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Commentaires sur les conclusions de l’Avocat général Henrik SAUGMANSGAARD ØE

Commentaire des conclusions de l’Avocat général - Cour de Justice de l’Union européenne, 27 avril 2017, Aff. C-168/16 et C-169/16 (NOGUEIRA et alii c/ RYANAIR)

Mis en ligne le lundi 15 mai 2017


Cour de Justice de l’Union européenne, 27 avril 2017, Aff. C-168/16 et C-169/16 (NOGUEIRA et alii c/ RYANAIR)

Conclusions de l’Avocat général Henrik SAUGMANSGAARD ØE

Terra Laboris

Le 27 avril dernier, l’Avocat général SAUGMANSGAARD ØE a rendu ses conclusions, dans l’affaire qui oppose de l’ancien personnel de la compagnie Ryanair à celle-ci et à une société proche (Crewlink Ltd), et ce suite aux questions préjudicielles posées à la Cour de Justice par la Cour du travail de Mons dans un arrêt du 18 mai 2016 (R.G. 2013/AM/440 et 2013/AM/441).

La question concerne l’interprétation de l’article 19, point 2, du Règlement CE n° 14/2001, étant qu’il faut identifier ce qu’il faut entendre par « lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail » (article 19, point 2, a)), s’agissant de personnel de l’aviation civile, essentiellement du personnel de cabine.

Dans ses conclusions, M. l’Avocat général propose à la Cour d’appliquer sa jurisprudence constante relative aux contrats de travail exécutés sur le territoire de plusieurs Etats membres, jurisprudence développée dans le cadre de la Convention de Bruxelles et de la Convention de Rome. Il s’agit de déterminer le lieu où – ou à partir duquel – le travailleur s’acquitte principalement de ses obligations à l’égard de son employeur.

La question est rendue plus complexe du fait d’un Règlement CEE n° 3922/91, portant sur des questions de sécurité dans l’aviation civile, dont l’annexe 3 retient pour des règles spécifiques (limitations des temps de vol et de service et exigences en matière de repos) la notion de « base d’affectation ».

Dans son analyse de la problématique, M. l’Avocat général retient en premier lieu que les clauses d’attribution de compétence aux juridictions irlandaises, insérées dans les contrats de travail des demandeurs, ne sont pas opposables à ceux-ci, et ce en application de l’article 21 du Règlement n° 44/2001, dans la mesure où elles ne rentrent dans aucun des deux cas de figure envisagés, à savoir qu’il ne s’agit pas de clauses postérieures à la naissance d’un différend ou de clauses qui permettraient au travailleur de saisir d’autres tribunaux que ceux qui sont indiqués au Règlement lui-même (chapitre II – section 5).

Les règles relatives à l’exécution du contrat de travail sur le territoire de plusieurs Etats sont examinées, tant dans le cadre de la Convention de Bruxelles que dans celui de la Convention de Rome. Sur ce deuxième texte, l’Avocat général précise que son article 6, § 2, a) a vocation à s’appliquer à l’hypothèse où le travailleur exerce ses activités dans plus d’un Etat contractant lorsqu’il est possible pour la juridiction saisie de déterminer l’Etat avec lequel le travail présente un rattachement significatif (point 83). Le critère du pays de l’accomplissement habituel du travail doit ici être entendu comme se référant au lieu dans lequel ou à partir duquel le travailleur exerce effectivement ses activités professionnelles et – en l’absence de centre d’affaires – au lieu où celui-ci accomplit la majeure partie de ses activités (point 84).

Vu la spécificité du travail dans les secteurs du transport (routier et maritime), des indices pouvant être pris en considération par le juge national ont déjà été dégagés par la Cour : celui-ci doit notamment établir dans quel Etat se situe le lieu à partir duquel le travailleur effectue ses missions de transport, il reçoit les instructions sur ses missions et organise son travail, ainsi que le lieu où se trouvent les outils de travail. Il doit également vérifier, s’il échet, quels sont les lieux où le transport est principalement effectué, les lieux de déchargement de la marchandise, ainsi que le lieu où le travailleur rentre après ses missions (point 85).

Ces éléments sont passés en revue dans les données de l’espèce, et ce longuement.

Si la base d’affectation n’est pas, selon M. l’Avocat général, « dénuée de pertinence » aux fins d’interprétation de l’article 19, point 2, du Règlement, la nationalité des avions ne doit pas intervenir. Il rappelle cependant l’objectif de protection des travailleurs, principe qui est mieux assuré si les litiges relatifs à un contrat de travail relèvent de la compétence des juridictions du lieu où le travailleur s’acquitte de ses obligations à l’égard de son employeur, dans la mesure où c’est à cet endroit qu’il peut, à moindres frais, s’adresser aux tribunaux ou se défendre.

La conclusion de M. L’Avocat général est dès lors la suivante (point 132) :

L’article 19, point 2, sous a), du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que, pour ce qui concerne un travailleur actif dans le secteur du transport aérien international en tant que membre du personnel de cabine, le « lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail » ne peut pas être assimilé à la « base d’affectation » telle que définie à l’annexe III du Règlement (CEE) n° 3922/91 du Conseil, du 16 décembre 1991, relatif à l’harmonisation de règles techniques et de procédures administratives dans le domaine de l’aviation civile tel que modifié par le Règlement n° 1899/2006, mais se situe au lieu où ou à partir duquel ce travailleur s’acquitte principalement de ses obligations à l’égard de son employeur.

Ce lieu doit être identifié par le juge national à la lumière de toutes les circonstances pertinentes, et notamment :

  • le lieu où le travailleur débute et termine ses journées de travail ;
  • le lieu où sont habituellement stationnés les avions à bord desquels il accomplit son travail ;
  • le lieu où il prend connaissance des instructions communiquées par son employeur et où il organise sa journée de travail ;
  • le lieu où il est contractuellement tenu de résider ;
  • le lieu où se trouve un bureau mis à disposition par l’employeur, et
  • le lieu où il doit se rendre en cas d’incapacité de travail et en cas de problème disciplinaire.

L’arrêt de la Cour de Justice est attendu avec le plus grand intérêt.


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