Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 5 septembre 2017, R.G. 16/1.876/A
Mis en ligne le lundi 14 mai 2018
Tribunal du travail du Hainaut, division Charleroi, 5 septembre 2017, R.G. 16/1.876/A
Terra Laboris
Par jugement du 5 septembre 2017, le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) retient que constitue un motif grave de licenciement la participation active et effective en cours de contrat à une activité parallèle et partiellement (à tout le moins) concurrente à celle de l’employeur, et ce fût-ce en-dehors des heures de travail.
Les faits
Une employée est engagée en janvier 2013 par une institution wallonne (Centre de compétence) en qualité de responsable pédagogique.
Des tensions sont enregistrées en septembre 2015 avec d’autres membres du personnel et l’intéressée reçoit un avertissement, dans lequel il lui est notamment reproché d’avoir refusé d’intervenir dans un jury avec un collègue, ce qui est considéré comme de l’insubordination.
Ultérieurement, il est découvert que l’intéressée est impliquée au sein d’une autre organisation, qui met sur pied des ateliers de formation et autres activités en vue de développer des initiatives du même type que celles développées par l’employeur. La directrice demande à la rencontrer et lui adresse le même jour, après l’entretien, une lettre de licenciement pour motif grave. La lettre de précision des motifs est notifiée ensuite, le motif étant longuement repris, étant que son nom apparaît sur le site internet d’une organisation dans laquelle elle exerce une activité parallèle et concurrente. L’A.S.B.L. retient que les modules proposés sont très proches des siens et renvoie également à l’avertissement notifié précédemment. La lettre conclut que l’exercice d’une activité concurrente pendant le contrat de travail est incontestablement un motif grave qui rend immédiatement et définitivement impossible la poursuite des relations contractuelles.
Une procédure est introduite par l’employée en paiement de l’indemnité compensatoire de préavis, ainsi que d’une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable.
La décision du tribunal
Le tribunal reprend les diverses étapes de l’examen du motif grave, étant d’abord le respect du délai de trois jours, la notion de motif grave en elle-même et l’application de ces principes aux éléments de l’espèce.
Le point de départ du délai se situe non à la simple connaissance d’un fait mais lorsque l’employeur a une certitude suffisant à sa propre conviction et aussi à l’égard de la partie adverse et de la justice. Cette connaissance doit exister dans le chef de la personne qui a le pouvoir de rompre le contrat de travail. En vue d’acquérir cette connaissance, des mesures d’investigation peuvent être décidées mais elles ne peuvent être un artifice dont l’unique objectif serait de relancer le délai de trois jours. Il peut en aller ainsi de l’audition du travailleur.
Par ailleurs, la connaissance doit être effective et non simplement possible, et est rappelée la jurisprudence de la Cour suprême selon laquelle le juge ne peut conclure au caractère irrégulier de la rupture au seul motif que son auteur avait la possibilité de connaître plus tôt les faits allégués au titre de motif grave. En cas de contestation quant au respect du délai, il appartient au destinataire du congé d’apporter la preuve contraire, à savoir que la connaissance suffisante existait auparavant.
En l’occurrence, le tribunal retient que l’employeur était effectivement informé depuis plusieurs semaines d’un projet d’activité professionnelle dans le chef de l’employée, mais que ceci ne signifie pas qu’il avait une connaissance certaine et suffisante de faits justifiant le motif grave de licenciement, à savoir l’exercice effectif d’une activité professionnelle concurrente, et ce pendant l’exécution du contrat de travail.
En l’espèce, l’audition qui a été organisée pouvait être considérée par l’employeur comme nécessaire aux fins d’avoir les explications et précisions requises.
Pour ce qui est du motif grave lui-même, le tribunal reprend le mécanisme de l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978, soulignant que le fait qui peut justifier le licenciement sans préavis ni indemnité est le fait accompagné de toutes les circonstances qui sont de nature à lui conférer le caractère d’un motif grave. Quant à la gravité de la faute, elle fait l’objet d’une appréciation souveraine du tribunal, qui examine également dans le cadre de celle-ci l’incidence qu’elle a sur la possibilité de poursuivre la relation professionnelle. Reprenant un arrêt récent de la Cour de cassation (Cass., 6 juin 2016, n° S.15.0067.F), le tribunal souligne que le juge ne peut méconnaître la notion légale de motif grave mais peut avoir égard à tous éléments de nature à fonder son appréciation, à la condition de ne pas modifier les critères que la loi donne de cette notion.
En ce qui concerne l’exercice d’une activité concurrente, il est renvoyé au Décret d’Allarde, qui a posé le principe de la liberté du commerce et de l’industrie. En application de celle-ci, un travailleur est libre d’exercer une deuxième activité professionnelle ou non, comme salarié ou indépendant. Il est cependant tenu aux exigences de l’article 17 de la loi du 3 juillet 1978 et ne peut poser des actes de concurrence durant l’existence du contrat de travail.
S’il est admis que les préparatifs d’une nouvelle activité concurrente ne relèvent pas de l’exercice effectif de celle-ci et qu’ils ne sont dès lors pas illicites, même s’ils sont accomplis avant la fin du contrat de travail (sauf manœuvres déloyales, agissements contraires aux intérêts de l’employeur, etc.), il en va différemment de l’exercice effectif d’une activité concurrente durant le contrat de travail, sans l’autorisation de l’employeur et à l’insu de ce dernier. C’est un motif grave, quel que soit le régime de cet exercice (indépendant ou salarié), sans que l’employeur ne doive démontrer l’existence d’un dommage. La concurrence a en effet un caractère déloyal, puisqu’elle entre nécessairement en conflit avec les intérêts de l’employeur. Le tribunal renvoie également à la jurisprudence qui a admis la chose, même si l’activité est exercée pendant une période de suspension du contrat (vacances annuelles ou crédit-temps, par exemple).
En l’occurrence, reprenant longuement les éléments de fait, le tribunal conclut d’abord à la similitude des activités, à tout le moins d’une partie de celles-ci, ainsi qu’à la similitude des fonctions. Les éléments du dossier permettent également d’établir de manière évidente que la demanderesse propose dans cet autre cadre professionnel des solutions de formation en créativité, qu’elle met en place et anime celles-ci, de telle manière qu’il y a activité concurrente et parallèle, qui est potentiellement préjudiciable aux intérêts de l’employeur.
Il y a une phase de concrétisation active et véritable de la nouvelle activité et non plus une phase de préparation de celle-ci. Dans la mesure où l’exercice effectif de cette activité est établi, il n’est pas nécessaire de rechercher s’il y a eu des manœuvres déloyales, non plus que de savoir si la clause contractuelle d’exclusivité a ou non été violée, ces questions ne présentant d’intérêt que si seule la préparation de l’employée à une activité concurrente avait été retenue ou si l’activité exercée n’était pas concurrente.
Le motif grave est dès lors admis par le tribunal, qui déboute l’intéressée.
Intérêt de la décision
Ce jugement du Tribunal du travail du Hainaut reprend la distinction à faire entre la préparation à l’exercice d’une activité éventuellement concurrente après la fin des relations de travail et l’exercice effectif de cette activité pendant l’exécution du contrat lui-même. Si le travailleur est libre d’exercer une deuxième activité professionnelle comme salarié ou comme indépendant, il ne peut cependant nuire aux intérêts de son employeur pendant l’existence du contrat de travail. L’article 17 de la loi du 3 juillet 1978 interdit en effet de poser des actes de concurrence.
Les actes préparatoires sont cependant autorisés, sauf s’ils devaient s’accompagner de démarches contraires aux intérêts de l’employeur ou de manœuvres déloyales, ou encore d’agissements qui constitueraient en réalité un commencement effectif de cette activité concurrente.
L’on notera que le tribunal a relevé que, même si l’employeur avait eu connaissance d’un projet d’activité dans le chef de l’employée, ceci ne signifie pas qu’il avait accepté ou même toléré que celle-ci exerce effectivement cette activité (partiellement) concurrente à la sienne en cours de contrat. Cette concurrence – même faite en-dehors des heures de travail – est déloyale et ruine la confiance qui doit nécessairement présider aux relations de travail.