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Conditions de l’expertise judiciaire dans le secteur AMI

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 23 avril 2014, R.G. n° 2013/AB/309

Mis en ligne le mardi 8 juillet 2014


Cour du travail de Bruxelles, 23 avril 2014, R.G. n° 2013/AB/309

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 23 avril 2014, la Cour du travail de Bruxelles appelle à un examen réaliste et circonstancié des éléments invoqués par les demandeurs d’indemnités AMI devant les juridictions du travail, aucune exigence légale n’imposant à ceux-ci de déposer un certificat concluant à l’existence d’une perte de capacité de plus des deux tiers.

Les faits

Une assurée sociale reconnue en incapacité de travail depuis mars 2011, reçoit une notification de fin d’incapacité fin 2011, décision contestée devant le tribunal du travail.

Le tribunal considère que les pièces déposées par l’intéressée ne permettent pas d’établir l’existence d’une contestation médicale susceptible de donner lieu à la désignation d’un expert.

Celle-ci est dès lors déboutée sur la base des pièces produites. Elle a déposé à l’appui de sa contestation la notification de fin d’incapacité, intervenue fin 2011 et a apporté un rapport d’une psychologue clinique, qui conclut à un stress post-traumatique, lié à un accident de 2009. Le rapport ne fait cependant pas état d’une incapacité de travail supérieure à 66% au sens de la réglementation AMI.

Elle interjette appel.

Décision de la cour du travail

La cour constate, d’abord sur le plan des faits, que la période d’incapacité de travail débutant en mars 2011 a été précédée, deux ans auparavant, d’une première incapacité, consécutive à un accident sur le chemin du travail (dont la cour relève qu’elle n’a apparemment pas été indemnisée).

L’arrêt constate ensuite que la décision du médecin-conseil de la mutualité se fonde sur la considération que « aucun assureur loi ou droit commun » n’admettrait la prise en compte de cette incapacité, vu sa longueur et le diagnostic posé.

La cour rappelle que c’est l’assuré social qui a la charge de la preuve de l’incapacité de travail mais que cette notion est complexe, mêlant des éléments d’ordre juridique et médical.

Elle considère que le tribunal a été d’une sévérité excessive envers la demanderesse, eu égard aux éléments qu’elle avait cependant déposés. Elle renvoie à la jurisprudence de la Cour Européenne des droits de l’homme, en deux arrêts (Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas, arrêt du 27 octobre 1993, série A, n° 274 et Agrati et autres c. Italie, arrêt du 7 juin 2011, n° 43549/08, 6107/09 et 5087/09), dans lesquels la haute juridiction a rappelé que le droit au procès équitable notamment renferme celui de l’égalité des armes. Citant la jurisprudence ci-dessus, la cour rappelle que ceci implique en matière civile l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause en ce compris ses preuves dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire.

Il s’agit en l’espèce d’un litige qui oppose un assuré social à une institution de sécurité sociale, elle-même disposant de services spécialisés et la cour considère qu’un tel type de litige est susceptible d’entraîner un risque de violation de ce principe de l’égalité des armes.

Le juge doit dès lors faire preuve de prudence et privilégier une approche réaliste, tenant compte du fait que le conseil médical de l’assuré social n’est généralement pas un spécialiste de l’évaluation du dommage corporel. La cour renvoie à un jugement du Tribunal du travail de Bruxelles du 21 décembre 2012 (Trib. trav. Bruxelles, 21 décembre 2012, R.G. n° 11/16.962/A), qui a rappelé qu’il s’agit ici de la mise en œuvre d’un droit fondamental inscrit à l’article 23, 2° de la Constitution et qu’il faut garantir l’effectivité réelle des droits sociaux qui y sont inscrits.

Reprenant les éléments produits par l’intéressée, la cour relève qu’il s’agit d’un testing psychologique, évoquant une décompensation anxio-dépressive compatible avec un état de stress post-traumatique. Ce rapport fait également état de la possibilité que cette anxiété soit invalidante au quotidien vu l’inhibition affective importante dont souffre l’intéressée.

Pour la cour, le tribunal ne pouvait dès lors conclure à l’absence de contestation médicale sérieuse.

La cour fustige encore la motivation de la décision du médecin-conseil, dont elle retient que celle-ci ne revèle pas en soi une analyse « particulièrement approfondie de la situation individuelle ».

Elle rappelle encore la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 1er octobre 1990, Pas. 1991, I, p. 101) selon laquelle l’évaluation de l’incapacité de travail impose de déterminer la réduction de la capacité de gain en fonction de l’ensemble des lésions constatées au moment de l’interruption de travail (et non eu égard à des lésions ou troubles fonctionnels nouveaux ou à l’aggravation de lésions ou de troubles qui ont entraîné l’incapacité).

C’est donc l’ensemble qui doit être pris en compte et, poursuivant le rappel des principes en la matière, la cour précise encore que c’est au stade de l’indemnisation que, sur la base de l’article 136, § 2, alinéa 1er de la loi coordonnée, il y aura lieu de tenir compte éventuellement de l’indemnisation en accident du travail. Elle renvoie à une jurisprudence constante à cet égard.

Elle conclut dès lors qu’il faut désigner un expert psychiatre, avec la mission de déterminer si les conditions de la loi cordonnée sont remplies pour bénéficier des indemnités d’incapacité.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles va puiser dans les principes fondamentaux de la Convention Européenne des droits de l’homme les garanties à respecter lors de contestations médicales surgissant dans le cadre de recours en matière de soins de santé et indemnités. La cour rappelle que le principe de l’égalité des armes doit guider le juge dans son examen des éléments du dossier et qu’il doit faire preuve de prudence et de rigueur dans l’analyse des éléments qui lui sont soumis. Cet arrêt admet dès lors que, comme en l’espèce, l’admission d’une contestation médicale peut intervenir dans le cadre de la législation AMI même si les éléments produits par la partie demanderesse ne révèlent pas expressément la perte de capacité de plus de deux tiers.

La cour adopte ainsi une approche conforme aux principes de la matière, s’agissant d’une loi d’ordre public, dont aucune disposition n’impose le formalisme du dépôt d’un certificat d’incapacité admettant la réduction de celle-ci à un tiers ou moins.


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