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Interruption de carrière pour assistance à un membre du ménage ou de la famille gravement malade : qu’entend-on par « alliés » ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 14 janvier 2021, R.G. 2019/AB/936

Mis en ligne le mardi 14 septembre 2021


Cour du travail de Bruxelles, 14 janvier 2021, R.G. 2019/AB/936

Terra Laboris

Dans un arrêt du 14 janvier 2021, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que le texte de l’arrêté royal du 10 août 1998, qui instaure un droit à l’interruption de carrière pour l’assistance ou l’octroi de soins à un membre du ménage ou de la famille gravement malade, est de stricte interprétation. Pour ce qui est des membres de la famille, sont visés les parents jusqu’au deuxième degré et les alliés jusqu’au premier degré du travailleur : la notion ne peut être étendue aux cohabitants légaux.

Faits et rétroactes

L’intimé, travailleur salarié, a introduit trois demandes d’interruption de carrière (réduction des prestations d’un cinquième) pour assistance médicale. Celle-ci concerne le beau-père de son épouse. La demande a été approuvée à deux reprises par l’ONEm, mais l’absence de relation de parenté a été invoquée lors de la troisième demande, ce qui a abouti à son refus. Le beau-père n’est en effet pas marié à la mère de l’épouse de l’intimé.

En outre, une demande de remboursement a été formée pour ce qui concerne les deux premières demandes.

Un recours a été introduit par l’intéressé.

Le jugement du tribunal

Le Tribunal du travail de Louvain a estimé que le recours était fondé, considérant que la distinction faite dans le texte légal en ce qui concerne le traitement du beau-père, qui est marié à la belle-mère d’une part, et le beau-père, qui cohabite légalement avec celle-ci, de l’autre, n’est pas raisonnablement justifiée.

L’ONEm interjette appel.

Position des parties devant la cour

Position de l’appelant

L’ONEm fait valoir qu’en vertu de l’article 3 de l’arrêté royal du 10 août 1998, les travailleurs salariés peuvent diminuer leurs prestations de travail d’un cinquième en vue de fournir une assistance ou des soins à un membre du ménage ou de la famille gravement malade. Par « membre du ménage », il faut comprendre toute personne qui cohabite avec le travailleur. Par contre, les « membres de la famille » visent les parents jusqu’au deuxième degré et les alliés jusqu’au premier degré.

Lorsque le travailleur cohabite légalement, les parents sont également pris en compte jusqu’au premier degré du cohabitant légal, de même que les enfants de celui-ci. Ils sont considérés comme membres de la famille.

L’alliance est un lien juridique qui est issu du mariage au sens strict et qui ne peut découler de toute cohabitation légale ou de fait. L’intimé ne peut, pour l’ONEm, prodiguer une assistance médicale pour le partenaire cohabitant légal de sa belle-mère. Il n’y a en l’espèce aucune violation du principe d’égalité, puisque la situation ne vise pas des personnes qui se trouvent dans une situation comparable. Il faut faire une distinction entre les différentes formes de cohabitation sur le plan de la protection juridique. Une distinction a été opérée entre différentes catégories de personnes, avec comme critère objectif l’étroitesse du lien entre le demandeur de l’interruption et le membre de la famille malade. Ce lien a été fixé à la situation de personnes mariées et non aux cohabitants légaux.

En l’espèce, ce n’est que lors de la troisième demande qu’il est apparu qu’il n’y avait pas mariage. L’ONEm soulève que, pour des raisons d’équité, il ne réclamera pas le remboursement des montants faisant l’objet des décisions administratives querellées.

Position de l’intimé

L’intimé fait valoir qu’il a demandé à deux reprises, avec succès, à bénéficier de l’interruption de carrière et qu’il n’était pas conscient du fait que la situation pouvait ne pas être conforme à la réglementation. Si le dossier avait été correctement suivi, il aurait veillé à ce que la demande soit introduite au nom de la mère de son épouse. Il considère que les articles 3 et 4 de l’arrêté royal du 10 août 1998 sur lesquels se fonde l’ONEm violent le principe constitutionnel d’égalité, dans la mesure où il aurait eu droit aux allocations d’interruption si le beau-père avait été marié avec la belle-mère. Cette distinction de traitement ne repose pas sur un critère objectif et n’est pas raisonnablement justifiée.

Il renvoie à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, qui, à diverses reprises, a considéré qu’une distinction entre cohabitants légaux et personnes mariées était raisonnable et basée sur un critère objectif. Cependant, en n’élargissant pas le bénéfice de l’article 4 de l’arrêté royal aux cohabitants légaux, il y a une distinction de traitement qui n’est pas raisonnable. L’appréciation de la légalité de l’arrêté royal ne peut être faite par la Cour constitutionnelle, mais est de la compétence des juridictions du travail.

L’intimé conteste encore la référence faite par l’ONEm à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 5 avril 2018 (C. trav. Bruxelles, 5 avril 2018, R.G. 2017/AB/329), qui a statué dans le cadre de l’arrêté du 19 novembre 1998 et non dans celui de l’arrêté royal du 10 août de la même année. Il sollicite en conséquence la confirmation du jugement.

La décision de la cour

La cour constate que le formulaire C61 contient la mention de « beau-père » et que la réalité de la situation est apparue lors de la troisième demande, qui a entraîné la révision des décisions antérieures au motif que le lien de parenté n’est pas conforme à la réglementation.

La cour rappelle l’arrêté royal du 10 août 1998, qui a été pris en exécution des articles 100 et 102 de la loi de redressement du 22 janvier 1985, contenant des dispositions sociales. Cet arrêté royal instaure un droit à l’interruption de carrière pour l’assistance ou l’octroi de soins à un membre du ménage ou de la famille gravement malade. Il permet de suspendre complétement l’exécution du contrat de travail sur la base de l’article 100 de la loi du 22 janvier 1985 ou de réduire les prestations de travail à temps plein d’un cinquième. Est considérée comme membre du ménage toute personne qui cohabite avec le travailleur et comme membres de la famille les parents jusqu’au deuxième degré et les alliés jusqu’au premier degré de celui-ci.

Lorsque le travailleur cohabite légalement, les parents jusqu’au premier degré de son cohabitant légal et les enfants de ce cohabitant légal sont considérés comme membres de la famille du travailleur. La notion de cohabitation légale est la situation de vie commune de deux personnes telle que réglée par les articles 1475 et suivants du Code civil.

L’arrêté royal définit par ailleurs la maladie grave comme toute maladie ou intervention médicale qui est considérée comme telle par le médecin-traitant et pour laquelle ce dernier est d’avis que toute forme d’assistance sociale, familiale ou mentale est nécessaire pour la convalescence.

Est encore prévu par le texte que la preuve de la raison de la suspension du contrat de travail ou de la rédaction des prestations de travail doit être apportée par le travailleur au moyen d’une attestation délivrée par le médecin-traitant du membre du ménage ou du membre de la famille jusqu’au deuxième degré, gravement malade, dont il ressort que le travailleur a déclaré être disposé à l’assister ou à lui donner des soins.

La cour se penche ensuite sur la notion d’« alliés », qui doit être comprise dans son sens général, étant qu’elle vise les parents du conjoint. L’alliance au sens juridique est créée par le mariage au sens strict et non par la cohabitation légale ou de fait entre une personne et les parents de son conjoint ET (la cour met en majuscules) entre une personne et les conjoints des alliés. Pour la cour, le texte est clair et il n’y a pas lieu de l’interpréter. L’assimilation avec le beau-père de l’épouse de l’intéressé ne peut être admise.

L’on n’a en l’espèce pas affaire à un parent ou à un allié au sens légal. Si le législateur avait entendu étendre la situation aux autres formes de vie admises par le Code civil, la chose aurait été précisée et la cour renvoie encore à l’avis de l’avocat général (avis verbal), qui a rappelé les articles 203, § 2, et 206 du Code civil, où une distinction est faite entre les personnes mariées et les cohabitants légaux en ce qui concerne notamment les obligations d’entretien des beaux-parents, qui existent dans le cas de personnes mariées mais non dans le cadre de la cohabitation légale.

La cour accueille dès lors l’appel.

Intérêt de la décision

Le texte de l’arrêté royal du 10 août 1998, qui instaure l’interruption de carrière pour l’assistance ou l’octroi de soins à un membre du ménage ou de la famille gravement malade, est effectivement clair. La cour en a rappelé les articles 4 et 5, alinéa 1er. L’article 4 donne les définitions et l’article 5 le mode de preuve de la raison de la suspension du contrat de travail ou de la réduction des prestations.

Il s’agit de viser certaines personnes, soit en leur qualité de membres du ménage ou de membres de la famille. Les membres de la famille peuvent être des parents ou des alliés. Les parents sont pris en compte jusqu’au deuxième degré, mais les alliés uniquement jusqu’au premier degré.

Si le ménage vise toute cohabitation (sans qu’une distinction ne soit faite entre la cohabitation légale et la cohabitation de fait, ou encore le mariage), sont considérées comme membres de la famille, pour l’application de ce droit à l’interruption de carrière, certaines personnes uniquement. En cas de cohabitation légale, sont pris en considération les parents du cohabitant légal jusqu’au premier degré (et non les autres) ainsi que les enfants de celui-ci. L’on notera que le texte ne vise pas la cohabitation de fait.

Le texte ne donne dès lors pas lieu à interprétation, comme l’a relevé la cour. L’on notera qu’il s’agit de définitions très spécifiques et liées à la matière.


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