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Règlements CEE n° 1408/71 et 883/2004 : détermination de l’Etat membre compétent pour l’octroi d’une prestation familiale

Commentaire de C.J.U.E., 11 septembre 2014, aff. n° C-394/13

Mis en ligne le mercredi 12 novembre 2014


Cour de Justice de l’Union européenne, 11 septembre 2014, Affaire n° C-394/13

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Dans un arrêt du 11 septembre 2014, la Cour de Justice de l’Union européenne a donné la règle d’interprétation des dispositions des deux règlements relatives à la détermination de l’Etat membre compétent pour octroyer une prestation familiale eu égard à la condition de résidence habituelle.

Les faits

Une ressortissante tchèque vit en France avec son mari et un enfant mineur né en France. Le couple a conservé une résidence en République tchèque, dont l’adresse a été enregistrée conformément à la loi française. La famille bénéficie de l’assurance maladie conformément au droit français.

L’épouse a un congé de maternité en 2009. Elle perçoit à ce moment une allocation de maternité et, ultérieurement, une prestation familiale complémentaire (« prestation d’accueil du jeune enfant »). Lorsque le droit à la prestation cesse, l’intéressée introduit une demande en République tchèque, demande à laquelle il est fait droit.

Le 1er mai 2010, lors de l’entrée en application du Règlement n° 883/2004, les autorités tchèques revoient le dossier et décident de retirer le bénéfice de la prestation, au motif que la République tchèque n’est plus l’Etat membre compétent, le centre d’intérêt de la mère et de la famille étant en France.

Un recours y est introduit et le tribunal s’interroge sur la compétence de la République tchèque en matière d’octroi de la prestation. Le tribunal renvoie aux nouvelles dispositions relatives à la résidence contenues dans le Règlement n° 987/2009 (règlement d’application) et une question est dès lors posée à la Cour de Justice étant de savoir, vu les circonstances (domicile en France, exercice d’une activité professionnelle par le mari et centre d’intérêt de la famille dans ce pays ainsi que perception intégrale d’une prestation familiale de droit français), si la République tchèque est l’Etat membre compétent pour octroyer une prestation familiale-allocation parentale au sens de l’article 76 du Règlement n° 1408/71. La question est également posée dans le cadre des dispositions transitoires du Règlement n° 883/2004, la compétence d’un Etat pouvant être influencée à partir du 1er mai 2010 par la nouvelle définition de la résidence figurant aux articles 22 et suivants du Règlement 987/2009.

Décision de la Cour de Justice

La Cour aborde en premier lieu la question relative au Règlement n° 1408/71. Elle renvoie à sa jurisprudence (rappelant notamment l’arrêt Hudzinski et Wawrzyniak du 12 juin 2012, Aff. C-611/10 et C-612/10), dans laquelle elle a rappelé que les dispositions du titre II de ce Règlement tendent notamment à l’application du régime de sécurité sociale d’un seul Etat membre, et ce afin d’éviter les cumuls de législations et les complications qui peuvent en résulter. En l’espèce, l’intéressée est demeurée soumise à la législation de l’Etat membre sur le territoire duquel elle a préalablement exercé une activité salariée et sur lequel se trouve toujours sa résidence, à savoir en l’espèce la loi française.

Le Règlement 1408/71 définit (article 1er, h)) la résidence comme étant le séjour habituel, le lieu où les personnes concernées résident habituellement et où se trouve également le centre habituel de leurs intérêts. C’est une notion autonome et propre au droit de l’Union européenne (la Cour renvoyant à l’arrêt Swaddling du 25 février 1999, Affaire C-90/97).

L’intéressée étant soumise à la loi française, la Cour constate que se pose cependant la question de savoir si le Règlement 1408/71 s’oppose à ce que des prestations familiales soient octroyées en vertu du droit national d’un Etat membre qui n’est pas l’Etat membre compétent. En l’espèce, la législation tchèque autorise la chose, et ce du seul fait que l’intéressée a enregistré un domicile sur le territoire de cet Etat.

Pour la Cour de Justice, le simple enregistrement ne suffit pas, l’intéressée résidant habituellement en France avec sa famille où elle y a perçu des prestations de sécurité sociale de manière régulière. La Cour répond dès lors que le Règlement n° 1408/71 - et notamment son article 13 - doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un Etat membre soit considéré comme l’Etat compétent pour l’octroi d’une prestation familiale du seul fait de l’existence d’un domicile enregistré sur le territoire de cet Etat sans que l’intéressée et les membres de sa famille y travaillent ou y résident habituellement. En outre, à défaut de rattachement précis et particulièrement étroit entre la situation présentée et le territoire de cet Etat membre, l’article 13 s’oppose également à l’octroi de prestations familiales par l’Etat membre qui n’est pas l’Etat compétent.

La Cour répond dans le même sens en ce qui concerne les dispositions du Règlement 883/2004 relevant que le libellé de l’article 11 de ce règlement correspond à celui de l’article 13 ci-dessus et que pour des motifs analogues, l’intéressée reste soumise à la législation de l’Etat membre de résidence.

La Cour rappelle que la notion de résidence est actuellement définie dans le Règlement n° 883/2004 comme le lieu où la personne réside habituellement. La résidence est assimilée au centre d’intérêt de la personne concernée. Elle conclut dès lors qu’il n’y a pas lieu de se prononcer sur les dispositions transitoires de l’article 87 du Règlement n° 883/2004, ce Règlement n’ayant introduit aucun changement pertinent par rapport au Règlement précédent et ayant, par contre, intégré les éléments élaborés par la jurisprudence de la Cour permettant de déterminer le centre d’intérêt (durée et continuité de la présence sur le territoire des Etats membres concernés, situation familiale et liens de famille).

Elle répond dès lors à la négative : l’article 11 du Règlement n° 883/2004 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un Etat membre soit considéré comme étant compétent pour l’octroi d’une prestation familiale du seul fait qu’une personne ait un domicile enregistré sur le territoire sans qu’elle-même ou les membres de sa famille y travaillent ou y résident habituellement.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour de Justice est l’occasion de rappeler que la résidence est, au sens des règlements européens de sécurité sociale, une notion autonome et propre au droit de l’Union.

A cet égard, l’on peut renvoyer au Guide sur la détermination de la résidence habituelle en matière de sécurité sociale, guide publié par la Commission européenne en novembre 2013. Ce guide est destiné à permettre une application correcte des règles de l’UE sur la coordination de la sécurité sociale aux citoyens vivant dans un autre Etat membre. Y sont notamment clarifiées les notions de « résidence habituelle », « résidence temporaire » et « séjour ».


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