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Durée du préavis des ouvriers licenciés entre le 8 juillet 2013 et le 31 décembre 2013

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Marche-en-Famenne), 27 octobre 2016, R.G. 15/5/A

Mis en ligne le lundi 15 mai 2017


Tribunal du travail de Liège, division Marche-en-Famenne, 27 octobre 2016, R.G. 15/5/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 27 octobre 2016, le Tribunal du travail de Liège (division Marche-en-Famenne) reprend l’enseignement de la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 2 juin 2016, sur les effets du maintien en vigueur des articles 59 et 82 de la loi du 3 juillet 1978 jusqu’à leur abrogation expresse par la loi du 26 décembre 2013 : il y a constat d’inconstitutionnalité mais les effets ont malgré tout été maintenus jusqu’au 31 décembre 2013, aux fins de ne pas entraîner une insécurité juridique plus grande. Par contre, l’Etat – législateur – voit sa responsabilité mise en cause, vu l’absence d’intervention avant cette date.

Les faits

Une ouvrière, engagée en qualité d’aide-ménagère dans le cadre de plusieurs contrats (le dernier étant à durée indéterminée), est licenciée en décembre 2013 suite à la cessation de l’activité de titres services à laquelle elle était affectée. Elle reçoit une indemnité compensatoire de préavis de 42 jours.

Elle introduit une action contre le C.P.A.S. (employeur) et appelle l’Etat belge en intervention et garantie.

La demande principale est le bénéfice d’une indemnité compensatoire de préavis de 6 mois et non des 42 jours perçus, celle-ci étant fixée à 27 semaines à titre subsidiaire.

L’objet de la demande vis-à-vis de l’Etat belge est la réparation du dommage subi, étant l’équivalent des demandes formées contre le C.P.A.S., à titre principal et subsidiaire.

La demanderesse fait en effet grief à l’Etat belge de ne pas avoir légiféré dans le délai fixé par la Cour constitutionnelle en son arrêt du 7 juillet 2011. Elle estime qu’il y a faute et que le lien de causalité avec le préjudice subi est avéré.

Le C.P.A.S. forme également – par voie de conclusions – une demande de garantie contre l’Etat belge.

L’Etat soutient que l’action en garantie n’est pas recevable car la demanderesse ne détient aucun droit qui donnerait lieu à garantie, s’agissant davantage d’une action en responsabilité tendant à la réparation d’un préjudice. L’Etat belge souligne qu’il n’est tenu à aucune obligation (légale ou conventionnelle) vis-à-vis de la partie demanderesse.

La décision du tribunal

Le tribunal examine en même temps la demande principale et la demande en intervention et garantie.

Il relève que peu de contributions doctrinales existent en ce qui concerne l’action en garantie, la jurisprudence semblant cependant admettre aujourd’hui que la garantie repose sur une obligation quasi-délictuelle. Le tribunal renvoie à un arrêt de la Cour du travail de Mons du 24 décembre 2002 (C. trav. Mons, 24 décembre 2002, R.G. 17.615 – Juridat), qui a conclu à la prorogation de compétence, c’est-à-dire que le juge saisi de la demande principale et qui est compétent pour en connaître voit sa compétence prorogée pour connaître non seulement de toute action en garantie, mais également de toute demande en intervention. Cette demande est dès lors recevable et les deux demandes présentent un lien de connexité évident.

En ce qui concerne le fond, le tribunal renvoie à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, rendue après l’arrêt capital du 7 juillet 2011 (n° 125/2011), étant que la Cour a été ultérieurement saisie du caractère anticonstitutionnel des articles 59 et 82 de la loi du 3 juillet 1978, tels qu’ils continuaient à exister pour la période du 9 juillet 2013 au 31 décembre 2013. Le tribunal reprend les conclusions de cet arrêt, constatant que la Cour a tempéré l’inconstitutionnalité relevée, faisant un constat « modulé » aux fins d’éviter une insécurité juridique considérable.

Pour le tribunal, en conséquence de cet arrêt, l’ancien article 59 pouvait encore être appliqué et la demande de complément (basée sur l’alignement avec le préavis d’un employé) est non fondée.

En ce qui concerne la demande en intervention et garantie de la travailleuse contre l’Etat belge, le tribunal relève que celle-ci porte non seulement sur le paiement de l’indemnité revendiquée à titre principal, mais également sur les dépens.

Le tribunal fait un long rappel, à cet égard, des principes de la responsabilité de l’Etat – législateur –, et ce toujours en se référant à l’arrêt de la Cour du travail de Mons du 24 décembre 2002 ci-dessus (lui-même renvoyant à de nombreux arrêts de la Cour de cassation ainsi qu’à de la doctrine). Le tribunal ajoute encore un arrêt de la Cour de cassation ultérieur, du 10 septembre 2010 (Cass., 10 septembre 2010, n° F.09.0042.N), qui a confirmé l’application de l’article 1382 du Code civil en cas d’intervention ou d’omission législative fautive dans le chef de l’Etat. Pour la Cour suprême, il faut examiner si celui-ci agit comme le ferait un législateur normalement prudent et diligent.

Le tribunal constate encore que l’harmonisation n’est toujours pas achevée à ce jour et il rappelle les suites données en 2013 à l’arrêt (institution d’un groupe de travail avec les partenaires sociaux en mars 2013), ainsi que l’adoption in fine du texte législatif le 26 décembre 2013, et ce, selon le jugement, « (…) au mépris des principes généraux de publicité qui devraient être respectés dans tout Etat de droit ».

Reprenant les termes de la Cour constitutionnelle dans son arrêt ci-dessus, qui font état d’une insécurité juridique considérable, le tribunal relève que l’Etat belge a commis une faute et que, si l’insécurité juridique ainsi créée n’avait pas existé, l’introduction d’actions judiciaires aurait pu être évitée. L’Etat est dès lors condamné à garantir la condamnation de la demanderesse aux dépens du défendeur.

Quant à ceux de la demanderesse, il compense l’indemnité de procédure et condamne l’Etat belge aux frais de citation.

Intérêt de la décision

Ce jugement est – comme le relève le tribunal lui-même – une des conséquences de l’insécurité juridique issue de la « période oubliée », à savoir celle écoulée entre la fin du délai donné par la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 7 juillet 2011 pour mettre fin à l’inconstitutionnalité relevée dans celui-ci entre la situation des ouvriers et des employés en matière de préavis (notamment) et la date d’entrée en vigueur, étant le 1er janvier 2014, de la réforme législative.

De nombreuses questions se sont posées sur les droits des travailleurs pour cette période, les ouvriers pouvant considérer qu’ils étaient en droit de prétendre à l’indemnité équivalente à celle des employés. La question a été à ce point brûlante que la Cour constitutionnelle a été réinterrogée et qu’elle a rendu l’arrêt du 2 juin 2016, cité, arrêt dans lequel elle avait conclu ne pas devoir faire un constat « non modulé d’inconstitutionnalité ». Elle a en conséquence jugé que devaient être maintenus jusqu’au 31 décembre 2013 les effets des articles 59 et 82 de la loi relative aux contrats de travail tels qu’ils s’appliquaient avant leur abrogation respective par les articles 34 et 50 de la loi du 26 décembre 2013.


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