Terralaboris asbl

Notion d’activité salariée au sens de l’article 11, § 3, sous a), du Règlement n° 883/2004

Commentaire de C.J.U.E., 25 novembre 2021, Aff. n° C-372/20, QY c/ FINANZAMT ÖSTERREICH, EU:C:2021:962

Mis en ligne le vendredi 29 avril 2022


Cour de Justice de l’Union européenne, 25 novembre 2021, Aff. n° C-372/20, QY c/ FINANZAMT ÖSTERREICH, EU:C:2021:962

Terra Laboris

Dans un arrêt du 25 novembre 2021, la Cour de Justice interprète l’article 11, § 3, sous a), du Règlement n° 883/2004, qui détermine la législation applicable, comme couvrant l’activité salariée exercée dans un Etat membre, mais également celle exercée à partir de celui-ci, dès lors qu’une série de critères (qu’elle identifie) sont remplis.

Les faits

Une ressortissante allemande, mère de trois enfants, a son domicile avec ceux-ci en Allemagne. Son époux, père des enfants, est brésilien et n’a pas de domicile enregistré dans cet Etat. La mère travaille comme coopérante et la famille a séjourné entre 2013 et 2016 alternativement en Allemagne et au Brésil, où le père a le centre de ses intérêts.

En 2016, la mère conclut un contrat de travail avec une ONG autrichienne et son lieu d’affectation se trouve en Autriche. Les membres de sa famille (et elle-même) relèvent alors de la sécurité sociale autrichienne.

Elle part en Afrique pour une mission et sa famille l’accompagne jusqu’au 15 août 2019. Cette mission a été interrompue pendant quatre mois (fin 2017 – début 2018) pour la naissance de son troisième enfant et, pendant cette période, elle a vécu chez ses parents en Allemagne et a perçu une indemnité d’accouchement versée par la caisse de maladie autrichienne. Elle a été réintégrée pendant un mois avant la fin de son contrat et a presté, ainsi, du 15 août au 15 septembre 2019 à Vienne. Pendant cette courte période (ainsi que pendant une période de formation en début de relations professionnelles), l’intéressée, son époux et ses enfants ont bénéficié d’un logement mis à leur disposition et étaient inscrits en Autriche au titre de domicile principal.

Jusqu’en septembre 2016, la mère a bénéficié d’une allocation familiale versée par l’organisme allemand pour ses deux premiers enfants. Cette allocation a été annulée en septembre 2016 au motif que l’Autriche était compétente, compte tenu du fait qu’elle travaillait dans cet Etat, son époux n’exerçant pas d’activité professionnelle en Allemagne.

Une demande a dès lors été introduite auprès de l’organisme autrichien pour les deux premiers enfants et, ultérieurement, pour le troisième. L’allocation a été refusée, au motif que le lieu d’affectation de la mère était l’Ouganda, l’activité de coopérante étant ainsi exercée dans un pays tiers. Pour l’organisme autrichien, elle n’exerçait pas d’activité salariée en Autriche au sens de l’article 11, § 3, sous a), du Règlement n° 883/2004 et ne relèverait donc pas du champ d’application de ce Règlement. Par ailleurs, l’Autriche ne pourrait être considérée comme l’Etat membre de résidence, l’appartement brièvement mis à disposition de la famille ne pouvant constituer une « résidence » ou un « séjour » au sens de l’article 1er, sous j) et k), du même Règlement, de telle sorte que l’Autriche n’avait pas non plus la qualité d’Etat de résidence au sens de l’article 11, § 3, sous e).

La procédure

Un recours a été introduit par l’intéressée, qui considérait exercer une activité salariée en Autriche, recours ainsi fondé sur l’article 11, § 3, sous a), du Règlement, et ce vu que le contrat de travail disposait que Vienne était son lieu d’affectation, les instructions lui étant par ailleurs données à partir de cette ville et d’autres prestations étant prévues en Autriche (formation préparatoire et réintégration in fine). Enfin, elle expose qu’elle se serait enregistrée à Vienne, qui serait ainsi le centre de ses intérêts.

Diverses questions préjudicielles sont ainsi posées à la Cour de Justice par le Tribunal fédéral des finances autrichien, questions au nombre de neuf. La Cour répond à toutes ces questions, sauf à deux d’entre elles, devenues inutiles vu les réponses apportées par ailleurs. Nous ne reprenons que les réponses aux questions principales.

La décision de la Cour

Sur la première question

Celle-ci porte sur l’article 11, § 3, sous a), du Règlement n° 883/2004, le juge national demandant si la travailleuse prestant dans les conditions exposées ci-dessus doit être considérée comme exerçant une activité salariée dans l’Etat membre ou si, à défaut, elle relève de l’article 11, § 3, sous e), du Règlement (Etat de résidence).

Un premier rappel général est fait par la Cour, étant que, selon sa jurisprudence, la seule circonstance que les activités d’un travailleur s’exercent en-dehors du territoire de l’Union ne suffit pas pour écarter l’application des règles de l’Union sur la libre circulation des travailleurs et, notamment, du Règlement n° 883/2004 dès lors que le rapport de travail garde un rattachement suffisamment étroit avec ce territoire. Elle renvoie à son arrêt du 8 mai 2019 (C.J.U.E., 8 mai 2019, Aff. n° C-631/17, SF c/ INSPECTEUR VAN DE BELASTINGDIENST, EU:C:2019:381).

Elle définit également le rattachement suffisamment étroit entre le rapport de travail en cause et le territoire de l’Union : celui-ci découle notamment de la circonstance qu’un citoyen de l’Union qui réside dans un Etat membre a été engagé par une entreprise établie dans un autre Etat membre, pour le compte de laquelle il exerce ses activités (avec renvoi à la même décision).

En l’espèce, s’il apparaît que la requérante n’a pas exercé son activité dans un Etat membre à proprement parler, puisqu’elle était en mission en Afrique, il n’en demeure pas moins qu’avant son départ et après cette dernière, elle a travaillé sur le territoire autrichien, où son employeur est établi, qu’elle y disposait d’un logement de fonction et que la famille a eu son domicile principal en Autriche pendant la durée du contrat de travail, y bénéficiant par ailleurs d’une couverture sociale par la caisse de maladie.

La Cour conclut que l’intéressée doit être considérée comme exerçant une activité salariée dans l’Etat membre en cause.

Sur les huitième et neuvième questions

Celles-ci portent sur le T.F.U.E. (articles 4, § 4, 45 et 208) ainsi que sur le T.U.E. (article 4, § 3) et le Règlement n° 883/2004 (Titre II), le juge de renvoi demandant si ces textes s’opposent à ce qu’un Etat membre supprime de manière générale les prestations familiales qu’il servait jusqu’alors aux coopérants qui emmènent les membres de leur famille dans le pays tiers dans lequel ils ont été affectés.

La Cour fait un premier rappel, portant sur l’article 45 T.F.U.E. : en vertu de celui-ci, tout ressortissant de l’Union, indépendamment de son lieu de résidence et de sa nationalité, qui a fait usage du droit de la libre circulation des travailleurs et qui a exercé une activité professionnelle dans un Etat membre autre que celui de résidence, relève du champ d’application de cette disposition. Ce droit ne garantit cependant pas que la même couverture sociale sera accordée dans l’Etat membre d’accueil que dans l’Etat membre d’origine, conformément à la législation de ce dernier, renvoyant à son arrêt VAN DEN BERG (C.J.U.E., 19 septembre 2019, Aff. n° C-95/18 et C-96/18, SOCIALE VERZEKERINGSBANK c/ VAN DEN BERG e.a., EU:C:2019:767).

La Cour constate que la suppression à laquelle l’organisme autrichien a procédé, étant la fin du paiement des prestations familiales servies jusqu’alors aux coopérants qui emmènent les membres de leur famille dans le pays tiers dans lequel ils ont été affectés, a un caractère général et trouve à s’appliquer de manière indifférenciée tant aux bénéficiaires ressortissant de cet Etat membre qu’aux ressortissants des autres Etats membres. Elle n’engendre dès lors pas de discrimination directe en fonction de la nationalité. Il n’y a pas non plus de discrimination indirecte, la législation nouvelle, intervenue avec effet au 1er janvier 2019 et entraînant la perte de ce droit, n’étant pas liée à l’exercice du droit à la libre circulation.

La Cour poursuit en rappelant que les articles 45 et 48 T.F.U.E. ne prévoient pas une harmonisation des régimes de sécurité sociale des Etats membres, ceux-ci conservant leur compétence pour aménager dans le respect du droit de l’Union leurs systèmes de sécurité sociale et le Traité F.U.E. ne garantissant pas à un travailleur que l’extension de ses activités dans plus d’un Etat membre ou leur transfert dans un autre Etat membre soient neutres en matière de sécurité sociale. Ces dispositions ne s’opposent dès lors pas à une législation nationale qui entraîne la suppression de manière générale des prestations familiales servies jusqu’alors aux coopérants qui emmènent leurs enfants dans un pays tiers où ils sont affectés, pour autant (i) que cette suppression trouve à s’appliquer de manière indifférenciée tant aux ressortissants de cet Etat membre qu’à ceux des autres Etats et (ii) que ladite suppression implique une différence de traitement entre les coopérants concernés non pas selon qu’ils ont ou non exercé leur droit à la libre circulation avant ou après celle-ci, mais selon que leurs enfants résident avec eux dans un Etat membre ou dans un pays tiers.

Intérêt de la décision

Dans cette affaire, aux développements juridiques complexes, il convient surtout de retenir l’interprétation donnée par la Cour de Justice à l’article 11, § 3, sous a), du Règlement n° 883/2004. Celui-ci porte sur la détermination de la législation applicable et en détermine les règles générales. Il dispose que, sous réserve des articles 12 à 16 (qui définissent des règles particulières, notamment pour l’exercice d’activités dans deux ou plusieurs Etats,…), la personne qui exerce une activité salariée ou non salariée dans un Etat membre est soumise à la législation de celui-ci. Le texte prévoit explicitement l’exercice de cette activité dans l’Etat membre.

Après un premier rappel général, selon lequel la circonstance que les activités d’un travailleur s’exercent en-dehors du territoire de l’Union ne suffit pas pour écarter l’application des règles de l’Union sur la libre circulation des travailleurs et, notamment, le Règlement n° 883/2004, dès lors qu’existe un rattachement suffisamment étroit entre le rapport de travail et le territoire, et que peut constituer un rattachement suffisamment étroit le fait d’être engagé par une entreprise établie dans un autre Etat membre pour le compte de laquelle le citoyen exerce ses activités, la Cour de Justice conclut, sur cette disposition, qu’elle est applicable dès lors que sont réunis divers critères.

En l’espèce, permettent de conclure à l’exercice d’une activité salariée dans l’Etat membre : le fait que la travailleuse salariée est ressortissante d’un Etat membre dont elle-même et ses enfants sont résidents, qu’elle est engagée dans les liens d’un contrat de travail par un employeur ayant son siège social dans un autre Etat membre, qui relève, en vertu de la législation de cet autre Etat membre, du régime de sécurité sociale obligatoire, qui reçoit son affectation dans un pays tiers non pas immédiatement après son recrutement mais au terme d’un stage de formation dans cet Etat membre et qui y retourne par la suite pour une phase de réintégration.


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