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Valeur contraignante des formulaires européens E101/A1

Article : arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne du 27 avril 2017 (A-Rosa Flussschiff GmbH, C-620/15)

Mis en ligne le jeudi 15 juin 2017


Cour de Justice de l’Union européenne du 27 avril 2017 (A-Rosa Flussschiff GmbH, C-620/15)

Terra Laboris

Le formulaire E101 crée une présomption de régularité de l’affiliation du travailleur concerné au régime de sécurité sociale de l’Etat membre qui l’a délivré, étant celui où l’entreprise qui emploie ce travailleur est établie.

La jurisprudence de la C.J.U.E. sur la question est ancienne, celle-ci ayant considéré dans un arrêt Fitzwilliam (C.J.U.E., 10 février 2000, Fitzwilliam Executive Search Ltd, C-202/97) qu’elle s’impose aux institutions des autres Etats membres que celui qui l’a délivré. Cette force contraignante a un effet rétroactif, ainsi que jugé dans l’arrêt Banks (C.J.U.E., 30 mars 2000, C-178/97).

De même, ce formulaire s’impose aux juridictions de l’Etat dans lequel la prestation de travail est effectuée, ce qui a été admis par la Cour dans un arrêt Kiere (C.J.U.E., 26 janvier 2006, Herbosch Kiere NV, C-2/05).

Le mécanisme mis en place par le règlement de coordination pose le principe de l’unicité de la législation applicable. Un travailleur n’est donc soumis qu’à un seul régime de sécurité sociale et le but poursuivi est la sécurité juridique, qui impose de considérer comme fiables les documents produits dans ce type d’occupation.

Les risques liés à la délivrance de documents E101/A incorrects sont tempérés, au niveau des Etats, par le principe de coopération loyale, qui gît dans l’article 4, § 3, T.U.E. En vertu de celui-ci, l’Etat membre d’origine qui va délivrer le certificat doit procéder à une appréciation correcte des faits, étant qu’il garantit l’exactitude des mentions qui y figurent. Dans la mesure où l’institution de sécurité sociale de l’Etat d’accueil met en doute l’exactitude des faits présentés via le certificat, l’Etat d’origine doit reconsidérer le document.

Toujours eu égard au même principe, l’Etat membre d’accueil doit lui conférer le bénéfice de l’exactitude, et ce dans la mesure où il ne peut assujettir les travailleurs concernés à son régime de sécurité sociale allant à l’encontre des mentions du certificat.

Les deux Etats membres doivent, à cet égard, se soumettre à une procédure de coopération fixée par la Commission administrative, conformément aux arrêts de la Cour de Justice. En cas de litige, il leur est dès lors possible de se tourner vers la Commission administrative et, de même, une procédure en manquement peut être introduite contre l’Etat qui a émis le certificat.

Tant que celui-ci n’a pas été retiré ou déclaré invalide par l’institution qui l’a délivré, le certificat lie donc les institutions et les juridictions de l’Etat membre où le travail est effectué.

L’arrêt du 27 avril 2017 vient ajouter un élément supplémentaire, étant que, dans la situation visée, le certificat ne correspondait manifestement pas aux conditions d’occupation, s’agissant de travailleurs saisonniers exerçant des fonctions sur des bateaux de navigation de plaisance se mouvant uniquement sur les eaux intérieures françaises.

La question de la décision à prendre, en cas d’erreur manifeste, est tranchée par la Cour de Justice conformément à sa jurisprudence antérieure. Même si le certificat est erroné et que les travailleurs ne relèvent manifestement pas du champ d’application de la disposition sur laquelle il se fonde, ceci ne modifie en rien son caractère contraignant. Des initiatives devaient dès lors être prises par les institutions de l’Etat français, aux fins de saisir la Commission administrative. Il aurait également pu introduire une procédure en manquement, ce qui n’a cependant pas été possible en l’espèce, s’agissant d’une filiale d’une société allemande sise en Suisse. L’arrêt rappelle que, néanmoins, l’accord CE-Suisse a son système propre de règlement des différends.

En l’espèce, la question préjudicielle avait été posée à la Cour de Justice par la Cour de cassation française, dans le cadre du Règlement 574/72 et la Cour a dès lors répondu que les institutions et juridictions de l’Etat d’accueil sont liées même lorsqu’il est constaté par celles-ci que les conditions de l’activité du travailleur concerné n’entrent manifestement pas dans le champ d’application matérielle de cette disposition du Règlement 1408/71.

Dans son analyse de cet arrêt, M. Mavridis PRODROMOS a évoqué le risque de fraude et d’abus, relevant que la doctrine a beaucoup critiqué les faiblesses de ce mécanisme. Il repose en effet sur la confiance mutuelle entre les Etats. Peut cependant se poser la question des sociétés « boîte aux lettres », qui, par la délivrance de tels certificats, soustrairaient frauduleusement des travailleurs au régime de sécurité sociale qui devrait leur être appliqué.

Des affaires sont actuellement pendantes devant la Cour de Justice, étant une affaire Altun (C-359/16), concernant des certificats délivrés en Bulgarie alors que l’employeur n’y exerçait aucune activité (question préjudicielle posée par la Cour de cassation belge), ainsi qu’une affaire Alpenrind (C-527/16), concernant des remplacements de travailleurs détachés hongrois dans des abattoirs autrichiens (question posée par la juridiction suprême autrichienne). Dans cette dernière affaire, il est demandé à la Cour de Justice de se prononcer eu égard à l’article 5 du Règlement 987/2009.

Reste encore un arrêt Commission c/ Belgique (C-356/15), dont le prononcé semble imminent. La Commission reproche à la Belgique une violation des Règlements 1408/71 et 574/72, dans la mesure où l’administration a la possibilité, lorsqu’elle estime être en présence d’un abus, d’assujettir un travailleur détaché au système de sécurité sociale belge, déniant ainsi la force probante du certificat A1.

Affaire à suivre donc…


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