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Accident du travail et expertise judiciaire : décès de la victime en cours d’expertise et droit des ayants-droits

Commentaire de C. trav. Mons, 20 octobre 2014, R.G. 2011/AM/244

Mis en ligne le mercredi 17 décembre 2014


Cour du travail de Mons, 20 octobre 2014, R.G. n° 2011/AM/244

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 20 octobre 2014, la Cour du travail de Mons rappelle le sens de l’expertise judiciaire et, particulièrement, son intérêt en cas de décès de la victime d’un accident du travail en cours de travaux.

Les faits

Une victime d’un accident du travail survenu en décembre 2008 (coups) a introduit une procédure devant le Tribunal du travail de Mons (section La Louvière) aux fins de faire admettre l’accident et de solliciter le bénéfice de la réparation légale, faisant valoir un traumatisme physique et psychique.

L’intéressé était éducateur interne au sein d’un internat dépendant de la Communauté française et il avait déclaré avoir reçu des coups de poing de pensionnaires de l’internat, et ce dans l’obscurité. Le médecin avait constaté des lésions diverses.

L’intéressé avait été mis en incapacité de travail pendant plusieurs mois et avait en fin de compte bénéficié d’un mi-temps médical en avril 2009, période suite à laquelle il avait de nouveau été en congé de maladie.

La décision de la cour

Le jugement du tribunal n’ayant pas reconnu l’accident, appel est interjeté et, dans un premier arrêt du 28 juin 2012, la Cour du travail de Mons admet l’accident du travail et ordonne une expertise.

L’expertise a débuté en juillet 2012 et a été suspendue vu l’impossibilité pour l’intéressé de se déplacer. Celui-ci est alors décédé, en février 2013. Ses ayants-droits ont repris l’instance. Ils considèrent que leur dossier est particulièrement étoffé et qu’il permet à l’expert de donner un avis sur la base du dossier médical déposé.

A titre subsidiaire, ils limitent leur demande à la reconnaissance des périodes d’incapacité temporaire.

Pour la Communauté française, dans le cadre d’une expertise, le recours à des pièces médicales n’est pas possible, s’agissant de déterminer, en matière d’accident du travail, les conséquences physiques et psychiques de l’accident, d’autant que celui-ci a été contesté initialement et n’a été reconnu que plusieurs années plus tard. Elle fait également valoir l’existence d’un état antérieur, d’où la difficulté d’opérer une juste distinction entre les séquelles de l’accident et celles qui seraient indépendantes de celui-ci.

Ce débat amène ainsi la cour à reprendre les principes applicables en matière d’expertise, celle-ci ayant un caractère subsidiaire, eu égard au dispositif même de l’article 875bis du Code judiciaire, selon lequel le juge limite le choix de la mesure d’instruction à ce qui est suffisant pour la solution du litige en privilégiant la mesure la plus simple, la plus rapide et la moins onéreuse.

Il s’agit dès lors d’un instrument de travail, exigeant fiabilité et objectivité, et permettant de comprendre et d’exploiter les éléments de la cause portée devant le juge.

Il y a recours à l’expertise s’il n’existe pas de possibilité de choisir une mesure d’instruction plus simple, plus rapide et moins chère (selon les termes de la loi). Dans le cadre de l’obligation de collaboration des parties, celles-ci doivent remettre en début de travaux tous les documents pertinents, ce qui s’inscrit dans le cadre du principe de loyauté régissant le procès civil. Il s’agit également d’une application du principe de l’obligation pour les parties de collaborer à l’administration de la preuve, et la cour renvoie d’ailleurs aux pouvoirs du juge tels que décrits à l’article 877 du Code judiciaire, en cas de refus de la part d’une partie de produire un document susceptible de contenir la preuve d’un fait pertinent.

Elle souligne également qu’en cas d’obstruction avérée, le juge peut sanctionner celle-ci par toute mesure qu’il jugera appropriée.

La cour renvoie encore au principe général des droits de la défense, présent bien évidemment dans le cadre de la procédure d’expertise et concrétisé dans celle-ci par le caractère contradictoire des travaux, qui en gouverne les différentes étapes. Le pouvoir judiciaire contrôle ce caractère contradictoire, ainsi que ceci est prévu à l’article 973, § 1er, alinéa 1er du Code judiciaire.

Sur la base de ces principes, la cour examine la mesure dans laquelle l’employeur public peut être suivi, dans la mesure où il considère que le recours aux pièces médicales ne permet pas de donner un avis suffisant et qu’il y a dès lors, eu égard à l’existence d’un état antérieur, nécessité d’opérer une juste distinction entre l’ensemble des séquelles présentées par l’intéressé, dont une partie seulement serait à charge de l’accident.

La cour considère que ces éléments ne peuvent faire échec à la poursuite des travaux d’expertise, reprenant encore, avec la doctrine (J.-F. VAN DROGHENBROECK, obs. sous, Liège, 19 mai 1994, R.G.A.R., 1996, p. 12673) que la désignation d’un expert suppose qu’il y ait un début de preuve des faits avancés et que celle-ci n’exige pas que le demandeur justifie de l’évidence de ses droits.

En cas de décès, les principes restent inchangés et il y a lieu de faire droit à la demande d’expertise lorsqu’un trouble est démontré, ce qui ressort des dossiers médicaux, et que le lien causal avec le fait dommageable est possible mais non certain. Elle renvoie encore à l’arrêt de la Cour de cassation du 10 février 2010 (Cass., 10 février 2010, n° P.09.1535.F), selon lequel le juge ne peut rejeter une demande d’expertise au motif de l’absence de preuve formelle du fait que la mesure d’instruction a pour objet d’exclure ou d’établir. Le seul doute du juge sur l’existence du lien causal ne peut fonder le rejet de la demande sollicitée pour en vérifier la réalité.

Ce n’est dès lors pas parce que n’est pas apportée la preuve formelle du fait qui devrait sortir des travaux de la mesure d’instruction que celle-ci doit être rejetée.

En l’espèce, les éléments figurant dans le dossier médical sont considérés comme suffisants pour permettre à l’expert judiciaire désigné de reprendre ses travaux.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle les principes à la base de l’expertise judiciaire, étant, en premier lieu, son caractère subsidiaire, mais également son utilité pour permettre au tribunal de statuer en connaissance de cause sur un fait pour lequel un début de preuve est apporté. La cour rappelle à très juste titre que, pour pouvoir obtenir une expertise, il n’est pas exigé du demandeur qu’il établisse déjà le fait dont il souhaite la démonstration.

Rappelons encore que, dans le cadre de la matière d’accident du travail, si la ventilation doit être faite entre les séquelles, la présomption légale relative au lien de causalité doit faciliter la position de la partie demanderesse.

Dans l’arrêt du 10 février 2010, rendu en matière de police, l’expertise avait pour objet de demander à l’expert de donner un avis sur l’existence éventuelle d’un lien causal entre un accident ayant coûté la vie à une personne et ayant entraîné une pathologie sévère chez une enfant mineure, sœur de la victime. Dans cette matière, le lien causal n’était pas présumé et la Cour de cassation a repris expressément le principe selon lequel, dans une telle hypothèse, le seul doute du juge sur l’existence du lien causal ne saurait fonder le rejet d’une expertise sollicitée pour en vérifier la réalité.


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