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Chômage : procédure de suivi de la recherche active d’emploi pour les bénéficiaires d’allocations d’insertion

Commentaire de Cass., 11 décembre 2017, n° S.16.0064.F

Mis en ligne le mardi 8 mai 2018


Cour de cassation (3e chambre), 11 décembre 2017, n° S.16.0064.F

Terra Laboris

La Cour de cassation se prononce sur les conséquences du non-respect par l’Office National de l’Emploi de son obligation d’informer le bénéficiaire d’allocations d’insertion sur la procédure de suivi du comportement actif.

Faits de la cause

Pour la clarté de l’exposé, il convient de préciser que l’arrêté royal du 20 juillet 2012 (M.B. du 30 juillet 2012) a instauré une procédure spécifique de suivi du comportement de recherche active d’emploi pour les bénéficiaires d’allocations d’insertion en insérant dans l’arrêté royal du 25 novembre 1991 les articles 59bis/1 à 59quinquies/2. La procédure d’activation se déroulant sur une longue période, il convenait de prévoir quand et de quelle manière la nouvelle procédure s’appliquerait auxdits bénéficiaires qui avaient déjà été intégrés dans la procédure de suivi commune à tous les chômeurs, ce qui a été fait par l’article 13 de l’arrêté royal du 20 juillet 2012.

Le litige ici commenté porte sur cette transition entre l’ancienne et la nouvelle procédure telle que déterminée par l’article 13, § 2, alinéas 2 à 5, et § 3. En substance, la nouvelle procédure s’applique au moment où l’ancienne a pris fin à la suite d’une évaluation positive des efforts de recherche d’emploi ou du respect du contrat du jeune travailleur. A l’issue de cette évaluation positive, un document écrit doit être remis au jeune travailleur ou lui être envoyé ultérieurement et est destiné à l’informer sur la nouvelle procédure. La première évaluation des efforts fournis pour s’insérer sur le marché du travail porte sur la période débutant à la réception de la lettre ou du document d’information et se termine à la date de réception de la lettre par laquelle le directeur, en application de l’article 59quater/2, lui demande de compléter un formulaire sur les efforts fournis.

Mr M.E.H., bénéficiaire des allocations d’insertion, a, par un courrier du 24 avril 2013, été informé de l’évaluation positive de son comportement de recherche d’emploi pour la période du 25 juillet 2012 au 23 avril 2013, et ce dans le cadre de la procédure de suivi commune à tous les chômeurs. Ce courrier précise qu’il sera « éventuellement convoqué pour un nouveau premier entretien, au plus tôt dans six mois » et qu’il « recevra ultérieurement une lettre d’avertissement (…) rappelant cet entretien ».

Le 31 décembre 2013, une lettre de demande d’informations sur ses efforts de recherche d’emploi lui est adressée par l’ONEm. Par décision du 25 avril 2014, Mr M.E.H. est informé que ses efforts n’ont pas été jugés suffisants et adéquats pour la période d’évaluation du 5 juin 2013 au 4 avril 2014 et qu’il est donc exclu du bénéfice des allocations d’insertion du 28 avril 2014 au 27 octobre 2014 au moins, l’exclusion pouvant être levée à l’expiration de cette période de 6 mois à condition qu’il ait fourni des efforts suffisants et adéquats pour s’insérer sur le marché de l’emploi (application de l’article 59quater/3 de l’arrêté royal).

Mr M.E.H. a introduit contre cette décision un recours recevable.

Par jugement du 5 décembre 2014, le Tribunal du travail de Bruxelles a déclaré ce recours fondé. Ce jugement a fait l’objet d’un appel de l’ONEm.

L’arrêt attaqué

Par son arrêt du 9 juin 2016 (R.G. 2015/AB/9, disponible sur www.terralaboris.be) la cour du travail rejoint le raisonnement adopté par le premier juge.

Elle retient que Mr M.E.H. affirme n’avoir reçu aucune lettre d’information avant la lettre du 31 décembre 2013. L’ONEm ne prouve ni la date à laquelle lui aurait été envoyée la lettre visée à l’article 13, § 2, alinéa 3 de l’arrêté royal du 20 juillet 2012 ni la transmission effective par courrier postal d’une telle lettre, qui doit permettre la transition vers la nouvelle procédure d’activation de la recherche d’emploi. Le contenu de la lettre d’évaluation positive du 24 avril 2013, évoquant un nouveau premier entretien, loin d’attirer l’attention de Mr M.E.H. sur le passage à une nouvelle procédure d’activation, suggère au contraire la poursuite de la procédure antérieure.

Pour la cour du travail, comme pour le tribunal, l’absence de respect de cette formalité invalide toute la procédure d’activation qui en découle, jusque et y compris la décision d’exclusion. L’arrêt précise que la Cour du travail de Bruxelles a déjà statué en ce sens à propos de la lettre d’information prévue par l’article 59ter de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 dans le cadre de l’ancienne procédure d’activation (C. trav. Bruxelles, 8e ch., 2 mars 2011, R.G. 2009/AB/52.258, Juridat). Or, la lettre d’information visée à l’article 13, § 2, alinéas 4 et 5, est équivalente à celle visée à l’article 59ter/1 de la procédure spécifique pour les jeunes travailleurs : c’est cette lettre qui initie la procédure d’activation. Son caractère fondamental et indispensable se déduit des points suivants. Elle constitue chronologiquement la première étape de la procédure. Le directeur doit, selon l’article 59bis/1, se conformer dans l’ordre chronologique aux modalités prévues par les articles 59ter/1 à 59nonies. Cette lettre assure l’effectivité du droit à l’assurance chômage du jeune en le renseignant sur ses obligations de recherche active d’emploi et de collaboration aux actions proposées par le service régional de l’emploi. Elle le renseigne également sur le déroulement ultérieur de la procédure et en particulier sur le moment où il sera invité par le directeur à justifier qu’il a fourni des efforts suffisants et adéquats pour s’insérer sur le marché du travail et sur la période qui sera évaluée. C’est enfin la date de réception de la lettre d’information qui sert de point de départ à la période d’évaluation qui sinon est indéterminable.

L’arrêt écarte enfin le moyen de l’ONEm que le non-respect de l’article 58 de l’arrêté royal, qui prévoit l’obligation générale de recherche active d’emploi, peut servir de base à la confirmation de la sanction prononcée sur la base de l’article 59quater/3, § 6. Ce serait selon la cour du travail donner des effets à une procédure irrégulière qui en est privée. En outre, l’exclusion prévue à l’article 58 porte sur une période révolue alors que la sanction de l’article 59quater/3, § 6, se rapporte à une période à venir. Or, la cour du travail est saisie du litige portant sur le droit aux allocations de chômage pour la période allant du 28 avril 2014 au 27 octobre 2014.

La nullité de la procédure de suivi a donc pour conséquence que les allocations d’insertion sont dues à Mr M.E.H. pour la période litigieuse.

La requête en cassation

Seules les première et troisième branches nous paraissent présenter de l’intérêt.

La première branche du moyen unique de cassation soutient tout d’abord qu’il ne ressort pas des dispositions de la procédure de suivi applicable aux bénéficiaires des allocations d’insertion et de l’article 13 de l’arrêté royal du 20 juillet 2012 que la lettre visée à l’article 13, § 2, alinéas 3 et 4, constituerait une formalité substantielle dont l’absence de preuve d’envoi ou de transmission vicierait toute la procédure et justifierait l’annulation de la sanction d’exclusion.

En effet, d’une part, de manière générale, le chômeur est averti de la nécessité de fournir des efforts suffisants et adéquats pour s’insérer sur le marché du travail dès lors que, en vertu de l’article 58, § 1er, alinéa 1er, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, il s’agit d’une condition d’admission que le chômeur qui prétend à ce bénéfice ne peut ignorer.

D’autre part, le chômeur qui a déjà fait l’objet de la procédure de suivi avant l’insertion dans la réglementation de dispositions spécifiques pour les bénéficiaires des allocations d’insertion a déjà été averti qu’il doit rechercher activement un emploi, informé de ce qu’il sera ultérieurement convoqué en vue d’une évaluation de son comportement et des bases de cette évaluation (articles 59ter, alinéas 1 et 2, et 59quater, § 3, de l’arrêté royal, non modifiés par l’arrêté royal du 20 juillet 2012).

L’article 13, § 2, alinéas 3 et 4, de l’arrêté royal du 20 juillet 2012 n’a donc d’autre but que d’informer le chômeur ayant bénéficié d’une évaluation positive que son comportement de recherche active d’emploi sera évalué tous les six mois, du déroulement ultérieur de la procédure et des suites éventuelles de celle-ci et l’absence de preuve d’envoi ou de remise de cette lettre n’a pas pour effet qu’un chômeur qui ne justifierait pas des efforts requis ne pourrait pas être sanctionné.

L’ONEm ajoute que la circonstance que cette lettre ne doit pas être envoyée par recommandé mais peut l’être par courrier simple implique que la preuve de sa remise effective aux services de la poste ne peut être exigée de lui.

La troisième branche est fondée sur la saisine des juridictions du travail qui, dans ce contentieux de pleine juridiction, ne peuvent allouer le bénéfice des allocations d’insertion à un chômeur qui en a été exclu que si elles constatent que celui-ci a satisfait à toutes les conditions d’octroi pendant la période litigieuse, et spécialement à la condition d’avoir recherché activement un emploi prévue par l’article 58, § 1er, alinéa 1er. Or, l’arrêt attaqué ne procède pas à cette constatation.

L’arrêt commenté

La Cour de cassation rejette le pourvoi.

L’arrêt rappelle tout d’abord le contenu des articles 7, § 1er, alinéa 3, i), de l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, 58, § 1er, alinéa 1er, et 59bis /1 à 59quinquies/1 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.

Réponse à la première branche du moyen

La Cour rappelle le contenu de l’article 13, § 2, alinéas 2 à 4, de l’arrêté royal du 20 juillet 2012.

Elle décide qu’il appartient à l’ONEm de prouver qu’il a accompli la formalité de l’envoi de la lettre d’information et que la circonstance que celle-ci ne doive pas être envoyée par recommandé ne le dispense pas de cette preuve.

Elle indique que : « Cette lettre constitue la forme dans laquelle l’Office national de l’emploi accomplit son obligation d‘informer le jeune travailleur sur son obligation de rechercher activement un emploi et de collaborer avec le service régional de l’emploi et de la formation professionnelle ainsi que sur le déroulement et les suites éventuelles de la procédure. Elle forme un préalable et une garantie de cette procédure de suivi de l’obligation du jeune travailleur. Son défaut invalide cette procédure ».

L’arrêt reproduit ensuite les motifs de l’arrêt attaqué dont il ressort que la cour du travail a considéré que ni la procédure précédente de suivi ni l’obligation prévue par l’article 58 de l’arrêté royal n’ont suffi à fournir à Mr M.E.H. l’information que devait lui donner la lettre prévue par les articles 13, § 2, de l’arrêté royal du 20 juillet 2012 ou 59ter/1 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.

L’arrêt attaqué a donc justifié légalement sa décision d’annuler la décision d’exclusion.

Réponse à la troisième branche

La Cour indique que les dispositions des articles 29bis/1 à 59quinquies/4 « précisent pour les jeunes travailleurs le champ d’application et les modalités du contrôle de l’obligation de rechercher activement un emploi énoncée par l’article 58 de l’A.R. du 25 novembre 1991 ; si le jeune travailleur ne satisfait pas à cette obligation malgré une information circonstanciée, ces dispositions conduisent à son exclusion du bénéfice des allocations, non pour la période passée durant laquelle il n’y a pas satisfait, mais pour une période future et indéterminée, susceptible de se prolonger jusqu’à ce qu’il remplisse la condition d’admissibilité aux allocations, consistant en un stage de journées de travail, prévue aux articles 30 à 34 de l’arrêté royal pour la généralité des chômeurs ».

L’obligation de rechercher activement un emploi énoncée à l’article 58 de l’arrêté royal constitue une condition du bénéfice de l’assurance chômage organisée pour les jeunes travailleurs. Le Roi « a spécialement adopté les articles 59bis/1 à 59quinquies/2 pour déterminer si le jeune travailleur reste exposé au risque de chômage involontaire ou a cessé de l’être. Il s’ensuit que la condition de rechercher activement un emploi énoncée par l’article 58 s’apprécie sur la base de ces dispositions ». Le directeur durant la procédure d’activation et les juridictions du travail « ne peuvent dès lors apprécier les efforts de ce dernier pour s’insérer sur le marché du travail sur la base du seul article 58 de l’arrêté royal ».

Intérêt de la décision

Le litige se situe donc dans le cadre de la transition entre la procédure de suivi du comportement actif de recherche d’emploi applicable à tous les chômeurs et la procédure de suivi spécifique aux bénéficiaires d’allocations d’insertion instaurée par l’arrêté royal du 20 juillet 2012.

Déjà avant cette procédure spécifique, les juridictions du travail s’étaient prononcées sur les conséquences de l’absence de preuve de l’envoi de l’avertissement visé à l’article 59ter de l’arrêté royal du 25 novembre 1991. L’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 2 mars 2011 (R.G. 2009/AB/52.258), auquel se réfère l’arrêt attaqué, a été commenté par Terra Laboris pour SocialEyeNews.

L’arrêté royal du 26 juin 2014 qui a modifié les dispositions des procédures de suivi applicables d’une part aux chômeurs admis sur la base de leur passé professionnel et d’autre part à ceux admis sur la base de leurs études prévoit également cette obligation d’information.

Actuellement, cette information doit être assurée par les organismes régionaux compétents pour assurer ce suivi du comportement actif.

La réponse de la Cour de cassation à la troisième branche revêt une importance de principe qui ne nous paraît pas limitée au seul suivi du comportement actif : lorsqu’une loi ou un règlement énonce de manière générale une condition d’octroi d’une prestation de sécurité sociale puis règle comment l’institution de sécurité sociale vérifie concrètement si l’assuré social y a satisfait, le seul énoncé général ne peut servir de base distincte pour une sanction.

(Cet arrêt est publié sur Juridat avec les conclusions de M. l’Avocat général Genicot).


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