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Allocations d’insertion : écartement de l’arrêté royal du 30 décembre 2014 pour illégalité

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 13 juin 2017, R.G. 15/7.740/A

Mis en ligne le vendredi 29 septembre 2017


Tribunal du travail de Liège, division Liège, 13 juin 2017, R.G. 15/7.740/A

Terra Laboris

Dans un jugement rendu le 13 juin 2017, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) fait droit à la demande d’une chômeuse, âgée de plus de 25 ans lors de la demande d’allocations d’insertion, d’écarter cette condition au motif de l’illégalité de l’arrêté royal du 30 décembre 2014.

Les faits

Une étudiante termine ses études universitaires le 12 septembre 2014. Elle est née le 27 octobre 1989 et a, à cette date, moins de 25 ans. Elle s’inscrit en qualité de demandeuse d’emploi. Elle postule l’octroi des allocations d’insertion le 17 septembre 2015. Elle a à ce moment plus de 25 ans.

L’ONEm rejette la demande, par décision du 1er décembre 2015, et ce au motif de la condition d’âge, celle-ci figurant à l’article 36 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.

Cette disposition a été modifiée par l’article 1er, 1°, de l’arrêté royal du 30 décembre 2014.

La décision du tribunal

Le tribunal relève que, pour la demanderesse, cet arrêté royal est illégal vu d’une part que l’urgence invoquée pour l’avis de la section législation du Conseil d’Etat n’est pas avérée et d’autre part qu’il y a violation du principe de standstill repris à l’article 23 de la Constitution.

L’article 36 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 prévoit, actuellement, en son 5°, que le demandeur ne peut pas avoir atteint l’âge de 25 ans au moment de la demande d’allocations. Cette limite d’âge est reportée dans certaines hypothèses (non rencontrées ici).

Le tribunal examine, dès lors, les éléments avancés quant à l’illégalité du texte modificatif.

L’arrêté royal est précédé d’un préambule, qui justifie l’urgence invoquée, et ainsi bénéficie de la procédure dérogatoire des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat (article 84, § 1er, alinéa 1, 5°). En vertu de celle-ci, seul un avis en urgence a été donné par la section législation du Conseil d’Etat, celui-ci s’étant limité à la vérification du fondement légal et à la compétence matérielle de l’auteur. Or, l’importance des nombreuses modifications introduites par cet arrêté royal aurait pour le tribunal justifié un examen en profondeur. Il relève d’ailleurs que l’urgence est née de l’ultimatum que le Gouvernement s’est fixé à lui-même, étant qu’il fallait des objectifs budgétaires visibles très rapidement.

Vu le non-respect de la procédure formelle, le tribunal écarte ce texte en application de l’article 159 de la Constitution.

Il examine cependant, surabondamment, parmi plusieurs autres points, le principe général de droit de la non-réactivité des lois et arrêtés réglementaires. Il y a eu une modification des règles du jeu et la demanderesse avait fait son choix d’études à un moment où elle ne pouvait anticiper ces conditions nouvelles, qui allaient précariser sa situation sociale. Pour le tribunal, ceci a pour effet d’induire un effet rétroactif indirect à la modification introduite. Les étudiants – au moment où elles effectuent le choix de leurs études supérieures – ne pouvaient pas savoir que suivre un « type long » les exposait à un refus d’allocations d’insertion en cas de moindre retard supérieur à un an dans la scolarité. Ce constat n’est pas corrigé par les mesures provisoires introduites et le tribunal de conclure sur ce point qu’il eut été adéquat de maintenir à ces personnes le même régime que celui qu’elles connaissaient ab initio et qui leur était applicable. Il y a dès lors violation du principe de non-rétroactivité des lois et règlements, ce qui est un second motif pour écarter la disposition en cause.

Le tribunal en vient ensuite à l’effet de standstill, pour lequel il rappelle les principes et, notamment, la règle selon laquelle tout recul doit, pour être admissible, faire l’objet d’une attention particulière en termes de justification. Ce principe, même s’il n’a pas le statut de principe général de droit, est une réalité applicable dans l’ordre juridique belge, d’autant qu’il est renforcé par l’article 23 de la Constitution, qui garantit la protection des droits sociaux élémentaires.

Le tribunal examine, en conséquence, s’il y a une régression significative des droits sociaux de l’intéressée et constate un recul significatif objectif. Par ailleurs, sur la justification sérieuse requise, il conclut à l’exigence, en cas de volonté du pouvoir législatif et réglementaire de faire régresser les droits sociaux, de fixer des objectifs clairs et d’établir objectivement que la mesure adoptée – qui a fait l’objet d’une analyse sérieuse et motivée et qui permet d’atteindre les objectifs poursuivis – a le moins d’effets néfastes pour les citoyens. Ceci ne peut consister dans les « quelques lignes » (souligné dans la décision) du préambule, que le tribunal qualifie de « justification peu fouillée générale et ayant une autre finalité immédiate ». La notion d’intérêt général est reprise comme l’économie budgétaire promise à l’Union européenne – sans aucune analyse ni des façons de réaliser celle-ci ni de l’impact budgétaire de la mesure. Le tribunal fustige par ailleurs la position de l’ONEm, selon lequel le but est « évidemment de pousser les jeunes à ne pas éterniser les études… ».

Est encore examiné, toujours à titre surabondant, le respect des articles 10 et 11 de la Constitution. En abaissant de 30 à 25 ans l’âge maximum que le jeune doit avoir au moment de l’introduction de la demande, les étudiants qui ont opté pour un cycle long sont très sévèrement pénalisés, risquant d’être exclus du régime d’allocations d’insertion, pour peu qu’ils aient dû recommencer une année sur l’ensemble du cursus.

En comparant le risque d’échec dans des études de type court (qui n’entraînent pas un tel risque d’exclusion aussi aisément), le tribunal conclut à une différence de traitement qui porte sur un choix privé, qui est le choix des études. La vie privée étant protégée tant par l’article 8 de la C.E.D.H. que par l’article 22 de la Constitution, il y a ici une atteinte à ce droit, et ce par une norme réglementaire, qui a pour effet d’exclure un nombre important d’étudiants qui ont opté pour un enseignement supérieur de type long. La discrimination constatée est contraire à la Constitution.

En conséquence, ayant écarté la disposition querellée, le tribunal annule la décision contestée et condamne l’ONEm à ouvrir le droit aux allocations d’insertion depuis la date de la demande.

Intérêt de la décision

Ce jugement n’est pas le premier qui conclut à l’écartement de récentes dispositions modificatives de la réglementation chômage, et particulièrement des allocations d’insertion.

L’intérêt de la décision est de renvoyer non seulement à la question de l’urgence invoquée (qui n’existe pas en réalité, pour le tribunal), ainsi que de la violation du principe du standstill, mais également d’insister sur d’autres aspects, étant d’une part l’absence de mesures transitoires, qui créent un effet rétroactif indirect violant ainsi le principe général de droit de la non-rétroactivité des lois, et de l’autre la pression ainsi mise sur le choix d’études des jeunes citoyens, dont il est très judicieusement rappelé qu’il s’agit d’un choix privé et protégé par l’article 8 C.E.D.H.

Ce jugement n’est pas définitif.


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