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Force majeure et rupture du contrat de travail : obligation d’opérer le constat de rupture

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 25 mars 2014, R.G. n° 2013/AB/474

Mis en ligne le lundi 7 juillet 2014


Cour du travail de Bruxelles, 25 mars 2014, R.G. n° 2013/AB/474

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 25 mars 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que la force majeure (incendie) peut être une cause de rupture du contrat de travail mais qu’elle doit être dûment dénoncée par la partie qui s’en prévaut.

Les faits

Suite à l’incendie de la superette où elle était occupée comme réassortisseuse, une employée est informée du fait qu’elle ne doit pas se présenter au travail.

Les services du RVA de Louvain reconnaissent le chômage temporaire pour force majeure pour le premier mois. Il y a refus pour la période ultérieure. Le gérant de la société introduit un recours devant le Tribunal du travail de Louvain contre cette décision et, celui-ci étant introduit par requête, il est dès lors rejeté pour irrecevabilité par jugement du 27 juin 2011 (soit un an après).

Entre-temps l’organisation syndicale met l’employeur en demeure de respecter ses obligations. Un échange de correspondance suivi intervient, dont il ressort que la société a de graves difficultés. Elle réussit enfin à vendre son fonds de commerce mais les choses restent imprécises quant à sa solvabilité, malgré de nouveaux rappels.

En fin de compte, en juin 2011 après le jugement ci-dessus, l’intéressée reçoit un document C4 faisant état d’une fin d’occupation en mai 2010 (l’incendie étant intervenu début du mois de mai). Une indemnité de rupture de 3 mois est versée, le motif du chômage étant « arrêt pour cause d’incendie ».

L’organisation syndicale poursuit, cependant, en ce qui concerne le droit à des dommages et intérêts vu le non-paiement des rémunérations pour la période de juin 2010 à juin 2011, ainsi que des avantages rémunératoires.

Une procédure est dès lors introduite en paiement de l’ensemble de ces sommes. Elle se fonde notamment sur la responsabilité délictuelle du gérant, qui est également appelé à la cause, en sus de la société elle-même.

Par jugement du 21 février 2013, le Tribunal du travail de Louvain déclare les actions recevables mais non fondées. Il considère qu’il y a eu force majeure définitive au moment de l’incendie et que la force majeure peut s’accompagner du paiement d’une indemnité compensatoire de préavis. Il considère que l’intéressée devait savoir que le RVA arrêtait son intervention. Par ailleurs, elle n’a pas adressé à l’époque de mise en demeure en vue de la reprise du travail.

Appel est interjeté.

Décision de la cour du travail

La cour examine, dans un premier temps, le mode de rupture du contrat de travail intervenue ainsi que le moment de celle-ci.

Elle rappelle les articles 32, 5° et 26 de la loi sur les contrats de travail, relatifs à la force majeure définitive et temporaire.

Elle reprend ensuite la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle il ne peut y avoir rupture pour force majeure que si l’exécution du contrat est devenue définitivement impossible (Cass., 10 janvier 1994, J.T.T., 1994, p. 209). Elle précise également que pour qu’il y ait rupture pour force majeure, il est indispensable qu’une des parties invoque celle-ci, la rupture n’opérant pas en elle-même.

Elle relève que, en introduisant un recours contre la décision du RVA, la société contestait manifestement le point de vue de l’administration, ce qui implique pour elle une suspension du contrat et donc la persistance de celui-ci.

Se fondant par ailleurs sur l’échange de correspondance et la position de la société dans le cours de celui-ci, la cour considère qu’il n’a pas pu y avoir de force majeure au moment de l’incendie mais que ce n’est qu’un an plus tard, lorsque la société a remis le document C4, qu’elle a manifesté l’intention de rompre. Elle rappelle encore que le congé ne peut avoir un effet rétroactif, la décision renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 14 octobre 2002 (Cass., 14 octobre 2002, R.G. n° S.01.0173.N).

Il en découle, pour la cour, que l’acte de rupture est la remise du C4 mais que celui-ci ne peut fixer la date de la fin du contrat au moment de l’incendie. Elle fait dès lors droit à la demande en ce qu’elle se fonde sur les droits de l’intéressée consécutifs à la rupture à cette date.

Venant, ensuite, à la question de l’indemnisation de la travailleuse pendant la période litigieuse, la cour rappelle que le fait de ne pas donner du travail constitue une faute contractuelle pouvant donner lieu à indemnisation. La cour ajoute que celle-ci doit être appréciée in concreto par le juge.

Se fondant sur la position des parties et, particulièrement sur la circonstance que l’intéressée avait décidé de surseoir dans sa propre action en attendant l’issue du recours (infructueux) introduit par l’employeur contre la décision du RVA, la cour estime qu’elle avait en vue, pour la période concernée, les allocations de chômage.

Elle considère dès lors que vu la situation particulière de l’intéressée le dommage concret subi doit être estimé en fonction du droit à ces indemnités. L’attitude de l’intéressée, et particulièrement eu égard à l’écoulement du temps, amène la cour à conclure qu’il faut le fixer en équité. Le dommage alloué est de 5.250€.

Intérêt de la décision

Indépendamment de l’évaluation du dommage, qui est faite eu égard à la prise en compte de circonstances très spécifiques, l’arrêt annoté présente l’intérêt de rappeler les règles en matière de force majeure. Particulièrement il insiste sur l’obligation de dénoncer celle-ci, la force majeure ne valant pas in se d’autant que la rupture ne peut avoir de caractère rétroactif. Si elle intervient ultérieurement par une manifestation de volonté unilatérale, ses effets se produiront à cette date et non auparavant.


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