Commentaire de C. trav. Bruxelles, 23 décembre 2016, R.G. 2014/AB/261
Mis en ligne le mardi 30 mai 2017
Cour du travail de Bruxelles, 23 décembre 2016, R.G. 2014/AB/261
Terra Laboris
Dans un arrêt rendu le 23 décembre 2016, la Cour du travail de Bruxelles rappelle qu’après l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 12 octobre 2015, concluant à l’absence d’obligation pour l’employeur public de motiver le licenciement des travailleurs contractuels et de procéder à l’audition préalable, la Cour constitutionnelle est toujours saisie d’une question sur l’existence d’une possible discrimination, question posée par le Tribunal du travail de Bruxelles dans un jugement du 14 avril 2016.
Les faits
Un agent contractuel au service d’une Commune en qualité d’ouvrier fait l’objet de reproches liés à son comportement au travail. Un rapport est établi en vue d’envisager son licenciement. L’intéressé conteste les griefs qui lui sont faits, mais il est malgré tout licencié par décision du Collège communal moyennant paiement d’une indemnité de 6 mois. Le motif précis du chômage est qu’il ne donne plus satisfaction dans les tâches qui lui sont confiées.
L’intéressé saisit dans un premier temps le Conseil d’Etat, qui conclut à l’irrecevabilité du recours, s’agissant d’un contrat de travail.
Il se tourne alors vers le Tribunal du travail de Bruxelles, demandant à titre principal sa réintégration avec paiement de la rémunération depuis la rupture jusqu’à la réintégration effective. A titre subsidiaire, il réclame des dommages et intérêts de l’ordre de 123.000 euros, dans la mesure où il n’a pas été engagé dans les liens d’un statut. Il sollicite également une indemnité pour licenciement abusif et d’autres sommes.
Par jugement du 12 avril 2013, il est débouté de l’ensemble de ses demandes.
Il interjette appel et reprend, devant la cour, les chefs de demande formés devant le premier juge.
L’arrêt du 30 juin 2016
Un premier arrêt est rendu par la cour le 30 juin 2016, dans lequel celle-ci relève qu’il était admis depuis une quinzaine d’années que l’employeur public – étant une autorité administrative – devait motiver formellement l’acte de licenciement conformément à la loi du 29 juillet 1991 sur la motivation formelle des actes administratifs et que, de même, l’administration avait l’obligation d’entendre la personne si elle envisageait de prendre une mesure grave à son encontre.
La cour du travail épingle dans ce premier arrêt la décision de la Cour de cassation du 12 octobre 2015 (n° S.13.0026.N), qui a pris une position très ferme semblant mettre fin – selon les termes de l’arrêt de la cour du travail – à cette évolution jurisprudentielle, puisque la Cour de cassation précise que, comme l’indique l’historique de la loi, il ne découle pas des dispositions de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail qu’une autorité administrative qui veut mettre fin au contrat de travail existant serait tenue de motiver formellement le licenciement.
La cour du travail constate que les parties n’avaient pas connaissance de cette position de la Cour de cassation lorsqu’elles ont conclu en appel. Elle ordonne dès lors la réouverture des débats afin de leur permettre de se positionner.
L’arrêt du 23 décembre 2016
Cet arrêt reprend longuement la position des parties sur l’enseignement de l’arrêt de la Cour de cassation du 12 octobre 2015.
La position de l’appelant est que cet arrêt – très sommaire – ne met pas un terme définitif à la controverse. Il puise dans diverses sources internationales, ainsi que dans l’article 1134 du Code civil, l’existence d’une obligation générale de motivation et d’audition préalable, celle-ci valant tant dans le secteur privé que dans le secteur public. Il fait valoir que la situation telle que prônée par la Cour de cassation est susceptible de créer une situation discriminatoire entre les contractuels du secteur public et les contractuels du secteur privé, ainsi qu’entre les contractuels du secteur public et les statutaires.
Pour la Commune, il faut renvoyer à l’avis de l’Avocat général VANDERLINDEN précédant l’arrêt, étant que sont visés par l’obligation de motivation les actes de la puissance publique, la loi du 29 juillet 1991 ayant pour objet de protéger les administrés et les principes en cause n’ayant pas vocation à être retenus dans le cadre de la relation issue du contrat de travail. La Commune admet cependant, à partir de la distinction entre la motivation formelle et la motivation substantielle, que l’arrêt ne porte que sur la première des deux, que le licenciement d’un contractuel dans le secteur public doit être dûment motivé et qu’il doit reposer sur des motifs exacts, pertinents et légalement admissibles. Elle répond également à l’argument de la discrimination, rappelant l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 30 juin 2016, qui a conclu à la violation par l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 des articles 10 et 11 de la Constitution pour ce qui est des licenciements dans le secteur public à partir du 1er avril 2014. S’il y avait discrimination, celle-ci viendrait d’une lacune législative.
En l’espèce, la Commune expose que l’intéressé a eu connaissance des motifs de son licenciement et qu’il a pu se défendre.
A partir de ces deux positions diamétralement opposées, la cour souligne que, depuis l’arrêt de la Cour de cassation, la controverse qui existait auparavant sur la question de la double obligation de l’employeur public en cas de licenciement d’un membre du personnel contractuel est ravivée. Elle relève que, postérieurement à cet arrêt, la Cour constitutionnelle a été réinterrogée par un jugement du Tribunal du travail de Bruxelles du 14 avril 2016 (R.G. 14/13.388/A). Elle estime cependant pouvoir trancher le litige sans se prononcer sur l’application de la loi du 29 juillet 1991 à celui-ci et sans devoir procéder à un contrôle de constitutionnalité sur les questions de motivation du licenciement ainsi que d’audition préalable à celui-ci.
Elle examine, minutieusement, les demandes du travailleur, dont la demande principale qui est sa réintégration. Elle retient que, si diverses lois (loi anti-discrimination de 2007, loi du 4 août 1996 et loi du 19 mars 1991 – de même que la C.C.T. n° 25 du 15 octobre 1975 relative à l’égalité de rémunération entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins) renferment des dispositions relatives à la réintégration du travailleur, tel n’est pas le cas dans le cadre de la loi du 3 juillet 1978. L’intéressé n’a aucune base légale pour réclamer la réintégration dans son emploi. Celle-ci n’est dès lors pas autorisée et le jugement est confirmé à cet égard.
Quant aux dommages et intérêts postulés, la Commune a soigneusement mené son enquête préalable au licenciement et dûment motivé celui-ci. Il n’y a pas de préjudice particulier démontré.
Quant au recours par la Commune à un contrat illégal, elle retient, reprenant un extrait de l’arrêt du Conseil d’Etat, que l’intéressé a été recruté de la volonté commune des parties dans les liens d’un contrat de travail, faisant expressément référence à la loi du 3 juillet 1978, et qu’il a consenti clairement à celui-ci. La cour relève encore que, dans la mesure où l’engagement n’a pas été précédé d’un appel public aux candidats, il n’y a pas eu de mise en concurrence et qu’il a ainsi été fortement favorisé pour son embauche.
Enfin, la demande formée dans le cadre de l’article 63 du 3 juillet 1978 est également rejetée, le licenciement étant fondé sur un motif admissible, lié à la conduite.
Intérêt de la décision
Outre les développements que la cour fait sur l’absence de droit à la réintégration, c’est évidemment la question de la motivation du licenciement par l’employeur public qui est intéressante. L’on se trouve, en effet, « post » arrêt de la Cour de cassation du 12 octobre 2015 et l’on constate que la discussion n’a pas été clôturée par celui-ci. La cour relève notamment qu’est toujours pendante devant la Cour constitutionnelle une question posée par le Tribunal du travail de Bruxelles dans un jugement du 14 avril 2016, question à laquelle la Cour constitutionnelle n’a pas encore répondu. Il est évident que son arrêt est attendu avec la plus grande impatience.
Relevons encore sur la question l’arrêt du Conseil d’Etat du 27 septembre 2016 (n° 235.871 – précédemment commenté), qui s’est purement et simplement référé à l’arrêt de la Cour de cassation.