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Conditions de l’action de révision des séquelles d’un accident du travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 12 juillet 2022, R.G. 2021/AB/24

Mis en ligne le vendredi 24 février 2023


Cour du travail de Bruxelles, 12 juillet 2022, R.G. 2021/AB/24

Terra Laboris

Dans un arrêt du 12 juillet 2022, la Cour du travail de Bruxelles rappelle, pour que soit accueillie une action en révision, l’exigence d’un fait nouveau qui n’était pas connu ou qui ne pouvait pas l’être lors du règlement de l’indemnisation des séquelles de l’accident.

Les faits

Un chauffeur de poids lourd travaillant pour un organisme de la Région de Bruxelles-Capitale a eu un accident du travail en 2013, pour lequel MEDEX a proposé une consolidation au 1er mai 2014 avec un taux d’incapacité permanente de 6%. Une proposition définitive de règlement a dès lors été adressée au travailleur, qui a marqué accord sur celle-ci. Il a été procédé à la notification de la décision d’octroi d’une rente annuelle sur la base de cet accord.

En 2018, l’intéressé a introduit une demande de révision devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, qui a désigné un expert. Celui-ci a conclu qu’il existe une évolution de la pathologie (genou gauche), proposant un nouveau taux d’I.P.P. de 8%. Cette conclusion a été entérinée par le tribunal du travail.

L’appel

L’employeur interjette appel au motif de l’absence d’aggravation survenue dans le délai de révision. Il fait valoir qu’en application de l’article 9, § 3, de l’arrêté royal du 24 janvier 1969, il a notifié la décision de MEDEX au travailleur en date du 19 mars 2015, celui-ci marquant accord le 9 août 2015. La notification de la décision d’octroi est intervenue le 9 septembre 2015, en application de l’article 9, § 4, de l’arrêté royal du 24 janvier 1969. L’article 10 de celui-ci dispose que l’action en révision est ouverte pendant trois ans, délai qui commence à la notification de l’accord ou au moment où une décision judiciaire est passée en force de chose jugée.

En l’espèce, le point de départ est le 9 septembre 2015, date à laquelle est intervenue la notification de l’accord des parties sur les conséquences de l’accident. L’aggravation retenue par l’expert n’est pas survenue dans le délai de révision de trois ans mais quelques semaines avant que celui-ci ne débute.

Le travailleur renvoie, pour sa part, à l’arrêt de la Cour de cassation du 4 juin 2007 (Cass., 4 juin 2007, n° S.06.0031.F), selon lequel il ne résulte pas des articles 24 et 72 de la loi du 10 avril 1971 que seuls pourraient être invoqués à l’appui d’une demande en révision des faits survenus après que le délai de trois ans a pris cours.

En l’espèce, il rappelle qu’une évolution de sa pathologie est survenue plus de quatre mois après la décision de MEDEX, de telle manière que ce service n’a pu en prendre connaissance. A l’époque, il a subi une intervention chirurgicale, dans les suites de laquelle est apparue l’aggravation en cause (chondropathie). Lorsque, le 9 août 2015, il marqua son accord sur la proposition de règlement, il n’avait pas connaissance de l’aggravation de son état suite à cette opération du 27 juillet. Il précise qu’une chondropathie correspond à une dégénérescence du cartilage qui se constate avec le temps. Les conséquences de l’intervention chirurgicale n’ayant été vues que postérieurement, l’aggravation a été objectivée par une radiographie d’avril 2018 seulement. Il y a dès lors un fait médical nouveau, imprévisible, lors de la consolidation.

Il précise que, si, pour être recevable, l’action doit être introduite dans les trois ans de la notification de l’arrêté ministériel d’octroi de la rente (ou d’une décision passée en force de chose jugée), aucun texte n’impose que l’on ne puisse invoquer des faits survenus après la prise de cours de ce délai. Il souligne encore que, si l’on devait considérer que le fait allégué est antérieur à la prise de cours du délai de révision, il faut néanmoins constater que ce fait nouveau est postérieur à la détermination du taux d’incapacité permanente par le service compétent et à la proposition définitive adressée par l’employeur. Il peut dès lors être invoqué à l’appui de la demande de révision.

La décision de la cour

La cour relève qu’aucune disposition de la loi du 3 juillet 1967 ne régit le droit à la révision des indemnités en cas de modification de la perte de la capacité de la victime (et ce contrairement à la loi du 10 avril 1971). Cette procédure est visée pour le type de personnel en cause à l’arrêté royal du 24 janvier 1969 en son article 10. Celui-ci prévoit explicitement que « la demande en révision (…) peut être effectuée pendant trois ans à dater (…) de la notification de l’arrêté ministériel visé à l’article 9, § 4 ». Celui-ci vise l’hypothèse de l’accord de la victime, qui conduit à la notification à celle-ci de l’arrêté ministériel en cause. L’arrêté royal du 24 janvier 1969 prévoit la procédure à suivre devant MEDEX pour traiter la demande administrative de révision (celle-ci pouvant également être instruite par le tribunal du travail). Sous cette réserve, les conditions de la révision dans le secteur public et le secteur privé sont identiques.

Elle renvoie dès lors à l’article 72 de la loi du 10 avril 1971, rappelant les quatre conditions cumulatives de la demande, étant (i) une modification de l’état physique ou psychologique de la victime entraînant une modification de l’incapacité permanente, (ii) un lien de causalité avec l’accident, (iii) l’exigence d’un fait médical nouveau et (iv) la survenance de cette modification au cours du délai de révision. Elle rappelle également ce qu’il faut entendre par « fait nouveau », à savoir le fait qui n’était pas connu ou ne pouvait être connu à la date du premier accord ou de la première décision (renvoyant à Cass., 10 février 1997, n° S.96.0095.N), cette dernière condition étant nuancée eu égard aux « examens médicaux ayant été réalisés à la date de l’accord entre les parties ou de la décision » (Cass., 26 mai 2008, n° S.07.0111.F).

La cour souligne encore que la procédure en révision ne peut servir à rectifier une éventuelle erreur d’évaluation du taux ou à combler un oubli (rappelant ici l’avis de M. l’Avocat général GENICOT avant l’arrêt de la Cour de cassation du 26 mai 2008 ci-dessus). Elle reprend un extrait de l’arrêt de la Cour de cassation du 4 juin 2007, où celle-ci a jugé qu’il ne découle pas des articles 24 et 72 de la loi du 10 avril 1971 que seuls pourraient être invoqués à l’appui de la demande des faits survenus après que ce délai a pris cours, l’arrêt précisant cependant que le juge saisi de la demande nouvelle ne peut porter atteinte à la chose antérieurement jugée et doit en conséquence examiner si le juge saisi de la demande originaire a eu ou a pu avoir connaissance des faits invoqués à l’appui de la demande en révision.

En l’espèce, la cour conclut que ces conditions ne sont pas remplies, le fait nouveau résidant dans l’évolution de la pathologie du genou survenue après l’opération chirurgicale du 27 juillet 2015, cette date étant retenue par l’expert comme étant celle à laquelle est intervenue une modification imprévue en relation causale avec l’accident. Si, à l’époque, l’intéressé n’avait pas encore connaissance de l’aggravation elle-même, la cour considère qu’il disposait, vu l’opération subie, d’une information « essentielle », qu’il aurait dû porter à la connaissance de l’employeur afin que MEDEX puisse en tenir compte. Elle souligne encore que, vu l’importance de l’intervention (méniscectomie), le risque d’évolution arthrogène devait être pris en considération. Elle identifie le fait nouveau non comme étant l’évolution péjorative de la pathologie, mais l’opération chirurgicale elle-même, puisqu’elle contenait en germe le risque d’une telle dégradation. Cet événement était connu de la victime avant qu’elle ne marque son accord sur la proposition de règlement.

Intérêt de la décision

L’arrêt rendu le 12 juillet dernier par la Cour du travail de Bruxelles reprend les conditions de l’action en révision, action qui, si elle est ouverte dans tous les cas, est soumise à quatre conditions strictes, les exigences cumulées de la loi étant encore renforcées par la charge de la preuve qui incombe au travailleur, contrairement à l’action en indemnisation.

L’arrêt de la Cour de cassation du 4 juin 2007 a précisé que, si le fait nouveau requis ne doit pas être connu (ou susceptible de l’être) lors du règlement de l’indemnisation, il peut cependant consister en un élément existant avant la prise de cours du délai lui-même. Est dès lors admis un fait existant mais ignoré – contrairement à l’espèce tranchée par la cour du travail dans l’arrêt commenté. La Cour de cassation a ainsi admis que pouvait être retenu un fait nouveau invoqué à l’appui d’une demande en révision, étant une paralysie importante ayant nécessité une intervention pratiquée après le prononcé du jugement statuant sur l’indemnisation de l’accident mais avant que ce jugement ne soit passé en force de chose jugée, et donc ainsi avant la prise de cours du délai de révision. Ce fait ne pouvait dès lors être connu du juge lorsqu’il a fixé les bases de l’indemnisation.


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