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Augmentations conventionnelles successives de la durée du temps de travail à temps partiel : nature juridique des avenants conclus

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 27 novembre 2015, R.G. 14/424.717/A

Mis en ligne le jeudi 28 avril 2016


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 27 novembre 2015, R.G. 14/424.717/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 27 novembre 2015, le Tribunal du travail de Liège (div. Liège) conclut que des avenants conclus pour une durée déterminée aux fins de modifier le nombre d’heures à prester dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée et à temps partiel sont à considérer comme des contrats de travail à durée déterminée et qu’il faut examiner leur conformité avec le prescrit des articles 10 et 10bis de la loi du 3 juillet 1978 sur les contrats de travail.

Les faits

Suite à son licenciement, intervenu en août 2013, une employée est amenée à introduire une procédure devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège), aux fins d’obtenir une indemnité compensatoire de préavis.

Sa situation sur le plan contractuel avait, au fil du temps, été modifiée d’un commun accord à plusieurs reprises. Elle avait été engagée à mi-temps dans le cadre d’un contrat à durée déterminée, contrat auquel avait succédé un contrat à durée indéterminée et, suite à divers avenants ultérieurs, le temps de travail fut augmenté pour atteindre un temps plein en 2013. L’intéressée tomba alors en incapacité de travail en février. Ayant sollicité un mi-temps médical au mois de juin, celui-ci avait été autorisé. Elle fut licenciée avant la reprise.

Outre l’indemnité compensatoire de préavis, l’intéressée sollicitait également une indemnité au titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif, laquelle était fixée à 6.000 €.

La décision du tribunal

L’employeur ayant payé une indemnité – que l’employée considérait insuffisante, le tribunal est amené à examiner la portée des avenants successifs conclus en cours d’exécution du contrat.

Il constate que la situation de l’intéressée a évolué, des avenants à durée déterminée (quatre au total) ayant été signés entre 2012 et 2013, dans le cadre du contrat à durée indéterminée liant les parties depuis 2002.

Pour le tribunal, l’augmentation du temps du travail a été constatée conformément à l’article 9 de la loi du 3 juillet 1978 par le recours à des contrats de travail à temps partiel et à durée déterminée. Que l’accord ait été conclu sous forme d’avenants ou de contrats de travail à durée déterminée distincts est indifférent.

Le tribunal constate cependant que ces avenants, qui sont ainsi à considérer comme des contrats de travail à durée déterminée pour quatre périodes successives, ne sont pas conformes au prescrit de l’article 10bis de la loi, la durée maximale autorisée (deux ans) n’étant pas respectée.

Il y a dès lors lieu de vérifier s’ils en respectent l’article 10, étant qu’ils sont justifiés par une raison légitime. Il appartient à l’employeur, dans cette hypothèse, d’apporter la preuve d’un cas de justification l’ayant empêché de conclure un contrat à durée indéterminée et ayant entraîné l’obligation de renouveler le contrat à durée déterminée à diverses reprises.

S’agissant en l’espèce d’une institution publique – qui plaide des mesures budgétaires strictes – cet élément ne peut être retenu, l’employeur ne justifiant pas une raison légitime, la référence générale à des risques de suppression de subsides n’étant pas suffisante.

Le tribunal examine, dès lors, le droit de l’intéressée à un préavis correspondant à la totalité de la période d’occupation et fait droit à la demande.

Outre ce premier poste, celle-ci avait par ailleurs introduit une demande de dommages et intérêts pour licenciement abusif, à propos duquel le tribunal rappelle les principes, étant d’une part, sur le plan de la preuve, que trois éléments doivent être apportés par le travailleur (faute, dommage et lien de causalité) et que l’indemnité compensatoire de préavis a un caractère forfaitaire réparant l’ensemble du dommage matériel et moral. Le tribunal identifie l’abus invoqué par l’employée comme étant les circonstances du licenciement, la motivation de la rupture et l’absence de respect du principe du contradictoire et des droits de défense. Les dommages et intérêts sont demandés du fait de la perte d’une chance de faire changer l’employeur d’avis lors d’une audition, ainsi que de l’impact psychologique engendré par la brusque rupture.

En l’espèce, l’employeur a convoqué l’employée, mais cette convocation n’avait qu’un caractère purement formel. Le tribunal relève qu’il ne s’agissait pas d’une convocation susceptible de donner lieu à un débat contradictoire (la convocation intervenant pour le jour-même, sans indiquer les motifs de l’audition et alors que l’intéressée était en incapacité de travail). Il s’agit d’un comportement fautif que n’aurait pas eu l’employeur prudent et diligent dans l’exercice de son droit. Il y a légèreté, constitutive d’abus.

Sur la perte d’une chance, le jugement reprend les éléments qui auraient effectivement pu amener l’employeur à conserver l’employée à son service, étant que le motif n’est pas un motif de réorganisation mais qu’il est lié à un grief que lui avait fait le chef du service social. Par ailleurs, aucun avertissement n’avait été adressé auparavant, une tension certaine ayant cependant été constatée au sein du service et celle-ci ne pouvant être imputée à l’intéressée.

Il y a dès lors un préjudice moral à retenir, préjudice lié au « caractère relativement brutal » du licenciement. Celui-ci peut être indemnisé par l’octroi de dommages et intérêts de 2.000€.

Intérêt de la décision

Un point particulier de l’espèce – et le tribunal l’a évidemment pris comme point de départ – est la signature de divers avenants successifs à durée déterminée augmentant progressivement le temps de travail, dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée auquel il n’a pas été mis fin. Pour le tribunal, qu’il s’agisse d’avenants ou de contrats à durée déterminée, la situation est identique. Il faut examiner la licéité de ces accords dans le cadre des dispositions de la loi du 3 juillet 1978 relatives aux contrats à durée déterminée. Le tribunal examine dès lors leur conformité avec l’article 10bis (qui n’est pas rencontrée) et avec l’article 10 (qui ne l’est pas davantage).

Le jugement est l’occasion de rappeler la notion de motif légitime, pour lequel la charge de la preuve réside dans le chef de l’employeur. L’on mentionnera utilement à cet égard que, dans un arrêt du 26 février 2015 (C.J.U.E., 26 février 2015, n° C-238/14 – COMMISSION EUROPEENNE c/ GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG), la Cour de Justice a rappelé l’exigence de « raisons objectives » à la conclusion de contrats à durée déterminée successifs. Pour la Cour européenne, il faut entendre par là des circonstances précises et concrètes caractérisant une activité déterminée et étant de nature à justifier, dans ce contexte particulier, la conclusion de ces contrats.

Enfin, le jugement présente également un intérêt sur le plan du licenciement abusif. Il s’agit d’une rupture intervenue avant le 1er avril 2014, et le tribunal examine dès lors uniquement l’abus de droit dans le cadre de la théorie générale. Il retient, comme comportement fautif, la légèreté de l’employeur. Le dommage subi est un dommage moral fixé ex aequo et bono, la travailleuse ayant apporté la preuve de l’existence de la perte d’une chance de ne pas avoir perdu son emploi.


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