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Conditions de la cohabitation dans la réglementation chômage

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 31 mars 2017, R.G. 16/7.648/A

Mis en ligne le vendredi 30 juin 2017


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 31 mars 2017, R.G. 16/7.648/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 31 mars 2017, le tribunal du travail francophone de Bruxelles retient, dans l’espèce qu’il examine, que dès lors qu’un demandeur occupe dans un immeuble un appartement distinct de celui d’autres membres de sa famille, avec toutes les commodités nécessaires pour assurer son autonomie, il ne vit pas sous le même toit qu’eux au sens de l’article 59 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991.

Les faits

Un jeune homme de 24 ans fait, en octobre 2013, une demande de changement d’adresse vers la même adresse que celle qu’il occupe. Il déclare alors habiter seul. Il bénéficie des allocations d’insertion au taux d’isolé.

Une enquête de l’ONEm révèle que les parents et le frère habitent à la même adresse et que l’immeuble n’est pas repris comme immeuble à appartements.

L’intéressé expose alors qu’il habite seul dans un appartement séparé, qu’il y a fait des travaux, qu’il paie un loyer à ses parents, qu’il assume ses frais d’électricité, ainsi que de gaz. Il produit une copie de la taxe régionale, ainsi que de nombreux justificatifs relatifs aux éléments ci-dessus.

L’ONEm prend une décision d’exclusion des allocations au taux d’isolé et de récupération. Il s’agit d’une période de plus d’un an. Une sanction de quatre semaines est également prononcée.

Position du tribunal

Suite au recours de l’intéressé, le Tribunal du travail de Bruxelles examine la question. Après avoir vérifié l’ensemble des éléments de fait ci-dessus, il pose le problème en droit. Il s’agit d’appliquer l’article 110 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, qui définit les catégories de bénéficiaires d’allocations.

Le chef de famille peut viser certains types de cohabitation étant (i) avec des enfants dans la mesure où ceux-ci peuvent être bénéficiaires d’allocations familiales, où ils ne disposent pas de revenus professionnels ou de revenus de remplacement, ou encore à d’autres conditions (non reprises par le tribunal) de même que (ii) avec un ou plusieurs parents qui ne disposent ni de revenus professionnels ni de revenus de remplacement. Ces cas sont soulignés par le tribunal et permettent de passer à la définition du travailleur « isolé » qui est celui qui habite seul, à l’exception du travailleur ci-dessus (ainsi que d’autres hypothèses où la qualité de travailleur avec charge de famille peut être retenue conformément à l’arrêté royal).

Quant au cohabitant, ce n’est aucun des deux précédents.

La cohabitation est définie à l’article 59, alinéa 1er de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991, comme le fait, pour deux ou plusieurs personnes, de vivre ensemble sous le même toit et de régler principalement en commun les questions ménagères. Il y a deux conditions cumulatives et le tribunal reprend la doctrine sur la question. C’est le chômeur qui considère avoir la qualité de travailleur avec charge de famille ou de travailleur isolé qui doit prouver cette qualité. La jurisprudence de la Cour de cassation est ancienne et constante.

L’intéressé fonde sa défense non sur le fait de régler principalement en commun les questions ménagères mais également sur la première condition, étant la vie sous le même toit. Il estime que celle-ci n’est pas présente. Il fait valoir notamment que l’immeuble est divisé en quatre unités distinctes (sonnettes individuelles), qu’il y a autonomie de vie dûment avérée, le tribunal reprenant l’ensemble des éléments matériels (étant essentiellement l’ameublement de l’appartement, ainsi que les preuves d’achat du mobilier) qui ont permis la prise d’indépendance du demandeur.

Pour le tribunal, l’ONEm s’est attaché à une apparence administrative et n’a d’ailleurs jamais procédé à une visite domiciliaire.

Dès lors qu’il y a appartement distinct avec toutes les commodités nécessaires pour assurer l’autonomie du demandeur, il n’y a pas vie sous le même toit. Pour le tribunal ce serait la même chose si le demandeur habitait l’immeuble voisin de celui de ses parents.

La qualité d’isolé est dès lors établie à suffisance.

Sur la deuxième question, brièvement examinée à titre surabondant, étant que le jeune pourrait bénéficier d’un règlement par ses parents de dépenses ménagères ou de mise en commun de charges, le tribunal relève judicieusement que « la bienveillance de proches et singulièrement la prodigalité inhérente à la relation filiale ne doit pas être confondue avec la mise en commun des questions ménagères ». Renvoyant à de la jurisprudence récente, il conclut que de simples libéralités ne doivent pas être confondues avec une participation concertée à des charges communes.

Intérêt de la décision

Ce jugement examine la question de la cohabitation eu égard à la première condition posée par la réglementation, qui est la vie sous le même toit. Dès lors que l’autonomie de vie est suffisamment établie, le fait qu’il y ait une même adresse n’est pas suffisant pour que soit remplie la condition de vie commune.

Par ailleurs, surabondamment, le tribunal renvoie à de la jurisprudence récente qui confirme le point de vue selon lequel même si un bénéficiaire d’allocations de chômage reçoit des libéralités de sa famille, ceci n’implique pas une participation concertée à des charges communes.

La décision est importante et s’inscrit dans un courant de jurisprudence récent mais de plus en plus affirmé. L’on peut notamment relever que cette problématique (cohabitation, « co-housing », sous-location et autres formules voisines) a fait l’objet de plusieurs décisions récentes de la Cour du travail de Bruxelles, allant dans le sens de la vérification de l’autonomie comme critère prépondérant pour faire admettre la qualité d’isolé. (voir notamment C. trav. Bruxelles, 9 juin 2016, R.G. 2015/AB/1 ; C. trav. Bruxelles, 05 janvier 2017, R.G. 2016/AB/40 ; C. trav. Bruxelles, 05 avril 2017, R.G. 2015/AB/1.143 et C. trav. Bruxelles, 05 avril 2017, R.G. 2015/AB/913).

L’on peut, en outre, souligner que l’ONEm a introduit un pourvoi devant la Cour de cassation contre plusieurs de ces décisions.


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