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Preuve d’une cohabitation en matière de chômage : conditions de légalité de l’enquête

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 15 mars 2019, R.G. 16/1.182/A

Mis en ligne le mardi 25 février 2020


Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 15 mars 2019, R.G. 16/1.182/A

Terra Laboris

Preuve d’une cohabitation en matière de chômage : conditions de légalité de l’enquête

Dans un jugement du 15 mars 2019, le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) écarte pour illégales des observations systématiques faites par des forces de police, s’apparentant à des méthodes particulières de recherche ne répondant pas aux conditions légales.

Les faits

Une assurée sociale, bénéficiaire d’allocations d’insertion, a perçu depuis le 26 mai 2014 des allocations au taux isolé.

Suite à une vérification entreprise par l’ONEm, une correction intervient. L’ONEm agit suite à la réception de procès-verbaux d’une enquête de police effectuée dans les années 2014 et 2015, cette enquête étant réalisée suite à la suspicion de fraude au domicile fictif de l’intéressée ainsi que d’un tiers.

Ont été effectués de très nombreux devoirs de surveillance. Ainsi, sur une période d’environ 15 mois, les procès-verbaux indiquent que non moins de 261 observations du domicile sont intervenues et que des pointages ont été faits quant au véhicule du tiers se trouvant à proximité de la maison de la demanderesse.

Par ailleurs, les consommations d’eau et d’énergie sont également examinées.

L’intéressée est entendue et expose avoir fait la connaissance de son compagnon, celui-ci prestant cependant à Charleroi et n’étant chez elle qu’occasionnellement, eu égard à ses horaires de travail. Sur le plan des charges, il y a partage des courses et des frais du ménage, mais non du loyer.

Ultérieurement, une visite domiciliaire consentie a lieu sur place au domicile de la demanderesse. Des effets appartenant au compagnon y sont trouvés.

Une nouvelle audition de l’intéressée intervient et celle-ci confirme ses déclarations antérieures. Celles du tiers convergent également et des pièces sont déposées (bail, attestations de loyer et redevances, etc.). Des factures sont également transmises afin de compléter le dossier.

La décision de l’ONEm est rendue en décembre 2015. Il est conclu à la cohabitation et à l’inexactitude des déclarations faites sur le document C1.

La décision du tribunal

Le tribunal reprend, en droit, les règles de l’arrêté royal organique en ce qui concerne les catégories de chômeurs prises en compte pour déterminer le montant des allocations de chômage leur attribuées. Ce sont les articles 110 de l’arrêté royal et 59 de l’arrêté ministériel, ce dernier définissant la cohabitation. Le tribunal rappelle que, selon la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 13 janvier 1986, n° 4.975), il s’agit d’une notion de fait et que l’inscription aux registres de la population est sans incidence si elle ne correspond pas à la réalité.

Il est donc demandé dans un premier temps au chômeur de faire une déclaration (document C1). En cas de contestation de la part de l’ONEm, il appartient à ce dernier d’établir l’inexactitude de celle-ci. Le chômeur doit alors, en cas de contestation de sa part, établir qu’il remplit les conditions pour bénéficier des allocations au taux isolé ou charge de famille.

Il a la charge de la preuve de cette situation (la doctrine citée par le tribunal renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 15 janvier 2007, n° S.06.0062.F).

Avant d’examiner les éléments de fait à proprement parler, le tribunal, renvoyant à l’avis de Madame l’Auditeur du travail, s’étonne des moyens policiers mis en œuvre. Il y a eu un nombre « impressionnant » d’observations des allées et venues des intéressés. Le tribunal constate en outre que la visite domiciliaire consentie semble avoir été effectuée de manière assez brutale et relève encore que les intéressés ont même été privés de liberté.

Madame l’Auditeur du travail a vérifié la légalité de cette enquête et ses conclusions sont reprises dans le jugement. Celle-ci prend comme point de départ les 261 observations réparties sur 168 jours, observations effectuées par les policiers. Il s’agit, selon le Ministère public, d’observations qui doivent être considérées comme systématiques au sens de l’article 47sexies C.I.C. La définition est reprise comme suit : il s’agit d’une observation par un fonctionnaire de police d’une ou de plusieurs personnes, de leur présence ou de leur comportement, de plus de 5 jours consécutifs ou de plus de 5 jours non consécutifs répartis sur une période d’un mois.

Ces observations sont soumises à des règles particulières, une procédure étant prévue dans le C.I.C. et la mise en œuvre de celles-ci devant être contrôlée par la Chambre des mises en accusation en vertu de l’article 235ter C.I.C. Il y a en outre lieu d’avoir une autorisation écrite spécialement motivée du Procureur du Roi. La procédure prévoit la possibilité pour la Chambre des mises en accusation de prononcer la nullité de l’acte irrégulier. Les méthodes particulières de recherche illégales sont sanctionnées par la nullité.

Pour Madame l’Auditeur du travail, les observations sont illégales, n’ayant pas été autorisées par écrit par le Procureur du Roi et n’ayant pas été contrôlées par la Chambre des mises en accusation. Elle demande l’écartement de ces pièces, ce à quoi le tribunal fait droit.

Il relève que, si, dans la jurisprudence actuelle, les preuves illégalement recueillies ne doivent pas être écartées d’office, il existe trois exceptions, étant (i) la violation d’une règle prescrite à peine de nullité, (ii) le vice entachant la fiabilité de la preuve et (iii) la compromission du droit à un procès équitable.

Le tribunal retient encore que, outre l’illégalité du procédé, il y a eu, de la part des policiers, une surveillance disproportionnée et déloyale. Tout ce qui découle des observations est dès lors écarté.

Ne restent plus, pour le tribunal, comme indices que les relevés de consommation. Les autres éléments déclarés par les parties et confirmés en cours de procédure permettent de conclure à l’absence de ménage au sens de la réglementation du chômage.

Le recours est dès lors déclaré fondé.

Intérêt de la décision

Le contexte général du litige (condition de l’existence d’une cohabitation dans la matière du chômage) est habituel.

Le tribunal statue, sur la base des éléments de fait, dans le cadre de la jurisprudence récente de la Cour de cassation.

L’intérêt particulier de l’affaire est l’irrégularité de la preuve recueillie.

Celle-ci réside, en l’espèce, dans un ensemble impressionnant d’observations effectuées de manière systématique et sur une période déterminée, par les forces de police. C’est, sur la base de ces procès-verbaux de police qui ont été transmis à l’ONEm, que le dossier a été ouvert sur le plan administratif.

L’on ne peut que s’étonner de la filière suivie et, bien plus encore, du recours à ce qui a été qualifié à la fois par Madame l’Auditeur du travail et par le tribunal lui-même d’« observations systématiques devant être considérées comme répondant à la définition de méthodes particulières de recherche ».

Celles-ci, pour être légales, doivent être encadrées judiciairement (autorisation écrite du Procureur du Roi et contrôle par la Chambre des mises en accusation).

Il y a, comme le rappelle le tribunal, illégalité de la preuve ainsi recueillie et celle-ci tombe dans l’une des trois exceptions permettant au juge d’écarter celle-ci des débats dans une matière de sécurité sociale, l’écartement n’étant pas – comme le rappelle le jugement – automatique.


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