Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Verviers), 25 octobre 2017, R.G. 16/1.348/A
Mis en ligne le mardi 13 février 2018
Tribunal du travail de Liège, division Verviers, 25 octobre 2017, R.G. 16/1.348/A
Terra Laboris
Par jugement du 25 octobre 2017, le Tribunal du travail de Liège (division Verviers) rappelle les règles en matière d’acte équipollent à rupture, constaté dans l’hypothèse d’une modification unilatérale d’une condition essentielle du contrat, s’agissant en l’occurrence du lieu de travail.
Les faits
Un agent contractuel au service d’un employeur public est occupé dans la région de Liège, où il preste pour l’administration qui l’emploie. Dans le cadre la réorganisation globale du service public, le personnel statutaire et contractuel est invité à se porter candidat pour une ou plusieurs résidences administratives dans lesquelles les nouveaux services seront établis. Les services existants sont amenés à être supprimés au fur et à mesure de la création de la nouvelle structure.
Des modalités sont prévues quant aux règles d’affectation eu égard à l’obligation de résidence administrative.
L’intéressé opte pour Bruxelles, de telle sorte qu’un avenant à son contrat de travail lui est proposé. A ce moment, il envisage de le refuser et, après avoir pris des informations sur les conditions de rupture, décide en fin de compte de ne pas se présenter, confirmant qu’il reste à disposition au bureau régional.
Intervient un échange épistolaire, dans lequel l’intéressé maintient qu’il entend poursuivre l’exécution de son contrat de travail là il l’a fait jusqu’alors, considérant que le lieu du travail est un élément essentiel du contrat qui ne peut être modifié unilatéralement.
Il est en fin de compte mis un terme au contrat de travail, l’administration considérant que le refus exprimé de se présenter au nouveau lieu de travail implique une rupture du contrat de travail, celle-ci émanant de l’employé, qui a, selon l’administration, mis « volontairement et unilatéralement » fin à celui-ci.
Des discussions sont poursuivies suite à la rupture, échange qui n’aboutit pas.
Une procédure est dès lors introduite devant le Tribunal du travail de Liège (division Verviers) en paiement d’une indemnité de rupture, ainsi que d’une indemnité pour licenciement abusif (chefs de demande principaux).
La décision du tribunal
La tribunal est saisi de la question de savoir s’il y a en l’espèce acte équipollent à rupture, étant de dire si le refus pour l’employé de se présenter sur un lieu de travail qui lui avait été attribué en fonction de ce choix de priorité, dans le cadre de la réorganisation en cause, est un abandon d’emploi, ce que considère l’employeur, ou si c’est ce dernier qui est l’auteur de la rupture.
Le tribunal se livre, dès lors, à une analyse des éléments de fait, non sans avoir cependant rappelé tout au long de son jugement les principes en la matière. La volonté de rompre qui peut être dégagée d’un manquement d’une des parties à ses obligations est une question qui doit être appréciée en fait par le juge du fond, qui dispose ici d’un pouvoir d’appréciation souverain, le tribunal rappelant l’arrêt de la Cour de cassation du 26 février 1990 (Cass., 26 février 1990, Chron. Dr. Soc., 1990, p. 273). Il s’agit pour le juge de vérifier si la partie a l’intention persistante de ne plus exécuter entièrement ou partiellement le contrat et donc de le rompre.
Sur le plan de la preuve, c’est à la partie qui estime être libérée de son obligation d’exécuter le contrat du fait du comportement de l’autre (manifestation de sa volonté de modifier le contrat et, partant, de le rompre) d’établir une telle volonté dans son chef.
En l’espèce, le tribunal examine les éléments de la procédure (qualifiée de « basculement »), étant que la réorganisation de grande ampleur à laquelle il était procédé paraissait entraîner des changements inéluctables. Il retient par ailleurs qu’une telle affectation aurait pu résulter d’un ordre de service de l’administration, aucune garantie dans le respect des priorités n’étant toutefois assurée. Pour cette raison, un avenant au contrat fut proposé à l’intéressé et c’est celui-ci qui fut refusé.
Pour le tribunal, il faut distinguer le fait que l’intéressé ait validé son « choix » pour un poste à Bruxelles et un accord valable sur le plan juridique quant au changement d’affectation. Cet accord ne pouvait intervenir que via l’avenant en cause. Dès lors, il ne peut être retenu que l’intéressé aurait marqué un accord sur le changement du lieu de travail, l’avenant n’ayant dans cette hypothèse pas d’autre valeur que celle de la formalisation de celui-ci.
En l’occurrence, les prestations de travail avaient été accomplies pendant 25 ans près du domicile de l’intéressé et elles allaient devoir être exécutées à Bruxelles. En outre, celui-ci n’a pas refusé d’exécuter son contrat de travail, puisqu’il a déclaré se tenir à la disposition de son employeur au lieu initial d’exécution.
Il y a lieu de retenir, en conséquence, que c’est l’employeur qui a modifié unilatéralement le contrat de travail, le jugement relevant encore que des solutions avaient pu être trouvées dans d’autres cas similaires où la volonté de rupture n’avait pas été retenue dans le chef du travailleur, qui n’avait pas été réaffecté. La modification unilatérale est effective et importante, l’employeur ne contestant par ailleurs pas que le lieu du travail est un élément essentiel du contrat.
Le tribunal reprend encore de la jurisprudence sur ce point précis, où avait été admis que constitue un acte équipollent à rupture l’éloignement unilatéral du lieu de travail de cent kilomètres, ou encore la modification qui entraînait pour le travailleur un temps de déplacement de deux heures pour se rendre à son travail et rentrer chez lui.
Enfin, le tribunal rappelle sur cette question que la modification unilatérale importante d’un élément essentiel du contrat de travail peut être considérée comme un licenciement, la Cour de cassation ayant consacré le principe dans un arrêt du 7 mai 2007 (Cass., 7 mai 2007, n° S.06.0067.N).
Doit donc être retenu un acte équipollent à rupture, mais non dans le chef du travailleur. L’employeur est condamné à payer l’indemnité compensatoire, dont le montant n’est pas contesté.
Sur la question du licenciement abusif, pour lequel l’intéressé réclame une indemnité de 6.000 euros nets, le tribunal reprend les principes de la théorie générale en la matière, constatant certes que le licenciement est intervenu de façon irrégulière et « un peu brutale compte tenu de l’ancienneté » de l’intéressé, mais que celui-ci reste en défaut d’établir un dommage, moral ou matériel, distinct en tous ses éléments de celui réparé par l’indemnité de rupture. Ce chef de demande est dès lors rejeté.
Intérêt de la décision
Outre les développements consacré aux points particuliers de la procédure de réaffectation, s’agissant de la réorganisation d’un service public, le jugement rendu par la division de Verviers du Tribunal du travail de Liège rappelle qu’il n’est plus actuellement contesté que le lieu d’exécution du travail constitue un élément essentiel du contrat. La jurisprudence à laquelle le tribunal se réfère, qui a admis un tel acte équipollent à rupture, est ancienne, le tribunal renvoyant notamment à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 9 décembre 1980 (C. trav. Bruxelles, 9 décembre 1980, Bull. F.E.B., 1982, p. 860).
Ce jugement est également l’occasion de rappeler l’enseignement de la Cour de cassation dans son arrêt du 7 mai 2007, où elle a considéré que le travailleur qui subit une modification unilatérale d’un élément essentiel du contrat de travail du fait de l’employeur peut soit invoquer immédiatement l’irrégularité de la résiliation, soit poursuivre l’exécution du contrat de travail aux conditions nouvelles, mais, dans cette seconde hypothèse, sommer l’employeur dans un délai raisonnable d’annuler la modification dans un délai déterminé sous peine de considérer le contrat de travail comme irrégulièrement résilié. Dans ce deuxième cas, si l’employeur maintient la modification au-delà du délai imparti, le contrat de travail est considéré comme ayant fait l’objet d’une résiliation irrégulière à la date fixée par le travailleur.