et, notamment, s’il a la qualité de travailleur salarié (ou non salarié), ou encore s’il entre en Belgique pour chercher un emploi, et ce tant qu’il est en mesure de faire la preuve qu’il continue à chercher celui-ci et qu’il a des chances réelles d’être engagé. Par ailleurs, aucune mesure d’éloignement du territoire ne peut être exécutée de manière forcée à l’égard d’un étranger pendant le délai d’introduction d’un recours contre une décision mettant fin au droit de séjour si l’étranger ne répond plus aux conditions ci-dessus, non plus que pendant l’examen de celui-ci. Enfin, si un recours est introduit auprès du Conseil du Contentieux des Etrangers (recours de pleine juridiction ou recours en annulation), l’administration communale doit délivrer une Annexe 35, document valable trois mois à compter de la date de délivrance et, ensuite, prorogé de mois en mois jusqu’à ce qu’il soit statué sur ledit recours.

La cour relève que la loi ne laisse ni à l’Office des Etrangers ni à l’administration communale une marge d’appréciation quelconque et renvoie à un arrêt de la Cour de cassation du 8 avril 2019 (Cass., 8 avril 2019, n° S.17.0086.F), rendu dans une affaire d’allocations familiales garanties, où la Cour, statuant à propos d’une attestation d’immatriculation, a rappelé que, dès que les instructions sont données à la commune d’inscrire le demandeur au registre des étrangers et de le mettre en possession d’une telle attestation, il est autorisé à séjourner dans le Royaume, conformément à la loi, fût-ce de manière temporaire et précaire.

Dans le cadre du Décret wallon du 8 février 2018 relatif à la gestion et au paiement des prestations familiales, il a cependant été précisé que ne constitue pas un titre de séjour au sens de ce texte une attestation d’immatriculation.

En l’espèce, la cour retient que, la demanderesse étant de nationalité française, ce qu’elle a demandé est une attestation d’enregistrement et non une attestation d’immatriculation et que celle-ci lui a été délivrée. Elle était dès lors titulaire d’un titre de séjour. A une date déterminée, étant le 8 avril 2020, l’Office des Etrangers a mis fin à son droit de séjour, vu qu’elle ne remplissait pas la condition de travail, décision contre laquelle elle a introduit un recours, recours qui a un effet suspensif pendant toute la durée de la procédure. L’Office des Etrangers devait dès lors délivrer l’Annexe 35.

La cour précise également qu’il ressort des éléments de fait que, selon les instructions qui étaient données, ce document aurait dû être délivré. Que l’administration communale n’ait pas reçu les instructions correspondantes ne change rien à la situation. Elle conclut dès lors que l’autorisation valant titre de séjour au sens de l’article 4 du Décret wallon précité, l’intéressée remplissait les conditions pour percevoir les allocations familiales pour ses enfants.

Elle confirme dès lors le jugement.

Intérêt de la décision

L’arrêt de la Cour de cassation du 8 avril 2019 a été précédemment commenté. Il a mis un terme à un débat nourri relatif à l’octroi de prestations familiales garanties dès lors que l’étranger possède comme document de séjour une attestation d’immatriculation. Celle-ci a une validité limitée dans le temps et la jurisprudence était partagée sur la question de savoir si elle constituait un titre de séjour au sens de la législation applicable en la matière, et ce vu son caractère temporaire et précaire.

La Cour constitutionnelle était précédemment intervenue sur la question du droit aux prestations familiales garanties en cas de contestation du caractère régulier du séjour dans un arrêt du 28 juin 2006 (C. const., 28 juin 2006, n° 110/2006). L’arrêt de la Cour de cassation du 8 avril 2019 a considéré que, dès lors que le délégué du ministre donne instruction à la commune d’inscrire l’étranger au registre des étrangers et de le mettre en possession d’une attestation d’immatriculation, celui-ci est autorisé à séjourner dans le Royaume, conformément aux dispositions de la loi du 15 décembre 1980, fût-ce de manière temporaire et précaire.

Depuis le Décret wallon du 8 février 2018 relatif à la gestion et au paiement des prestations familiales, il est expressément prévu que l’enfant doit avoir son domicile légal sur le territoire de la Région de langue française ou, s’il ne l’a pas, qu’il doit résider effectivement dans celle-ci et être de nationalité belge ou bénéficiaire d’un titre de séjour en Belgique (ou avoir des parents apatrides). L’article 4 précise que ne constitue pas un titre de séjour au sens du Décret précité l’attestation d’immatriculation. La situation est dès lors modifiée et l’on notera que la condition est examinée non plus dans le chef du parent qui a la charge de l’enfant, mais dans celui de l’enfant lui-même.

L’arrêt de la Cour du travail de Liège (division Liège) du 22 juin 2023 commenté constate que la situation ne vaut pas pour les citoyens de l’Union européenne, dans la mesure où, si le même processus est envisagé par la loi du 15 décembre 1980 en ce qui concerne la délivrance d’un titre de séjour dans l’hypothèse d’un recours devant le Conseil du Contentieux des Etrangers contre une décision de l’Office des Etrangers, le document qui doit être délivré est une attestation d’enregistrement et non l’attestation d’immatriculation visée à l’article 4 du Décret wallon du 8 février 2018.


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