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Ecart salarial entre hommes et femmes et discrimination au travail

C. trav. Bruxelles, 6 février 2020, R.G. 2017/AB/818

Mis en ligne le jeudi 6 août 2020


Dans un arrêt rendu le 6 février 2020, la Cour du travail de Bruxelles, statuant en appel d’une action en cessation, reprend les conditions et critères de l’existence d’une discrimination salariale (directe et/ou indirecte) fondée sur le sexe.

Les faits

Une employée d’une institution bancaire a saisi, en 2016, appuyée par l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, la présidente du Tribunal du travail francophone de Bruxelles d’une action en cessation d’une discrimination salariale fondée sur le sexe. Elle en a été déboutée.

Elle a interjeté appel, de même que l’Institut.

L’objet de la demande de l’appel

Les parties appelantes demandent de constater l’existence d’une discrimination salariale directe fondée sur le sexe, entre l’intéressée et un de ses collègues, de constater l’existence d’une discrimination indirecte fondée sur le sexe eu égard aux rémunérations des travailleuses de la Banque, ainsi qu’une discrimination indirecte toujours fondée sur le sexe en raison notamment de l’usage et du maintien de deux barèmes de rémunération parallèles et non équivalents. Elle sollicite la cessation de ces discriminations et la condamnation de la Banque au paiement de la rémunération majorée.

Les arrêts de la cour

Deux arrêts ont été rendus par la cour.

L’arrêt du 19 juillet 2018

Cet arrêt a statué sur la discrimination salariale dans le chef de la demanderesse originaire à l’égard de son collègue. Elle a déclaré cette demande non fondée, confirmant ainsi l’ordonnance rendue. Elle a cependant rouvert les débats pour la question de la discrimination directe et/ou indirecte entre les travailleurs et les travailleuses de la Banque.

  • La mise en continuation

À l’audience du 21 février 2019, la cour a mis la cause en continuation aux fins d’obtenir des données chiffrées très précises. Il s’agit du total des rémunérations, avantages sociaux directs, primes patronales pour assurances extra-légales et autres avantages accordés en sus du salaire et ce eu égard à divers paramètres de comparaison (équivalent temps plein, groupe de travailleurs identifiés avec une ancienneté spécifique).

  • L’arrêt du 5 septembre 2019

Cet arrêt a rouvert les débats, aux fins de permettre l’examen contradictoire des pièces déposées par la Banque.

L’arrêt du 6 février 2020

Dans celui-ci, la cour vide sa saisine.

Elle expose, dans un premier temps, les règles applicables, toutes formes de discrimination entre les femmes et les hommes étant interdites dans les relations de travail et notamment pour ce qui est des conditions de rémunération par la loi du 10 mai 2007.

La Directive 2006/54/CE du Parlement et du Conseil prévoit en effet que pour un même travail ou pour un travail auquel est attribuée une valeur égale, la discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe est éliminée dans l’ensemble des éléments et conditions de rémunération (article 4).

La cour reprend ensuite et successivement la notion de discrimination, les justifications admises légalement ainsi que le régime probatoire. Sur celui-ci, elle aborde, pour ce qui est plus particulièrement la question de la discrimination indirecte, la place que jouent les statistiques lorsqu’il s’agit de présumer l’existence d’une telle discrimination. Peuvent, comme la cour le rappelle, permettre de présumer celle-ci (i) des statistiques générales concernant la situation du groupe dont la victime de la discrimination fait partie ou des faits de connaissance générale, (ii) l’utilisation d’un critère de distinction intrinsèquement suspect et (iii) du matériel statistique élémentaire qui révèle un traitement défavorable (feuillet 9).

Renvoyant à l’arrêt DANFOSS de la Cour de Justice (CJUE, 17 octobre 1989, C-109/88, DANFOSS), la cour du travail reprend l’apport de telles données pour enclencher la présomption légale.

La cour constate que pendant cette année (2017) pour la Banque en effet une différence de rémunération non liée au sexe mais en fonction de l’origine professionnelle des travailleurs doit être prise en compte.

Elle renvoie à la fusion intervenue en 1998 avec la CGER, les différences de rémunération entre les travailleurs de ces deux entreprises ayant été perpétuées par l’effet d’une garantie des droits acquis des travailleurs de la CGER, qui bénéficiaient de rémunérations plus élevées. La cour constate qu’effectivement la différence de traitement est sans lien causal avec le sexe.

Par ailleurs, pour ce qui est de l’argument avancé selon qu’existe toujours un écart salarial pendant cette année, la Banque expose que les composantes de la rémunération sont au nombre de trois, étant la rémunération fixe, la rémunération variable et les contributions patronales à l’assurance de groupe.

Pour ce qui est de la rémunération fixe, il n’y a pas de discrimination, de même que pour la rémunération variable. La différence provient de l’infériorité des contributions à l’assurance de groupe. Pour la Banque, s’agissant en son sein d’un plan de type « but à atteindre », elle a dû tenir compte de la loi du 23 avril 2003 relative aux pensions complémentaires et au régime fiscal de celles-ci et de certains avantages complémentaires en matière de sécurité sociale (loi elle-même modifiée par la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination).

Pour les travailleurs et travailleuses âgées de plus de 60 ans, seule une contribution réduite est versée si le but à atteindre est déjà constitué. Il s’agit d’une différence objective dans le cadre de contributions à l’assurance de groupe et celle-ci est sans lien causal avec le sexe.

Enfin, pour la discrimination indirecte, la cour considère également qu’elle ne peut retenir des données datant de plusieurs années, vu la nature d l’action.

Pour ce qui est de la situation actuelle, elle ne constate pas de discrimination indirecte.

Intérêt de la décision

Dans ce très intéressant arrêt, qui explore dans le concret les règles de la discrimination salariale possible entre hommes et femmes sur le plan de la rémunération, la cour a dans un premier temps demandé à être solidement documentée sur les données chiffrées relatives aux rémunérations, aux avantages sociaux directs, aux primes patronales pour assurances extra-légales ainsi que d’autres avantages accordés en sus du salaire.

L’on lira dans l’arrêt les éléments de comparaison que la cour a jugé indispensables, eu égard aux procédures internes de classification des travailleurs.

Elle a, dans son arrêt du 6 février 2020, rappelé la règle selon laquelle l’appartenance des travailleurs à une même catégorie professionnelle prévue par convention collective n’est pas, à elle seule, suffisante pour conclure qu’ils accomplissent le même travail ou un travail de valeur égale, renvoyant ici à un arrêt de la Cour de Justice (CJUE, 26 juin 2001, C-381/99) qui a rappelé sur cette question que cette circonstance ne constitue qu’un indice parmi d’autres et ce critère est rempli.

La Cour y avait également relevé dans son dispositif qu’il incombe au travailleur qui s’estime victime d’une discrimination de prouver qu’il perçoit une rémunération inférieure à celle versée à un collègue de l’autre sexe et qu’il exerce en réalité un même travail ou un travail de valeur égale, comparable à celui effectué par celui-ci. L’employeur a alors la possibilité de contester que les conditions d’application du principe de l’égalité des rémunérations sont réunies en l’espèce mais également de faire valoir des motifs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe en vue de justifier la différence de rémunération constatée.

Documents joints :

  • Toutes formes de discrimination entre les femmes et les hommes dans les relations de travail, notamment en ce qui concerne les conditions de rémunération, sont interdites par la loi du 10 mai 2007. Toutefois, en l’espèce, la différence de rémunération constatée est liée à l’origine professionnelle des travailleurs, une fusion intervenue en 1998 ayant permis aux travailleurs d’une des deux entreprises de maintenir une rémunération plus élevée. Ainsi, la différence de traitement s’avère sans lien causal avec le sexe.


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