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Reclassement professionnel : obligations de l’employeur en cas de réengagement du travailleur

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Tournai), 8 mars 2024, R.G. 22/747/A

Mis en ligne le lundi 10 juin 2024


Tribunal du travail du Hainaut (division Tournai), 8 mars 2024, R.G. 22/747/A

Terra Laboris

Dans un jugement rendu le 8 mars 2024, le tribunal du travail du Hainaut (division Tournai) rappelle le droit du travailleur réengagé de faire appel à un reclassement professionnel s’il perd son nouvel emploi dans les trois mois suivant son entrée en service. Ce réengagement n’est dès lors pas un motif dispensant l’ex-employeur de ses obligations en la matière.

Les faits

Une société reprit en 2020 la gestion de deux agences bancaires.

L’employeur licencia une employée, dont le contrat avait débuté en 2004, en date du 2 juin 2021, licenciement intervenant moyennant la prestation d’un préavis.

Une des agences ayant fermé ses portes, la reprise du personnel fut négociée avec la banque en juillet 2021.

Il faut mis un terme à la prestation du préavis (qui était de 10 mois et 24 semaines) en décembre 2021, une indemnité compensatoire couvrant le solde étant versée à l’employée. Ceci intervint d’un commun accord et l’intéressée fut libérée de toutes prestations. Elle signa le document rédigé à l’époque confirmant la conversion du préavis en paiement d’une indemnité « pour accord et pour réception ».

Suite à la fin du contrat, l’employeur ne lui offrit pas d’outplacement au motif qu’elle avait été réengagée. Elle retint cependant un montant correspondant à quatre semaines sur l’indemnité.

L’intéressée contesta ultérieurement à l’intervention de son organisation syndicale, rappelant que sur le formulaire C4 l’employeur avait confirmé ne pas avoir fait une offre concrète de reclassement professionnel au motif de l’engagement par l’institution bancaire.

Le syndicat précisait que la retenue légale n’était valable que si l’employeur avait fait une offre d’outplacement conforme et dans les délais prévus. Restitution de la retenue été demandée.

La société répondit, contestant la demande au motif que l’outplacement aurait été abordé avec l’employée lors de la proposition d’emploi qu’elle reçut et qu’elle avait acceptée. Par ailleurs l’employeur fait grief à celle-ci de ne pas avoir adressé un courrier recommandé demandant cette offre de reclassement professionnel dans le ‘délai légal’ après la rupture non plus que lors de la conversion de l’indemnité de préavis en indemnité.

Le syndicat répondit de manière circonstanciée, rappelant la procédure légale, qui prévoit que l’employeur disposait d’un délai de 15 jours à partir de la fin de la période couverte par le préavis pour proposer ce reclassement et que l’employée avait quant à elle alors 39 semaines pour mettre son ex-employeur en demeure de s’exécuter, le délai correspondant à 273 jours calendrier. Il était, en l’espèce, respecté.

La société contesta et l’employée finit par déposer une requête devant le tribunal du travail.

Position des parties devant le tribunal

La demanderesse considère que son courrier recommandé adressé (via l’organisation syndicale) le 7 septembre 2022 constitue une mise en demeure valable, étant formé dans le délai légal de 39 semaines après un délai de 15 jours laissés à l’employeur (article 11/7 de la loi du 5 septembre 2001). Elle estime également que le refus de l’employeur est formel (mentions sur le C4 et motif donné pour justifier son refus, étant son réengagement).

Quant à la société, elle estime avoir respecté ses obligations, vu que c’est grâce à elle que l’employée a été réengagée. Elle était donc autorisée à retenir les quatre semaines de rémunération du solde de l’indemnité. La société conteste également que le courrier du syndicat puisse valoir mise en demeure, dans la mesure où il ne lui enjoignait pas de faire une offre de reclassement professionnel.

La décision du tribunal

Le tribunal procède à un rappel des principes en matière de reclassement professionnel.

Il en donne la définition telle que reprise à l’article 11/2 de la loi du 5 septembre 2001 visant à améliorer le taux d’emploi des travailleurs (telle que modifiée par la loi du 26 décembre 2013 concernant l’introduction d’un statut unique entre ouvriers et employés en ce qui concerne les délais de préavis et le jour de carence ainsi que de mesures d’accompagnement).

Le texte actuel prévoit, lorsque le contrat est résilié par l’employeur moyennant une indemnité calculée sur la base de la rémunération correspondant à la durée du délai de préavis d’au moins 30 semaines ou à la partie de ce délai restant à courir, que le travailleur a droit à un reclassement professionnel (dont les conditions sont reprises dans le texte quant à leur importance, la valeur estimée, …), la loi disposant que ce reclassement professionnel est évalué pour l’ensemble des mesures qu’il comporte à 4 semaines de rémunération, celles-ci étant imputées sur l’indemnité de préavis (correspondant à la durée du délai d’au moins 30 semaines ou à la partie de ce délai restant à courir).

Le droit du travailleur à l’indemnité de préavis complète ou à la partie du délai restant à courir est recouvré si l’employeur ne lui offre aucun reclassement professionnel, conformément à la procédure dont les modalités figurent à l’article 11/7.

Cette offre de reclassement doit intervenir par écrit dans un délai de 15 jours après la fin du contrat. Si l’employeur ne fait pas cette offre dans le délai ci-dessus, le travailleur met l’employeur en demeure par écrit dans les 39 semaines. L’employeur est tenu de faire une offre de reclassement valable par écrit au travailleur dans un délai de 4 semaines après la date de la mise en demeure.

Le tribunal ajoute que suite à une modification du texte apportée par la loi du 26 décembre 2013, si le travailleur a retrouvé un emploi et perd celui-ci dans les 3 mois après son entrée en service, la procédure de reclassement professionnel débute ou reprend à sa demande.

En l’espèce, le contrat de travail a pris fin le 13 décembre 2021 et l’offre devait être formulée pour le 27 décembre. L’employeur a indiqué sur le C4 du 31 décembre ne pas avoir effectué de propositions concrètes.

L’employée a constaté par courrier recommandé du 7 septembre 2022 que l’indemnité avait été retenue alors que l’ex-employeur n’avait exposé aucune dépense dans le cadre d’une mesure de reclassement professionnel, qu’il n’avait fait appel à aucun prestataire…. L’employée ne pouvait dès lors bénéficier des garanties offertes par la loi du 5 septembre 2001 alors qu’elle avait une ancienneté de plus de 17 ans. Le motif invoqué par l’employeur, étant qu’il y a eu réengagement n’est pas valable et les échanges de courriels avec la banque sont sans intérêt.

La société est dès lors condamnée à payer le montant indûment retenu sur les sommes revenant à l’employée.

Intérêt de la décision

Ainsi que très justement souligné par le tribunal dans le jugement commenté, le fait que l’employé(e) ait retrouvé un emploi ne dispense pas l’employeur précédent de remplir ses obligations en matière de reclassement professionnel, dans la mesure où – précisément – la loi prévoit la possibilité pour le travailleur, au cas où le nouvel engagement serait perdu dans les trois mois suivant l’entrée en service, de refaire appel à un service de reclassement, bénéficiant ainsi à ce moment encore des mesures de la loi du 5 septembre 2001.

La jurisprudence n’est pas abondante sur la question du reclassement professionnel organisé par cette loi.

Il peut cependant être relevé, avec la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles,, 22 mars 2023, R.G. 2019/AB/890), que si l’employeur n’offre pas au travailleur licencié un outplacement malgré la mise en demeure qui lui a été adressée par le travailleur, celui-ci recouvre son droit à bénéficier d’une indemnité compensatoire de préavis sans déduction des quatre semaines de rémunération.

Par contre, s’il souhaite réclamer des dommages et intérêts, il doit recourir au mécanisme de la responsabilité (étant qu’il doit prouver que la faute de l’employeur lui a causé un dommage). L’arrêt de la cour du travail cité a jugé sur cette question que, ne bénéficiant pas des services auxquels il avait droit et qui sont destinés à lui permettre de retrouver le plus rapidement possible un emploi, le travailleur perd effectivement une chance d’être réengagé par un nouvel employeur. La cour a considéré que, l’évaluation du degré de probabilité étant un exercice difficile, voire impossible, il y avait lieu de procéder à une évaluation ex aequo et bono.

Dans un arrêt quasi concomitant (C. trav. Bruxelles, 25 avril 2023, R.G. 2020/AB/66), la même cour a considéré que ne constitue pas une offre valable le fait d’adresser au travailleur en dehors du délai de 15 jours – et alors que la formalité du recommandé s’impose – un courriel ne détaillant pas l’offre de reclassement mais se limitant à l’inviter à prendre contact avec le CEFORA. En l’espèce, le travailleur n’avait pas mis son employeur en demeure dans le délai légal et la cour a conclu qu’il ne pouvait plus faire valoir qu’il n’avait pas reçu d’offre valable de reclassement. La déduction a été autorisée.

Relevons enfin, en ce qui concerne la détermination de la rémunération correspondant aux quatre semaines prévues par la loi, un jugement du tribunal du travail de Liège (Trib. trav. Liège (div. Verviers), 8 février 2023, R.G. 22/30/A), qui a considéré que le législateur, en fixant le droit à un reclassement professionnel de 60 heures correspondant à la valeur d’un 12e de la rémunération annuelle, dont la valeur minimale est de 1 800 € et la valeur maximale de 5 500 €, n’a pas disposé que le montant à déduire de l’indemnité de préavis devait être limité à 5 500 €. La question n’est pas sans conséquence dès lors que le reclassement serait d’une valeur inférieure aux quatre semaines de préavis déduites. Le tribunal a considéré qu’il n’appartenait toutefois pas aux juridictions du travail de remettre en cause le choix du législateur ni l’opportunité de la mesure.


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