Terralaboris asbl

Des conventions de divorce par consentement mutuel prévoyant le sort des allocations familiales peuvent-elles être modifiées d’un commun accord par la suite ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 26 juin 2014, R.G. 2013/AB/1.031

Mis en ligne le vendredi 13 mars 2015


Cour du travail de Bruxelles, 26 juin 2014, R.G. n° 2013/AB/1.031

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 26 juin 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que le caractère d’ordre public des lois coordonnées en matière d’allocations familiales s’oppose à la désignation d’un allocataire dans des conditions non autorisées par la loi. La cour précise également que, si le père demande que les allocations lui soient versées parce que l’enfant et lui-même ont la même résidence principale, cette condition vise à la fois la résidence effective et l’inscription dans les registres de la population.

Les faits

Un couple avec cinq enfants divorce d’un commun accord. Les conventions de divorce prévoient un hébergement alternatif, les enfants étant domiciliés chez leur père. L’autorité parentale est exercée conjointement par les deux. En ce qui concerne les prestations sociales, il est prévu que la mère bénéficiera – et sans intervention de son (ex-)conjoint – de toutes les prestations familiales relatives aux enfants, mais qu’elle s’engage à renvoyer la moitié de celles-ci au père sur un compte bancaire à identifier d’un commun accord.

Après le divorce, les allocations familiales ont manifestement été versées sur un compte qui, selon le père, était exclusivement ouvert à son nom, la Caisse ayant cependant la conviction que, conformément aux dispositions légales, les allocations étaient payées à la mère. Le père écrit, en novembre 2008, une lettre à la Caisse, signalant qu’il perçoit les allocations depuis le divorce, situation qu’il considère conforme aux faits, les enfants étant domiciliés chez lui et la mère ayant renoncé aux allocations familiales. Il demande, en conséquence, une allocation majorée pour famille monoparentale. La Caisse contacte la mère et, celle-ci ne réagissant pas, elle paye les allocations au père directement. Un désaccord intervient entre les parents et le jugement de divorce est transmis à la Caisse. Celle-ci informe dès lors le père en février 2012 que les allocations seront à l’avenir versées à la mère.

Un recours est introduit contre cette décision par le père devant le Tribunal du travail de Louvain.

Par jugement du 1er octobre 2013, celui-ci rejette la demande. Le tribunal considère en effet que le père n’établit pas à suffisance que les parties ont modifié d’un commun accord les dispositions arrêtées dans les conventions de divorce ou qu’elles les ont adaptées. Il n’est par ailleurs pas démontré à suffisance de droit que le paiement des allocations au père serait dans l’intérêt des enfants.

Position des parties devant la cour

Le père, appelant, renvoie aux conventions, qui règlent la question du paiement des allocations, mais disposent également que les parties pourront modifier d’un commun accord les modalités intervenues. Pour le père, une telle clause est autorisée et ne requiert pas une nouvelle intervention judiciaire. Une modification qui intervient dans ce cadre est opposable à la Caisse. Il fait valoir un accord effectif entre son ex-épouse et lui-même, sur la modification intervenue, et notamment le fait qu’un compte a été ouvert à son nom en 2005 servant uniquement au paiement des allocations. Il renvoie également au fait que la mère n’a pas réagi lorsqu’elle a été interpellée par la Caisse.

Quant à celle-ci, elle sollicite la confirmation du jugement, au motif que les modalités convenues entre les parties ont été reprises dans le jugement du Tribunal de Première Instance de Louvain et que, pour qu’une modification lui soit opposable, elle devrait avoir été décidée par le tribunal.

La décision de la cour

La cour reprend l’article 69, alinéa 3 de la loi générale aux allocations familiales (LGAF). En vertu de celui-ci, lorsque les deux parents qui ne cohabitent pas exercent conjointement l’autorité parentale au sens de l’article 374 du Code civil et que l’enfant n’est pas élevé exclusivement ou principalement par un autre allocataire, les allocations sont payées intégralement à la mère. Toutefois, les allocations familiales sont payées intégralement au père, à dater de sa demande, si l’enfant et lui-même ont, à cette date, la même résidence principale (avec référence au Registre national). Le versement des allocations peut, en outre, à la demande des deux parents, être effectué sur un compte auquel ils ont l’un et l’autre accès.

Si l’un des deux parents conteste l’opportunité du paiement des allocations, il peut demander au juge de le désigner comme allocataire, dans l’intérêt de l’enfant. Cette décision produit ses effets le premier jour du mois qui suit celui au cours duquel la décision du tribunal est notifiée à l’organisme d’allocations familiales.

La cour examine les conventions de divorce, constatant qu’il a été convenu d’un commun accord que les parties exerceraient conjointement l’autorité parentale sur les enfants. Elle relève également qu’il ressort de ces conventions préalables que les enfants devaient séjourner alternativement chez le père et chez la mère. Il n’est pas établi que d’autres dispositions aient été convenues.

Pour la cour, en conséquence, eu égard au caractère public de la législation, les parties ne peuvent pas, une fois choisie la co-parenté avec exercice conjoint de l’autorité parentale, déterminer un mode de règlement des allocations familiales qui s’écarte des dispositions légales. La cour renvoie ici à la doctrine de A. VAN CLOOSTER (A. VAN CLOOSTER, « Co-ouderschap is martelaarschap ? », A.J.T., 1999-2000, p. 188). La cour rappelle que les parties sont libres de prendre des accords en ce qui concerne le partage des allocations familiales, mais qu’elles ne peuvent pas présenter à la Caisse une situation en contrariété avec les dispositions légales. Il en découle que l’on ne peut donner d’effet à la clause des conventions de divorce, par laquelle les parties pourraient prendre d’autres dispositions ultérieurement, dès lors que ceci impliquerait un mode de paiement des allocations en contradiction avec la loi. Les modifications vantées par le père ne peuvent dès lors avoir aucun effet légal.

La cour constate également que la Caisse ne peut prendre le risque de payer les allocations d’une manière qui ne serait pas conforme à ses obligations.

Reste cependant à examiner la question de savoir si, dans la mesure où les enfants sont domiciliés avec le père, celui-ci ne peut pas faire valoir l’alinéa 3 de l’article 69, qui prévoit une exception à la règle selon laquelle, en cas de partage de l’autorité parentale, les allocations sont payées intégralement à la mère. La disposition autorise en effet le paiement intégral au père à dater de sa demande si, à cette date, il y a même résidence principale. La cour constate que c’est précisément celle-ci qui a été appliquée par la Caisse pour la période ultérieure, soit en 2008.

La cour considère ici devoir préciser que cette disposition ne peut trouver application que si les enfants ont effectivement leur résidence principale chez le père et que celle-ci doit coïncider avec l’inscription dans les registres. Cette modification législative a été introduite par la loi du 25 janvier 1999 contenant des dispositions sociales.

Elle conclut que le père peut donc bénéficier des allocations à partir du moment où les enfants ont eu leur résidence principale chez lui.

Enfin, l’argument du père, selon lequel la modification interviendrait dans l’intérêt des enfants, est considéré comme n’étant pas suffisamment documenté. Il est dès lors rejeté également.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est l’occasion de rappeler, en cas de séparation des parents – dont les effets sur le plan de la garde des enfants est réglé dans le cadre de conventions préalables au divorce – que, si l’autorité parentale est exercée conjointement au sens de l’article 374 du Code civil et que l’enfant n’est pas élevé exclusivement ou principalement par un autre allocataire, le paiement des allocations est fait intégralement à la mère. Elles peuvent également être payées au père, mais ce uniquement à partir de la date de la demande et à la double condition que l’enfant ait sa résidence principale effective chez celui-ci et qu’il soit domicilié avec lui dans les registres de la population.

L’intérêt particulier de la décision est de rappeler les travaux préparatoires de la loi du 25 janvier 1999 contenant des dispositions sociales, qui a introduit par son article 19 la modification légale. L’arrêt rappelle la volonté du législateur de viser la résidence effective des enfants et pas uniquement la résidence formelle qui résulterait des registres de la population.

Rappelons également qu’actuellement, depuis la création du tribunal de la famille, c’est celui-ci qui doit examiner la question de savoir qui peut être désigné comme allocataire dans l’intérêt de l’enfant lorsque l’un des parents conteste l’opportunité du paiement des allocations.


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