Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Huy), 20 avril 2018, R.G. 17/267/A - réformé par C. trav. Liège (div. Liège), 27 mai 2019, R.G. 2018/AL/353
Mis en ligne le vendredi 30 novembre 2018
Tribunal du travail de Liège (division Huy), 20 avril 2018, R.G. 17/267/A
Terra Laboris
Dans un jugement du 20 avril 2018, le Tribunal du travail de Liège (division Huy), statuant sur l’article 58/9 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 relatif à la réglementation chômage, admet que la sanction qu’il contient peut être modulée, en application à la fois de la jurisprudence récente de la Cour de cassation en matière de pouvoir de substitution du juge et du principe de standstill.
Les faits
L’assurée sociale est née en 1962. Elle a fait des études dans l’Horeca.
Elle a plus de 6 années de chômage depuis le début de sa carrière professionnelle, la première admission datant de 1989.
Dans la suite de sa carrière, elle a été indépendante, ouvrière de production à temps partiel et, enfin, chômeuse à temps partiel depuis mai 2011. Une première sanction avait été prise en 2012 au motif d’un problème de non-réponse à deux convocations, situation suite à laquelle elle avait eu un avertissement.
La décision du tribunal
Pour le tribunal, la carrière professionnelle n’est pas celle d’un chômeur oisif ou de quelqu’un qui « (préfère) la vie de cigale à celle de fourmi ». Dans le cadre de la procédure de contrôle de recherche active d’emploi, le tribunal relève une première évaluation négative en 2016, ayant donné lieu à un avertissement.
L’intéressée n’a pas donné suite aux convocations pour la deuxième évaluation. Il lui est alors reproché un manque de démarches dans la recherche d’emploi, outre son absence lors des entretiens d’évaluation. Elle produit, pour sa part, une attestation d’emploi confirmant qu’elle travaillait ce jour. Le tribunal considère cependant que sa justification est assez légère et que la sanction est justifiée dans son principe. Il se penche dès lors sur ses modalités, l’intéressée demandant à titre subsidiaire un sursis total ou un avertissement.
Le tribunal en vient, ainsi, à l’examen des pouvoirs du juge sur la question.
Il rappelle l’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation, reprenant ses arrêts du 10 mai 2004 (Cass., 10 mai 2004, n° S.02.0076.F) et du 5 mars 2018 (Cass., 5 mars 2018, n° S.16.0062.F). Dans ce second arrêt, la Cour suprême s’est prononcée clairement en faveur d’un pouvoir de substitution du juge, même dans l’hypothèse d’une compétence discrétionnaire dans le chef de l’administration.
Il constate cependant que l’article 58/9 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, qui vise la sanction du comportement du chômeur en cas d’évaluation négative, est une exclusion-sanction fixe et qu’il n’y a pas de fourchette. La disposition n’indique pas qu’un sursis ou un simple avertissement puissent venir l’assortir.
Vu sa nature et sa gravité, le tribunal considère qu’il s’agit d’une sanction pénale au sens de la Convention européenne des Droits de l’Homme et que cette disposition ne se limite dès lors pas à la simple vérification d’une condition d’octroi.
Il fait le détour par un autre arrêt de la Cour de cassation du 5 mars 2018 (Cass., 5 mars 2018, n° S.16.0033.F) rendu à propos de l’article 63 nouveau de l’arrêté royal organique (qui a remplacé l’ancien système des allocations d’attente et a limité dans le temps le nouveau régime d’allocations d’insertion). La Cour de cassation y a rappelé que l’article 23 de la Constitution contient une obligation de standstill et que celle-ci s’oppose à ce que le législateur et l’autorité réglementaire réduisent sensiblement le niveau de protection offert par la norme applicable s’il n’existe pas de motifs liés à l’intérêt général.
Par la combinaison de ces règles, le tribunal considère que son pouvoir de pleine juridiction l’autorise à assortir la sanction de certaines modalités, dont le sursis. Il précise encore que raisonner autrement aboutirait à l’obligation d’écarter la disposition en application de l’article 159 de la Constitution.
En l’espèce, la sanction de 13 semaines doit être assortie d’un sursis partiel pour ce qui dépasse 4 semaines, et ce vu le contexte global dans lequel évolue l’intéressée et le principe de proportionnalité.
Intérêt de la décision
Pour aboutir à la conclusion que l’exclusion-sanction n’est pas liée à une condition d’octroi mais qu’elle constitue une sanction pénale au sens de la C.E.D.H., autorisant qu’elle soit modulée, le tribunal a renvoyé aux deux arrêts rendus le 5 mars par la Cour de cassation.
Le premier (S.16.0062.F – précédemment commenté) confirme le pouvoir de substitution du juge, le contrôle judiciaire étant un contrôle de pleine juridiction. Quant au second (S.16.0033.F – également précédemment commenté), il a rejeté un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Liège du 10 février 2016 (C. trav. Liège, div. Neufchâteau, 10 février 2016, R.G. 2015/AU/48 – également précédemment commenté), où a été constatée une violation du niveau de garantie assuré par l’article 23 de la Constitution, dans la mesure où l’arrêté royal du 28 décembre 2011 a eu pour effet de faire perdre à l’intéressée simultanément ses allocations et son emploi avec la rémunération qui y était attachée. Il y a eu réduction sensible du niveau de protection offert par la norme, qui était, avant l’entrée en vigueur de la modification, applicable à l’intéressée dans son droit au travail et à la sécurité sociale.
Relevons encore que, dans un autre jugement du même jour, le Tribunal du travail de Liège (division Huy) a jugé également, en vertu des mêmes principes, pour une jeune chômeuse qui faisait également état de circonstances sociales et familiales difficiles, le principe de proportionnalité, assortissant la sanction qui lui avait été infligée – sanction de 13 semaines – d’un sursis partiel pour la partie au-delà de 6 semaines (Trib. trav. Liège, div. Huy, 20 avril 2018, R.G. 17/566/A).