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Notion d’interruption temporaire d’une activité d’indépendant exercée à titre principal et droit aux allocations de chômage

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 9 novembre 2023, R.G. 2020/AB/627

Mis en ligne le jeudi 29 février 2024


C. trav. Bruxelles, 9 novembre 2023, R.G. 2020/AB/627

Dans un arrêt du 9 novembre 2023, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que la notion d’interruption temporaire d’une activité indépendante exercée à titre principal au sens de l’article 55, 3°, de l’arrêté royal organique chômage ne peut trouver à s’appliquer en cas de cessation d’activité.

Les faits

Un ingénieur industriel a exercé une activité en tant que salarié de 1984 à 2008.

Il a alors entrepris une activité d’indépendant à titre principal. Il s’agit de missions en qualité de ‘manager consultant’ dans le cadre de contrats de service à durée déterminée.

Le 29 juin 2015, l’intéressé a fait une déclaration de cessation d’activité et s’est inscrit comme demandeur d’emploi. Il a dès lors bénéficié des allocations de chômage sur la base de sa déclaration (formulaire C1).

Le 30 septembre 2015, il a repris son activité d’indépendant, ne percevant pas d’allocations de chômage, et ce jusqu’au 1er août 2016.

Il a alors une nouvelle fois sollicité le bénéfice de celles-ci (formulaire C 109), précisant qu’il avait exercé une activité d’indépendant à titre principal pour la période visée ci-dessus. La cessation d’activité a été enregistrée auprès des administrations.

L’intéressé a dès lors bénéficié des allocations de chômage jusqu’au 23 janvier 2017, date à laquelle il a alors repris son activité jusqu’au 28 février 2018.

À partir du 1er mars, il a de nouveau sollicité le bénéfice des allocations, confirmant l’exercice de l’activité indépendante pour la période antérieure.

Les allocations lui ont ainsi été accordées jusqu’au 23 mai, date à laquelle il a une nouvelle fois repris son activité d’indépendant sans percevoir d’allocations.

Une enquête a été diligentée par l’ONEm, suite à laquelle une décision fut prise le 14 novembre 2018, l’excluant du bénéfice des allocations pour deux périodes (2 août 2016 - 23 janvier 2017 et 1er mars 2018 - 23 mai 2018), en application de l’article 55 de l’arrêté royal organique, l’ONEm décidant également de récupérer les allocations indûment perçues (de l’ordre de 10.000€).

Sur le plan de la motivation, la décision administrative précise en ce qui concerne l’exclusion qu’il est ressorti de du répertoire général des travailleurs indépendants que l’intéressé interrompt régulièrement son activité d’indépendant exercée à titre principal et que ces interruptions sont inférieures à 6 mois. Elles doivent dès lors être considérées comme temporaires, de sorte qu’il ne peut bénéficier des allocations de chômage pendant ces périodes.

La procédure

La décision administrative a été contestée par requête du 20 décembre 2018 déposée devant le tribunal du travail francophone de Bruxelles.

L’intéressé demandait au tribunal à titre principal d’annuler la décision de l’ONEm et à titre subsidiaire de faire application de l’article 17 de la Charte de l’assuré social. Il sollicitait également que l’ONEm soit condamné à prendre une nouvelle décision rectificative prenant effet le premier jour du mois suivant sa notification. À titre subsidiaire il sollicitait la mise en cause de la responsabilité de l’ONEm et à titre très subsidiaire celle de la CAPAC. L’ONEm introduisit pour sa part une demande reconventionnelle tendant au paiement de l’indu.

Le tribunal statua par jugement du 25 septembre 2020 accueillant le recours. Il annula en conséquence la décision de l’ONEm du 14 novembre 2018.

L’ONEm interjette appel.

Position des parties devant la Cour

L’ONEm demande de faire droit à son appel et de mettre à néant le jugement dans toutes ses dispositions, la décision administrative devant être rétablie et l’intéressé condamné au remboursement de l’indu.

Celui-ci introduit un appel incident précisant ses demandes, étant que, à titre principal, il sollicite l’annulation de la décision de l’ONEm et, à titre subsidiaire, qu’il soit fait application des articles 149 de l’arrêté royal et de la Charte de l’assuré social. Il maintient sa demande à titre infiniment subsidiaire en ce qui concerne la responsabilité de l’ONEm, mais ne forme aucune demande à l’égard de la CAPAC.

Les arrêts de la Cour

La Cour a rendu un premier arrêt le 28 avril 2022, s’interrogeant sur la recevabilité de l’appel au motif de l’indivisibilité du litige, qui concerne également la CAPAC.

Dans l’arrêt du 9 novembre 2023, la Cour rappelle que l’inobservation de l’article 1053 du Code judiciaire (qui impose, lorsque le litige est indivisible, que la partie appelante dirige son appel à l’encontre de toutes les parties dont l’intérêt est opposé au sien et mette à la cause avant la clôture des débats les autres parties non appelantes ni déjà intimées ou appelées) est sanctionnée par l’inadmissibilité de l’appel. Elle conclut cependant qu’il n’y a pas indivisibilité en l’espèce, la CAPAC n’ayant pas d’intérêt opposé à celui de l’ONEm. En conséquence, l’appel de celui-ci, dirigé uniquement contre l’assuré social, est recevable.

Sur le fond après le rappel de l’article 44 de l’arrêté royal, la cour en vient à son article 55, 3°. Elle souligne que l’arrêté royal lui-même ne définit pas ce qu’il faut entendre par la notion d’interruption temporaire et qu’aucune habilitation n’a été donnée au Roi à cet effet.
Elle reprend le commentaire de l’ONEm relatif à cette disposition, qui précise qu’elle a pour but d’éviter que des indépendants demandent des allocations en ‘basse saison’. Une longue période de chômage (au moins 6 mois) n’est toutefois plus considérée comme une ‘interruption temporaire’ mais comme un arrêt de l’activité. Dans ce cas, cet article n’est pas appliqué.

En outre, la cour note que l’Avocat général dépose la feuille INFO (T87) de l’ONEm, qui donne notamment des indications sur l’incidence de l’activité indépendante sur le droit aux allocations de chômage. À la question concernant l’interruption temporaire de l’activité indépendante, cette feuille donne comme réponse que le chômeur ne peut pas bénéficier des allocations pendant une interruption de moins de 6 mois.

Pour la cour, ceci constitue une interprétation de la réglementation qui ne repose sur aucune base légale concrète. Elle poursuit, précisant que ceci doit avoir été aligné sur le délai de l’article 55, 2°, selon lequel aucune allocation n’est accordée en cas d’abandon d’emploi salarié pour exercer une profession qui n’assujettit pas à la sécurité sociale, secteur chômage, en tout cas pendant 6 mois au moins à compter de l’abandon d’emploi.

Elle relève encore que l’article 55, 4°, prévoit qu’aucune allocation n’est octroyée en cas d’abandon d’un emploi salarié pour élever son enfant pendant la durée de l’indisponibilité, en tout cas pendant 6 mois au moins à compter de l’abandon d’emploi.

Pour la cour, s’il avait été question de viser par interruption temporaire une durée inférieure à 6 mois, ceci aurait été mentionné expressément à l’article 55, 3°, comme ceci a été fait pour les deux alinéas qui l’entourent.

Renvoi est également fait à un arrêt du 12 mars 2020 de la même cour (autrement composée – C. trav. Bruxelles, 12 mars 2020, R.G. 2018/AB/876), selon lequel il a déjà été admis qu’en l’absence de précision dans la réglementation, les termes ‘interruption temporaire’ doivent s’entendre dans leur sens usuel, c’est-à-dire qu’ils doivent contenir une notion d’arrêt ou de coupure de l’activité limitée dans le temps.

La cour cite ensuite un extrait du jugement dont appel, qui a précisé que « l’interruption au sens de la disposition en cause doit s’entendre d’une rupture de l’exercice de l’activité dans sa continuité. Même si le mot ‘interruption’ contient une notion d’arrêt, et même si les mots ’interruption’ et ‘arrêt’ ou encore ‘cessation’ ont des sens très proches au point de pouvoir les qualifier de synonymes, les mots ’arrêt’ et ‘cessation’ marquent quelque chose de plus fort, de plus irréversible, l’idée de stopper, de ne plus faire, de mettre un terme, là où l’interruption traduit davantage quelque chose de momentané dans une action appelée à se poursuivre. Il y a là une nuance sémantique d’importance, sans doute plus facilement perceptible dans le langage juridique, à travers le concept d’‘interruption de la prescription, qui marque certes une rupture dans le cours du délai de prescription, mais qui signifie aussi qu’un nouveau délai recommence à courir immédiatement à compter de la date de l’acte interruptif » (9e et 10e feuillets de l’arrêt).

Sa conclusion est qu’il n’y a pas lieu de tenir compte du critère des 6 mois retenu par l’ONEm, mais de vérifier à partir des circonstances de la cause s’il y a une interruption temporaire de l’activité indépendante au sens de la réglementation.

En l’espèce, l’ONEm s’est uniquement basé sur la question des 6 mois et n’a pas examiné concrètement la situation de l’assuré social. Or, chaque fois, celui-ci a définitivement cessé son activité, ainsi qu’il ressort des démarches effectuées auprès de la caisse et auprès de l’administration de la TVA. À chaque demande d’allocations, il a en outre rempli un formulaire C1 et annexé les preuves de cessation d’activité. La cour souligne également que celui-ci a précisé à l’audience qu’il avait procédé de la sorte dans la mesure où il ne savait pas s’il pourrait retrouver d’autres missions en tant qu’indépendant. Dans la mesure où il y a eu cessation totale de l’activité à la fin de chaque mission et que l’intéressé n’avait plus de lien avec les clients pour lesquels il avait presté, la cour rejoint la conclusion du tribunal : eu égard à la cessation effective de l’activité il n’y a pas lieu de considérer qu’il y avait une simple interruption momentanée de celle-ci.

Intérêt de la décision

L’interprétation à donner à l’article 55, 3°, de l’arrêté royal organique est très judicieusement rappelée par cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 9 novembre 2023.

Si la notion n’est définie ni dans l’arrêté royal lui-même, ni dans un autre texte (aucune habilitation n’ayant été donnée au Roi, ainsi que le rappelle la cour du travail, la jurisprudence a eu l’occasion de se saisir de la question.

Ainsi dans un arrêt du 21 février 2008 (C. trav. Bruxelles, 21 février 2008, R.G. 48.531), la Cour du travail de Bruxelles avait déjà considéré, à propos de l’incidence d’une période d’activité comme indépendant à titre principal sur le droit aux allocations de chômage lors d’une demande ultérieure d’allocations, que c’est au moment de l’exclusion qu’il faut se situer (peu importe, ainsi, l’évolution de la situation, étant notamment de savoir si l’intéressé reprendra ultérieurement une activité comme indépendant).

Dans cet arrêt, la cour conclut en outre que ne peut être constatée une interruption, ‘temporaire’ d’une activité d’indépendant en l’espèce, même si l’intéressé avait maintenu son inscription au registre du commerce et à la TVA, dans la mesure où le fait de ne pas avoir renoncé à ces inscriptions n’établit pas la réalité du caractère ‘temporaire’ de l’interruption elle-même, justifiant une décision (qualifiée de grave par la cour) d’exclusion alors que l’activité indépendante n’était pas effectivement exercée ni reprise.

Par ailleurs, dans l’arrêt du 12 mars 2020 (C. trav. Bruxelles, 12 mars 2020, R.G. 2018/AB/876), dont question dans l’arrêt commenté, il a été rappelé que l’article 55, 3°, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 a pour but d’éviter que le régime des allocations de chômage serve à financer le chômage temporaire des indépendants. Ce texte ne définissant pas ce qu’il y a lieu d’entendre par ‘interruption temporaire’ et n’habilitant pas le Ministre à cette fin, ces termes doivent dès lors s’entendre dans leur sens usuel, lequel implique l’arrêt ou une coupure de l’activité limitée dans le temps.

Ainsi en est-il lorsque le bénéficiaire alterne des périodes d’exercice à titre principal d’une activité indépendante avec des périodes de chômage complet, qu’il reprend entre les missions temporaires qu’il décroche et effectue des missions, en tant qu’indépendant, sous le couvert de sa qualité d’associé actif de la société qui lui appartient. L’on notera - et ceci a été relevé par la Cour du travail de Bruxelles dans son arrêt du 9 novembre 2023, que l’assuré social maintenait dans ce dossier un lien (associé actif) avec la société – ce qui n’est pas le cas dans l’espèce commentée.


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