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Refus de prise en compte des recommandations du médecin du travail et référé judiciaire

Commentaire de Prés. Trib. trav. Liège, 21 avril 2016, R.G. 16/5/C

Mis en ligne le lundi 12 septembre 2016


Prés. Trib. trav. Liège, 21 avril 2016, R.G. 16/5/C

Terra Laboris

Par ordonnance du 21 avril 2016, le Président du Tribunal du travail de Liège ordonne la cessation de faits admis comme constitutifs de harcèlement et de violence au travail, étant le refus par l’employeur de tenir compte des recommandations du médecin du travail-conseiller en prévention quant aux conditions d’une reprise de travail (mi-temps, en l’occurrence).

Les faits

Un membre du personnel enseignant vit, sur son lieu de travail, des difficultés relationnelles croissantes avec un membre de sa hiérarchie, et ce depuis plusieurs années. Une plainte est déposée en novembre 2011, du chef de harcèlement et de violence au travail, contre ce dernier, directeur de l’institut d’enseignement.

A l’issue de la plainte, en avril 2012, le conseiller en prévention procède à diverses recommandations.

La situation reste complexe, étant émaillée de périodes d’incapacité, de difficultés sur le plan disciplinaire, etc. En 2015, l’enseignant est en incapacité de travail de longue durée et la reprise est prévue pour la rentrée du 1er septembre. Celle-ci est ensuite postposée au 1er mars 2016. Il devrait s’agir d’une reprise à mi-temps pour raison médicale, cette reprise s’effectuant avec conditions.

Le 1er mars, jour de la reprise, l’enseignant est convoqué.

Sa direction lui signifie qu’il est exclu de lui confier un mi-temps, la reprise devant intervenir à temps plein.

Le directeur confirme également qu’il devra continuer à en référer à lui-même et non à une tierce personne.

Une citation en référé est introduite le 14 mars. Après une première audience, où il est constaté que l’affaire est de la compétence du tribunal, celle-ci fait l’objet d’une audience de référé le 29 mars 2016.

Position des parties devant le Président du tribunal

La partie requérante demande qu’il soit mis fin avec effet immédiat à tout comportement constitutif de violence et de harcèlement moral. Sur la mesure destinée à mettre fin à ces faits, elle demande condamnation des défendeurs (le P.O. lui-même ainsi que le directeur) à organiser son accueil et sa prise en charge dans le cadre de la reprise du travail, conformément aux recommandations du médecin du travail-conseiller en prévention. Il demande que lui soit proposé un mi-temps et qu’il fasse l’objet d’un accompagnement par un membre de l’institution mandaté à cette fin et choisi d’un commun accord.

Pour les défendeurs, il y a remise en question fondamentale des qualités pédagogiques de l’intéressé. Ils se réfèrent à la circulaire n° 4908 du 26 juin 2014 de la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui fixe les conditions et modalités des congés pour maladie et font valoir que rencontrer ses desiderata n’est pas possible dans ce cadre. Il y a dès lors soit incapacité de travail, soit reprise à temps plein.

La décision du Président du tribunal

Après avoir rappelé les dispositions pertinentes de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail (articles 32ter, 32decies et 32undecies), le tribunal reprend l’enseignement d’un arrêt récent de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Brux., 17 novembre 2015, J.T.T., 2016, p. 81), selon lequel une succession de faits et de décisions irréguliers directement en lien avec l’état de santé ou le handicap du travailleur peut être constitutive de faits de harcèlement et de discrimination.

La cour y a rappelé également la notion du handicap, qui doit être expliquée comme ayant trait à un état de santé découlant d’une maladie curable ou non lorsque celle-ci conduit à une limitation, notamment due à des atteintes physiques, morales ou psychiques, et qui peut empêcher la personne concernée de participer pleinement et effectivement à la vie professionnelle, la comparaison étant faite avec d’autres travailleurs, et ce en interaction avec divers obstacles. La limitation considérée doit être de longue durée.

Après avoir rappelé les faits de l’espèce, le tribunal examine l’objet de la demande, qui est la cessation d’actes de violence ou de harcèlement au travail, et ce sur la base de recommandations claires, précises et répétées du médecin du travail. Aucune référence dans la demande n’est faite aux facultés offertes par la circulaire n° 4908 quant à des prestations réduites pour cause de maladie, et ce à des fins thérapeutiques.

Pour le tribunal, il y a manifestement des faits constitutifs de harcèlement : le directeur « ignore superbement » (texte de l’ordonnance) les mesures préventives et les recommandations du conseiller en prévention. Est également rappelé le contexte des relations professionnelles. L’exigence de la direction de reprise à temps plein est considérée comme en totale opposition avec la législation relative au bien-être au travail et à la réglementation en matière de harcèlement moral et l’intransigeance de la direction comme un abus de pouvoir et d’autorité, voire un acharnement.

Des faits sont dès lors prouvés, permettant de présumer l’existence de violence ou de harcèlement. La preuve contraire n’est pas apportée par les parties défenderesses. La cessation des faits est dès lors ordonnée dans un délai déterminé et selon des modalités précisées.

Enfin, si la mesure préconisée est en contravention avec la circulaire n° 4908 ci-dessus, le tribunal rappelle que celle-ci est un acte administratif qui ne peut venir contrecarrer les dispositions de la loi du 4 août 1996. Elle est écartée en application de l’article 159 de la Constitution.

Sont considérés, en conséquence, comme faits de harcèlement le fait de ne pas confier un travail à mi-temps et d’ordonner que la reprise de fonction se fasse à temps plein et non autrement, ainsi que celui de ne pas permettre que l’enseignant se réfère à quelqu’un d’autre que le directeur.

Des mesures concrètes sont dès lors prises en vue d’organiser l’accueil et l’accompagnement de l’intéressé lors de sa reprise du travail prévue début mai.

Intérêt de la décision

Cette ordonnance examine, dans le plus grand concret, l’évolution des relations professionnelles à l’aune de la législation en matière de harcèlement. Des mesures contraignantes sont décidées, à effet immédiat, et celles-ci font l’objet d’un encadrement strict. L’existence de faits de harcèlement a été relevée du fait de l’absence de toute considération pour le volet « bien-être », les relations professionnelles étant détériorées depuis plusieurs années et ayant d’ailleurs abouti – dans un contexte de reproches professionnels réguliers – à de longues périodes d’incapacité de travail.

C’est l’absence de tout égard pour les recommandations du médecin du travail (dans un contexte médical confirmé par d’autres médecins) qui aboutit au constat d’abus de pouvoir et d’autorité, rien ne justifiant le bien-fondé de la décision prise d’imposer la reprise du travail à temps plein.

L’on pourrait encore signaler que, sur le plan de la discrimination, l’arrêt RING de la Cour de Justice a posé le principe important que l’article 5 de la Directive n° 2000/78 doit être interprété en ce sens que la réduction du temps de travail peut constituer l’une des mesures d’aménagement visées à cette disposition. Il incombe, selon l’arrêt, au juge national de vérifier si la réduction du temps de travail en tant que mesure d’aménagement représente une charge disproportionnée pour l’employeur (C.J.U.E., 11 avril 2013, Aff. C-335/11 et C-337/11).


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