Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 6e chambre A, 21 février 2023, R.G. 2022/AN/89
Mis en ligne le mardi 6 février 2024
C. trav. Liège (div. Namur), 6e chambre A, 21 février 2023, R.G. 2022/AN/89
La cour du travail de Liège (division Namur) rappelle dans un arrêt du 21 février 2023 les diverses hypothèses de limitation de la récupération d’allocations de chômage indument payées, telles qu’énoncées à l’article 169 de l’arrêté royal organique chômage.
Faits de la cause
M. V., qui bénéficiait d’allocations de chômage, a sollicité l’octroi d’une dispense pour suivre une formation de chauffagiste à l’IFAPME, avec une convention de stage non rémunérée.
Le FOREM a, par courrier du 14 octobre 2020, refusé la dispense, M. V. ne répondant pas aux conditions d’avoir terminé depuis 2 ans au moins des études ou un apprentissage et d’avoir bénéficié d’au moins 312 allocations au cours des deux années précédant la formation. Le courrier du Forem précise que : « Le refus de dispense signifie que vous n’êtes pas dispensé de vos obligations comme demandeur d’emploi. Vous devez donc rester inscrit comme demandeur d’emploi, être disponible sur le marché de l’emploi, rechercher activement de l’emploi, répondre aux convocations et offres d’emploi du Forem, participer à un plan individuel proposé par le Forem et accepter tout emploi convenable. Si malgré le refus de la dispense, vous souhaitez suivre votre formation, ceci aura un impact sur votre droit aux allocations de chômage. (…). »
M. V. a néanmoins commencé sa formation à partir du 6 novembre 2020.
Le 2 juin 2021, M. V. est invité par l’ONEm à présenter sa défense à ce sujet.
Il a exposé dans sa défense écrite qu’il avait effectivement commencé cette formation pour avoir plus d’opportunités sur le marché du travail. Il a, conformément au courrier du Forem, continué à respecter toutes ses obligations comme demandeur d’emploi et pris contact avec la FGTB. Un agent lui a indiqué qu’il pouvait continuer à percevoir ses allocations tant qu’il cherchait un emploi. Il a joint à ce courrier les preuves de ses recherches.
Par une décision du 2 juillet 2020, l’ONEm l’exclut du droit aux allocations du 6 novembre 2020 au 4 juin 2021, décide de récupérer les allocations pour cette période et lui applique une sanction administrative de 8 semaines à partir du 5 juillet 2021.
Les rétroactes de procédure
M. V. a introduit contre cette décision un recours dont la recevabilité n’était pas contestée. Il ne critiquait pas la décision en ce qu’il n’était pas dans les conditions pour percevoir des allocations de chômage pendant la période litigieuse mais uniquement la récupération. Il prétendait à titre principal que, dans la mesure où il n’avait perçu aucun revenu, il ne devait, en vertu de l’article 169, alinéa 5 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, rien rembourser. A titre subsidiaire, il entendait limiter la récupération aux jours effectivement prestés, soit les jours de stage équivalant à 32 jours en application de l’article 169, alinéa 3 de cet arrêté royal. A titre infiniment subsidiaire, il invitait les juridictions du travail à limiter la récupération aux 150 derniers jours, sur la base de l’article 169, alinéa 2 de l’arrêté royal.
Par un jugement du 19 mai 2022, la 6e chambre du tribunal (div. Namur) a confirmé la décision de l’ONEm sous les émendations que (i) la récupération est limitée aux 30 jours réellement travaillés par M. V. entre le 6 novembre 2020 et le 4 juin 2021 et (ii) la sanction administrative est limitée à un avertissement.
L’ONEm a interjeté appel de ce jugement, sollicitant la confirmation de la décision administrative.
L’arrêt commenté
La cour du travail souligne qu’elle n’est saisie que de la récupération de l’indu et du remplacement de la sanction administrative par un avertissement.
Sur la récupération, l’arrêt examine les cas de figure prévus par l’article 169 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.
Le principe énoncé par l’article 169 alinéa 1er est que toute somme payée indûment doit être remboursée.
Les alinéas 2, 3 et 5 permettent la limitation de l’indu.
L’alinéa 3 prévoit que lorsque le chômeur ayant contrevenu aux articles 44 ou 48 de l’A.R. prouve qu’il n’a travaillé que certains jours ou pendant certaines périodes, la récupération est limitée à ces jours ou à ces périodes.
Aux termes de l’alinéa 5, le montant de la récupération peut être limité au montant brut des revenus dont le chômeur a bénéficié et qui n’étaient pas cumulables avec les allocations de chômage lorsqu’il prouve qu’il a perçu de bonne foi des allocations auxquelles il n’avait pas droit ou lorsque le directeur décide de faire application de la possibilité de ne donner qu’un avertissement.
L’arrêt analysé exclut l’application de ces alinéas 3 et 5 au cas de M. V.
Il s’approprie l’enseignement d’un arrêt de la Cour de cassation du 29 février 2016 (J.T.T., 2016, pp. 263 et ss.) Dans ce cas d’espèce, l’indu résultait de l’exclusion du chômeur du bénéfice des allocations de chômage pour ne pas s’être conformé aux obligations prescrites en matière de contrôle par l’article 71 de l’arrêté royal. La Cour de cassation reproduit l’alinéa 3 de l’article 169, qui vise expressément la contravention aux articles 44 et 48. Quant à l’alinéa 5 de cet article 169, il « n’est susceptible de s’appliquer que lorsque l’exclusion d’où résulte l’indu est fondée sur la circonstance que le chômeur a exercé une activité qui lui a procuré des revenus ».
Par contre, l’arrêt commenté applique la limitation de la récupération aux 150 derniers jours d’indemnisation prévue par l’article 169 alinéa 2 de l’arrêté royal. La cour du travail se réfère à un arrêt de la 13e chambre de cette cour (C. trav. Liège (division Namur), 8 septembre 2015, R.G. 2014/AN/117), qui explique que cette disposition « est liée à la conscience du caractère indu des sommes perçues (…). Par conséquent, n’est pas pertinente la question de savoir si le chômeur se trouve - en tout ou en partie ou encore de manière légitime ou non - à l’origine de l’indu ou si ce dernier n’est imputable qu’à l’administration de l’ONEm, de l’organisme de paiement, voire à un tiers. »
Elle reproduit également l’enseignement d’un arrêt de la Cour de cassation du 16 février 1998 (Cass., 16 février 1998, S. 97.0137N), qui indique que « cette disposition n’interdit pas au juge de tenir compte, lors de l’appréciation de la bonne foi, de l’intention et de la connaissance du chômeur » et que « la négligence n’exclut pas la bonne foi ».
M. V. explique qu’à la lecture du courrier du Forem, il a cru pouvoir suivre la formation litigieuse pour autant qu’il continue à se soumettre aux différentes obligations évoquées dans ledit courrier et qu’il a suivi le conseil de contacter son organisme de paiement, qui lui aurait confirmé que, s’il restait disponible sur le marché de l’emploi, il n’y aurait pas de conséquences quant à son droit aux allocations.
L’arrêt analysé retient que, si la prise de contact avec son organisme de paiement n’est pas démontrée, les nombreuses démarches de recherches d’emploi pendant la période litigieuse sont établies. Il retient également que la formation a été suivie en vue d’accroitre ses chances de trouver un emploi.
La cour du travail conclut que la bonne foi de M. V. est établie et ordonne la réouverture des débats pour permettre l’établissement d’un nouveau décompte de l’indu.
Elle confirme le jugement dont appel en ce qu’il a remplacé la sanction administrative par un avertissement, vu le contexte de ce litige et l’ONEm n’avançant aucun élément justifiant de réformer le jugement sur ce point.
Intérêt de la décision commentée
Le texte même de l’article 169, al. 3, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 énonce précisément son champ d’application, étant la violation des règles fixées par ses articles 44 et 48.
L’alinéa 5 de cette disposition est peut-être moins précis mais il est certain qu’il ne vise pas à atténuer les conséquences de la violation de l’article 68 de l’arrêté royal organique, qui prive, en règle, du droit aux allocations de chômage le chômeur qui (i) soit suit des études de plein exercice, (ii) soit suit une formation au sens de l’article 92 AR (iii) soit est lié par un contrat d’apprentissage.
Le spectre des études ainsi interdites est donc très large et il ne se conçoit pas que le Roi ait entendu protéger de la récupération les seuls chômeurs dont la formation comporterait un stage et a fortiori un stage non rémunéré.
L’arrêt contient de nombreuses références de jurisprudence, qui permettent de clarifier les trois hypothèses de réduction de la récupération de l’indu contenues dans l’article 169 de l’arrêté royal organique et de préciser la notion de bonne foi qui, souligne H. MORMONT (H. MORMONT, « La révision des décisions et la récupération des allocations », La réglementation du chômage : vingt ans d’application de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, Etudes pratiques de droit social, 2011/15, Kluwer, pp 681 à 685) « n’est pas définie et le moins qu’on puisse dire est que cette notion donne lieu à des interprétations diverses ».