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En cas de plan de réorganisation judiciaire, l’ONSS peut-il citer devant le tribunal en condamnation au paiement des cotisations qui lui sont dues ?

Commentaire de C. trav. Mons, 5 novembre 2014, R.G. 2013/AM/407

Mis en ligne le jeudi 2 avril 2015


Cour du travail de Mons, 5 novembre 2014, R.G. 2013/AM/407

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 5 novembre 2014, la Cour du travail de Mons, statuant sur l’appel de l’O.N.S.S. contre un jugement rendu par le Tribunal du travail de Tournai, confirme que l’O.N.S.S. est tenu, dans le cadre d’une telle procédure, de démontrer l’existence d’un péril grave et sérieux susceptible de menacer le règlement des montants dus.

Faits et rétroactes

Une société du secteur HORECA est en difficultés financières depuis l’année 2008. Elle a sollicité du Tribunal de commerce de Tournai un sursis de 6 mois afin de réunir l’accord de ses créanciers dans le cadre d’un plan de réorganisation judiciaire. L’homologation de ce plan a été prononcée par un jugement du tribunal de commerce en octobre 2012. Ce plan inclut une créance vis-à-vis de l’O.N.S.S. légèrement supérieure à 14.000 €. Peu de temps après l’homologation, l’O.N.S.S. introduit une citation en paiement de cotisations pour un montant de l’ordre de 8.500 €, dont 7.600 € environ au titre de majorations.

Le Tribunal du travail de Tournai déboute l’Office par jugement du 11 juin, la demande étant considérée irrecevable. Le tribunal retient également qu’il ne peut être admis qu’il s’agirait d’une action préventive dans l’hypothèse où la procédure de réorganisation judiciaire échouerait, la preuve de l’existence d’une menace grave et sérieuse au point de créer un trouble précis, condition de l’action ad futurum, n’étant pas apportée.

La position des parties devant la cour

L’O.N.S.S. considère avoir un intérêt né et actuel, dans la mesure où sa mission légale est de percevoir les cotisations sociales en vue de contribuer au financement des diverses branches de la sécurité sociale. Pour l’Office, la procédure de réorganisation judiciaire ne fait pas obstacle à ce qu’il obtienne un titre, celle-ci s’opposant uniquement aux voies d’exécution. Un créancier peut dès lors introduire une action conservatoire ou déclaratoire, et ce même si une partie de sa créance est reprise dans le plan. Il considère également qu’il y a un risque de prescription ultérieurement.

Quant à la société, elle conteste l’existence d’une menace grave et sérieuse susceptible d’entraîner la révocation du plan et souligne qu’il y a une distinction injustifiée, effectuée par l’Office entre une mesure d’exécution et un titre exécutoire. Elle plaide également que, par l’homologation du tribunal, le plan est devenu le titre exécutoire pour toutes les dettes de l’entreprise et que la situation présente ne peut être assimilée à la période de sursis (pour laquelle il a été admis qu’un titre exécutoire pouvait être demandé préventivement). Pour la société, faute de péril grave, l’action de l’O.N.S.S. doit être considérée irrecevable. Elle souligne enfin que le jugement d’homologation est une décision judiciaire déclaratoire et constitutive de droit et qu’elle fait naître un actio judicati, qui permet d’agir pendant une période de 10 ans en paiement de la créance contestée.

La décision de la cour

La cour souligne, en premier lieu, quant aux faits, que l’Office n’a jamais soutenu que la société n’aurait pas respecté les engagements souscrits au terme du plan homologué par le tribunal.

Elle examine dès lors, dans ce contexte, la recevabilité de l’action au regard des conditions exigées par les articles 17 et 18 du Code judiciaire. L’intérêt requis par l’article 17 doit être, selon l’article 18, né et actuel, une action pouvant être admise, à titre déclaratoire, en vue de prévenir la violation d’un droit gravement menacé. La cour rappelle les conditions mises à l’existence de l’intérêt légal requis, celui-ci devant être un intérêt moral effectif, mais non théorique et devant s’apprécier le jour où la demande est formée. La cour considère que l’action de l’O.N.S.S. ne peut être une action préventive, dans la mesure où est exigé, pour qu’elle ait ce caractère, que le péril soit certain, c’est-à-dire que (i) le demandeur doit établir l’existence d’une menace grave et sérieuse au point de créer un trouble précis et (ii) que la décision à intervenir doit revêtir une utilité concrète et bien définie.

La seule utilité d’une action judiciaire ne suffit pas à justifier une action déclaratoire. La cour rappelle encore que, si un problème d’exécution du plan devait intervenir, l’O.N.S.S. dispose, comme tout créancier, du droit d’en solliciter la révocation.

La mission d’ordre public de l’O.N.S.S. ne peut dès lors être retenue comme l’autorisant à introduire l’action en cause.

Enfin, la cour répond à l’argumentation relative à la prescription, relevant avec la société les effets de l’actio judicati, issus du jugement prononcé (faisant courir un délai de 10 ans à dater du jugement d’homologation). La cour rappelle encore avec l’enseignement du Professeur DE LEVAL (Eléments de procédure civile, 2e éd., Larcier, 2005, p. 239) qu’il y a eu une novation et que ce n’est plus l’ancienne créance dont le paiement doit être poursuivi, mais l’action née du jugement, le délai nouveau annulant et remplaçant le délai triennal originaire.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, la Cour du travail de Mons rappelle la portée de l’homologation du plan de réorganisation judiciaire, quant aux créances qui y sont reprises.

Dans son analyse, la cour conclut à l’irrecevabilité de la demande, au motif que n’est pas démontrée l’existence d’un péril grave et sérieux susceptible de menacer le règlement des montants dus, la société respectant les engagements pris dans le cadre du plan de réorganisation.

Il peut être utile de se référer, sur la même question, à un arrêt rendu par la Cour du travail de Liège le 21 mai 2012 (C. trav. Liège, 21 mai 2012, R.G. 2011/AL/502), qui avait conclu à la recevabilité d’une action introduite par l’O.N.S.S., en qualité de créancier sursitaire ordinaire, le dispositif de l’arrêt étant limité à dire pour droit que l’Office était titulaire d’une créance de cotisations sociales dont le montant était précisé. Dans cet arrêt, la Cour du travail de Liège avait rappelé les objectifs de la loi du 31 janvier 2009, sur la continuité des entreprises, étant le redressement de l’économie. La cour y avait précisé que l’Office a, pour sa part, la mission de récupérer les créances à charge de celle-ci et qu’il s’agit d’une mission d’ordre public consistant à assurer le financement de la protection sociale. Pour la cour, il y a lieu de réaliser un équilibre entre ces deux objectifs fondamentaux, d’ailleurs plus complémentaires que divergents, et il faut éviter d’opposer l’un à l’autre.


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