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Proratisation de la pension de retraite d’entreprise en cas de prestations à temps partiel : conditions de conformité au droit européen

Commentaire de C.J.U.E., 13 juillet 2017, Aff. n° C-354/16 (KLEINSTEUBER c/ MARS GmbH)

Mis en ligne le vendredi 8 décembre 2017


Cour de Justice de l’Union européenne, 13 juillet 2017, Aff. n° C-354/16 (KLEINSTEUBER c/ MARS GmbH)

Terra Laboris

La Cour de Justice de l’Union européenne rappelle dans un arrêt du 13 juillet 2017 que la prise en compte de la durée de travail effectivement accomplie par un travailleur au cours de sa carrière constitue un critère objectif et étranger à toute discrimination permettant une réduction proportionnée de ses droits à la pension.

Les faits

La Cour de Justice est interrogée à propos de l’accord-cadre sur le travail à temps partiel du 6 juin 1997, qui figure à l’annexe de la Directive 97/81/CE du Conseil du 15 décembre 1997 (modifiée par la Directive 98/23/CE du Conseil du 7 avril 1998), ainsi que de la Directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière d’emploi et de travail et, enfin, de celle 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de traitement.

Il s’agit d’un litige rendu en matière de retraite d’entreprise concernant une travailleuse à temps partiel qui avait quitté celle-ci avant la survenance de l’événement ouvrant le droit à la pension. L’employée avait été occupée par la société en cause (ainsi que par celle qui l’avait précédée sur le plan juridique) pour une période d’environ 24 ans (octobre 1990 – mai 2014), occupation parfois à temps plein, parfois à temps partiel. Elle pouvait prétendre à partir de l’âge de 55 ans à une retraite d’entreprise. Le montant de celle-ci est calculé, en cas d’occupation à temps partiel, à l’aide d’une formule dite « différenciée ». En cas de départ anticipé, il est également procédé à un calcul au prorata temporis. Le quotient acquis est calculé en établissant le rapport entre l’ancienneté effective et la durée que le salarié aurait encore accomplie sans départ anticipé jusqu’à l’âge de la retraite. Un droit maximal fictif est également fixé. Celui-ci est multiplié par le quotient acquis et donne le montant de la retraite d’entreprise dû. Enfin, au sein de la société, existe un plafond pour les années d’ancienneté pouvant être prises en compte (35 ans).

L’intéressée conteste ce calcul devant l’Arbeidsgericht de Verden (Tribunal du travail de Verden). Celui-ci pose à la Cour de Justice deux questions préjudicielles, que celle-ci examinera successivement.

La décision de la Cour

La première question porte essentiellement sur une violation du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes dans la mesure où, ainsi qu’exposé par le juge national, les activités à temps partiel sont majoritairement exercées par des femmes. La Cour circonscrit donc son examen à l’interprétation des clauses 4.1 et 4.2 de l’accord-cadre et de l’article 4 de la Directive 2006/54/CE, relevant qu’elle n’est pas saisie d’une question de discrimination fondée sur l’âge au sens des articles 1er et 2 de la Directive 2000/78/CE.

Est contestée la méthode de calcul, qui, pour la demanderesse, aboutirait à défavoriser les travailleurs à temps partiel. Pour la Cour, ceci ne ressort pas clairement du dossier, dans la mesure où la prise en compte du rapport entre la durée de travail accomplie et de la totalité de la carrière dans le cas d’un temps complet est une application stricte du principe prorata temporis.

La Cour renvoie à sa jurisprudence, qui a eu l’occasion d’énoncer que la prise en compte de la durée de travail effectivement accomplie par un travailleur au cours de sa carrière constitue un critère objectif et étranger à toute discrimination permettant une réduction proportionnée de ses droits à la pension (C.J.U.E., 23 octobre 2003, SCHÖNHEIT et BECKER, Aff. n° C-4/02 et C-5/02). Il en va de même des effets sur le plan du calcul de la pension de la rémunération plus élevée, ceci ne découlant pas du temps partiel mais étant l’application du principe ci-dessus et, au sein de la société, de la formule différenciée qui est retenue.

La Cour note par ailleurs que la retraite d’entreprise complète les prestations versées par l’assurance retraite obligatoire. Les objectifs retenus par l’employeur sont de refléter à l’âge de la retraite – si possible complétement et de manière proportionnelle – le niveau de vie du salarié en cours d’activité. La formule différenciée appliquée est également justifiée, eu égard au calcul du plafond des cotisations dans le régime légal. Examinant encore l’objectif de la méthode de calcul, la Cour retient qu’il n’y a pas de discrimination fondée sur le type de travail au sens de l’accord-cadre ni, partant, de violation du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement.

Elle répond dès lors négativement à la première question : les dispositions en cause ne s’opposent pas une réglementation nationale qui, pour le calcul du montant d’une retraite d’entreprise, (i) établit une distinction entre le revenu du travail qui est inférieur au plafond du calcul des cotisations de l’assurance retraite obligatoire et le revenu du travail supérieur à celui-ci et qui (ii) ne traite pas le revenu tiré d’un emploi à temps partiel en calculant d’abord le revenu versé pour un emploi à temps plein correspondant, en déterminant ensuite les quotes-parts situées respectivement au-dessus et en-dessous du plafond de calcul des cotisations et, enfin, en reportant ce rapport au revenu réduit issu de l’emploi à temps partiel.

En outre, dans l’hypothèse du cumul de périodes de travail à temps plein et de périodes de travail à temps partiel, les mêmes dispositions ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui détermine un taux d’activité uniforme pour la durée totale de la relation de travail dans la mesure où cette méthode de calcul n’enfreint pas la règle du prorata temporis. Ceci est à vérifier par le juge de renvoi.

La Cour aborde ensuite la seconde question, qui porte sur le rapport fait entre l’ancienneté et la durée de la période comprise entre l’entrée en fonction dans l’entreprise et l’âge normal de la retraite fixé par l’assurance retraite obligatoire, les annuités de carrière étant plafonnées.

Pour la Cour, le juge allemand a retenu que la méthode aboutit à allouer aux salariés qui ont acquis leur ancienneté lorsqu’ils étaient plus jeunes une retraite d’entreprise inférieure à celle de collègues qui ont acquis celle-ci lorsqu’ils étaient plus âgés, bien que l’ancienneté soit la même.

Ceci n’est, pour la Cour, pas lié directement au critère de l’âge, la réglementation s’appliquant de la même manière aux travailleurs de tous âges. Elle est donc fondée non sur ce critère mais sur celui de l’ancienneté. C’est au juge de renvoi – qui est seul à avoir une connaissance directe du litige – de procéder aux vérifications nécessaires afin de déterminer si la réglementation en cause est, concrètement et en-dehors de circonstances aléatoires, susceptible d’entraîner une différence de traitement indirectement fondée sur l’âge (et non sur l’ancienneté) et de vérifier si le problème soulevé est concret et non hypothétique ou abstrait.

Elle souligne le principe de collaboration entre les juridictions nationales et la Cour de Justice, conformément à l’article 267 T.F.U.E. Elle est tenue de donner au juge national une réponse utile pour lui permettre de trancher le litige dont il est saisi et, de son côté, ce dernier doit avoir égard à la fonction confiée à la Cour, qui est de contribuer à l’administration de la justice dans les Etats membres et non de formuler des opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques. Elle rappelle en outre que, à supposer que la différence de traitement soit établie, il faudra encore, pour qu’elle ait un caractère discriminatoire au sens de la Directive 2000/78/CE, qu’elle ne soit pas justifiée par un objectif légitime et que les moyens permettant d’atteindre cet objectif ne soient pas appropriés et nécessaires.

Elle admet dès lors qu’est conforme aux dispositions visées la méthode de calcul qui tient compte du rapport entre l’ancienneté et la durée de la période comprise entre l’entrée en fonction dans l’entreprise et l’âge normal de la retraite fixé par l’assurance retraite obligatoire et plafonne les annuités de carrière susceptibles d’être comptabilisées.

Intérêt de la décision

Le mode de calcul de la pension de retraite d’entreprise comporte des particularités, tenant à certains égards compte des cotisations au régime de retraite obligatoire en Allemagne.

Ceci amène à admettre la légalité d’une formule différenciée, qui prendra en compte la différence de besoin de couverture pour les tranches de rémunération inférieures et supérieures au plafond de calcul des cotisations, ces dernières n’étant pas prises en compte lors du calcul de la retraite versée par l’assurance retraite obligatoire.

Ce cas de figure, appliqué aux travailleurs à temps partiel, qui perçoivent dès lors un revenu ouvrant le droit à une pension généralement inférieure au plafond de calcul des cotisations, n’est pas en soi source de discrimination. Il s’agit d’une raison objective au sens de la clause 4.1 de l’accord-cadre justifiant une différence de traitement. Il n’y a dès lors pas de discrimination fondée sur le type de travail ni de violation de principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement.

Par ailleurs, la Cour rappelle – à l’occasion de l’examen de la deuxième question – que son rôle est de contribuer à l’administration de la justice dans les Etats membres et non de formuler des opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques (renvoyant à deux de ses arrêts, étant C.J.U.E., 12 juin 2003, Aff. n° C-112/00, SCHMIDBERGER et C.J.U.E., 26 février 2013, Aff. n° C-617/10, ÅKERBERG).


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