Terralaboris asbl

Demande d’autorisation de licenciement d’un représentant du personnel : rappel d’une règle de procédure capitale

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 3 juillet 2014, R.G. n° 2014/AB/346

Mis en ligne le lundi 13 octobre 2014


Cour du travail de Bruxelles, 3 juillet 2014, R.G. n° 2014/AB/346

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 3 juillet 2014, la Cour du travail de Bruxelles confirme l’irrecevabilité d’une demande introduite en vue d’obtenir l’autorisation de licenciement d’un travailleur protégé (loi du 19 mars 1991) si l’organisation syndicale représentative au niveau national n’est pas à la cause.

Les faits

La direction d’une société décide d’entamer une procédure en autorisation de licencier un travailleur protégé par la loi du 19 mars 1991. Il s’agit d’un membre effectif au CPPT ayant en outre la qualité de délégué syndical.

La société adresse ainsi une lettre recommandée au travailleur notifiant son intention de mettre fin au contrat de travail pour motif grave. L’information est également donnée au SETCa (secrétariat fédéral) ainsi qu’au SETCa régional (BHV). Une requête est déposée le même jour devant la présidente du Tribunal du travail de Bruxelles, requête adressée par lettre recommandée conformément à la loi (article 4, §§ 1er et 2 de la loi du 19 mars 1991). Elle indique comme organisations à convoquer, le SETCa (secrétariat fédéral) ainsi que le SETCa (division BHV). La procédure débute, ainsi très rapidement. La non-conciliation des parties est actée par la présidente du tribunal et la suspension du contrat est ordonnée.

Citation comme en référé est ensuite lancée. Son objet est d’entendre dire que les faits dénoncés (irrégularités diverses, touchant essentiellement des questions de facturation) sont constitutifs de motif grave. Une demande de dommages et intérêts est également formée.

Après une nouvelle ordonnance ayant autorisé le changement de langue, le tribunal rend son jugement en date du 20 mars 2014. Il considère l’action irrecevable, essentiellement au motif de l’absence de la mise à la cause de l’organisation qui a présenté la candidature du travailleur.

Appel est interjeté par la société.

Position de la partie appelante devant la cour

L’appelante invoque essentiellement trois moyens. Le premier est tiré de la loi du 19 mars 1991, la société considérant que les termes « organisation qui a présenté la candidature » n’est pas obligatoirement l’organisation interprofessionnelle constituée sur le plan national mais que cela peut être une organisation professionnelle et interprofessionnelle affiliée ou faisant partie de celle-ci. Pour la société, la loi ne prévoit aucune disposition imposant à l’employeur de mettre exclusivement à la cause l’organisation interprofessionnelle représentative.

Un deuxième argument est relatif à la portée du mandat conféré au SETCa, la société considérant que ce mandat s’étend à toute la procédure des élections sociales en ce compris la partie contentieuse. Ayant un mandat, le SETCa devait, selon la société, faire intervenir si nécessaire la FGTB à la cause.

Enfin, elle plaide la théorie du mandat apparent, au motif que le SETCa a pu être considéré par elle comme titulaire d’un mandat au moins apparent pour représenter la FGTB dans le cadre de la procédure. Elle renvoie à l’échange de correspondance et de courriels, aucun n’émanant de la FGTB (à l’exception d’un seul). Elle pointe que le représentant du SETCa, division BHV, avait reçu un mandat exprès de la FGTB et que, en présence de cette apparence de représentation, la société ne pouvait raisonnablement savoir que le mandat apparent ne correspondait pas à la réalité.

Décision de la cour du travail

La cour va essentiellement statuer sur la recevabilité, rappelant les principes applicables dans le cadre de la loi du 19 mars 1991. Elle reprend les dispositions légales essentielles, étant l’article 4, §§ 1er, 2 et 4 ainsi que l’article 5, §§ 2 et 6 et l’article 6. Il découle de l’ensemble de ces dispositions que si l’employeur entend demander l’autorisation de licencier un travailleur protégé pour motif grave, il est tenu de (i) informer le travailleur et l’organisation syndicale qui a présenté sa candidature, (ii) mettre à la cause dans la requête introductive à la fois le travailleur et l’organisation syndicale qui a présenté sa candidature et (iii) mettre également les mêmes à la cause dans la citation comme en référé.

La cour rappelle, ensuite, la règle dégagée dans une jurisprudence constante (et confirmée dans deux arrêts de la Cour de cassation - étant Cass., 28 janvier 2013, RG n° S.11.0123.N et Cass., 8 décembre 2003, RG n°S.03.0037.F), qui a défini la notion d’organisation qui a présenté la candidature du travailleur comme étant « nécessairement » (sic) l’organisation syndicale qui a le pouvoir de présenter les candidatures au sens des lois du 20 septembre 1948 et du 4 août 1996.

Reprenant également l’article 33, §1er de la loi sur les élections sociales de 2007, elle rappelle que celle-ci donne pouvoir aux organisations représentatives des travailleurs (ou à leurs mandataires) en vue de présenter les listes de candidats à l’employeur et que, dans le cadre d’une procédure en autorisation de licencier, c’est l’organisation qui a présenté cette candidature, c’est-à-dire l’organisation interprofessionnelle de travailleurs constituée sur le plan national, représentée au Conseil central de l’économie et au Conseil national du travail, qui est visée et non l’organisation syndicale affiliée ou faisant partie d’une organisation interprofessionnelle.

En ce qui concerne le mandat donné pour le dépôt des listes, la cour rappelle qu’en vertu de la loi, il est strictement limité à l’acte de présentation matérielle des listes et que la présentation des candidats quant à elle ne peut émaner que des organisations représentatives.

Enfin, elle écarte la théorie du mandat apparent, constatant que le mandat confié par l’organisation représentative au secrétaire-adjoint de l’organisation affiliée était strictement limitée à l’accomplissement de l’acte matériel de présentation des listes et que la procuration délivrée en ce sens à l’intéressé ne pouvait induire la société en erreur quant à l’étendue de ce mandat.

La cour tire dès lors les conclusions de l’irrégularité procédurale, faisant pour sien le constat fait par la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, sect. Namur, 13 janvier 2005, R.G., n° 7721/04), selon lequel la double information requise par la loi suivie de la mise à la cause des deux parties adverses est une condition d’existence et d’exercice de l’action. La méconnaissance de ces règles entraîne l’irrecevabilité de la demande, la cour rappelant encore que le régime des exceptions des nullités déterminé par le Code judiciaire n’est pas applicable.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est le rappel d’une règle, actuellement constante, quant à la recevabilité d’une demande d’autorisation judiciaire de licenciement pour motif grave d’un travailleur protégé. La cour y reprend soigneusement les principes, citant également diverses décisions de sa propre juridiction ainsi que de la Cour du travail de Liège, ayant toutes rappelé la règle confirmée, récemment, par la Cour de cassation dans son arrêt du 28 janvier 2013. La cour suprême avait dans cette décision rejeté un pourvoi contre un arrêt du 3 juillet 2011 rendu par la Cour du travail d’Anvers dans une espèce similaire, précisant expressément qu’il suit des mêmes dispositions légales (article 4, §§ 1er et 4 de la loi d 19 mars 1991, ainsi que 20ter de la loi du 20 septembre 1948 et 58, alinéa 1er de la loi du 1 août 1996) que l’organisation « qui a présenté » mentionnée à l’article 4, § 1er vise uniquement l’organisation interprofessionnelle représentative des travailleurs et non l’organisation syndicale affiliée à ou faisant partie d’une organisation professionnelle.

Dans l’arrêt annoté, la Cour du travail de Bruxelles ajoute que, les organisations syndicales étant dépourvues de personnalité juridique, elles ne peuvent être partie à une cause, en agissant ou en défendant, sauf lorsque la loi leur a conféré une personnalité juridique fonctionnelle pour qu’elles puissent ce faire et qu’il ne peut y avoir d’extension par analogie de la notion d’organisation syndicale qui a présenté le candidat, d’autant que la loi du 19 mars 1991 est d’ordre public.


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