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Licenciement : droit à une indemnité de protection liée au dépôt d’une plainte pour harcèlement et à des dommages et intérêts

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 25 avril 2018, R.G. 2015/AB/598

Mis en ligne le mardi 11 décembre 2018


Cour du travail de Bruxelles, 25 avril 2018, R.G. 2015/AB/598

Terra Laboris

Par arrêt du 25 avril 2018, la Cour du travail de Bruxelles examine les demandes formées par un employé suite à son licenciement, admettant le cumul de l’indemnité de protection suite au dépôt d’une plainte pour harcèlement et de dommages et intérêts eu égard au caractère manifestement déraisonnable du licenciement.

Les faits

Un délégué médical en butte avec son employeur (non-respect du code de conduite, régression du capital garanti dans le cadre de l’assurance de groupe, etc.) dépose plainte pour harcèlement moral en décembre 2010. Il est licencié près d’un mois plus tard moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis.

Une procédure est introduite en paiement d’un complément, d’autres sommes dues à la rupture (primes, jours fériés, etc.), ainsi que d’une indemnité vu le dépôt de la plainte en harcèlement moral et des dommages et intérêts.

Le jugement du Tribunal du travail de Bruxelles a partiellement fait droit à sa demande, allouant notamment l’indemnité due vu la protection contre le licenciement liée à la plainte. Il a également alloué 25.000 euros de licenciement abusif.

L’intéressé interjette appel sur les autres chefs de demande.

La société, pour sa part, demande à la cour de débouter le travailleur de l’ensemble des chefs de demande qu’il a introduits.

La décision de la cour

La cour admet que la rémunération de référence servant de base au calcul de l’indemnité compensatoire de préavis doit être majorée. Il s’agit plus particulièrement de la prise en compte d’options sur actions. La cour du travail renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 4 février 2002 (Cass., 4 février 2002, n° S.00.0022.N), selon lequel l’obtention même de l’option sur les actions ne constitue qu’une chance de gain pour le travailleur, laquelle doit être considérée comme un avantage acquis en vertu du contrat de travail. Toutefois, le gain éventuel réalisé par celui-ci lorsqu’il lève l’option et qu’il procède ultérieurement à la revente des parts résulte exclusivement des fluctuations du cours des actions et de sa qualité d’actionnaire et non du travail effectué en exécution du contrat de travail. Il ne s’agit pas d’un avantage acquis en vertu du contrat.

L’avantage rémunératoire est celui qui correspond à l’octroi d’une chance de gain et non à l’octroi du gain lui-même lorsqu’il est perçu. Pour ce qui est de l’évaluation, la chance de gain peut être estimée ex aequo et bono, selon le forfait fiscal. C’est celui-ci qui est admis.

Pour ce qui est de l’indemnité de protection, la cour rejette les arguments de l’employeur quant aux griefs faits au travailleur, qui avait à plusieurs reprises marqué son désaccord sur un plan d’action interne et à qui la société reprochait d’avoir eu un comportement « dérangeant » à diverses reprises. La société faisant état de l’ancienneté de ce comportement, la cour estime que l’on ne peut raisonnablement soutenir que le licenciement intervenant précisément après le dépôt de la plainte soit sans rapport avec celui-ci, alors que le comportement invoqué aurait perduré pendant de nombreuses années. La cour confirme le droit de l’intéressé à l’indemnité de protection.

Pour ce qui est du licenciement abusif, qui porte sur le motif du licenciement, dans la mesure où la société invoque l’attitude et le comportement du délégué ainsi que son intention claire de ne pas donner suite au plan d’action imposé en interne, la cour aborde ici une question plus délicate, étant qu’en réalité, le délégué avait dénoncé des pratiques qu’il considérait illégales, impliquant notamment de très fortes ristournes sur des médicaments, et ce dans le cadre d’une politique commerciale qu’il avait dénoncée, étant apparemment contraire à l’article 10 de la loi du 25 mars 1964 sur les médicaments.

La cour retient ce caractère illégal et rappelle que, s’il appartient au travailleur d’apporter la preuve du caractère abusif du licenciement, dès lors toutefois qu’il ressort d’une série d’éléments résultant notamment de pièces produites et qui ne sont pas valablement contredites par la société que le caractère illégal de la pratique commerciale dénoncée apparaît établi, la charge de la preuve contraire incombe de toute évidence à celle-ci. Cette preuve n’est pas rapportée en l’espèce. La cour admet dès lors le bien-fondé de ce chef de demande. Se pose cependant la question de l’indemnisation, l’intéressé demandant un dédommagement de 100.000 euros à cet égard et le tribunal lui en ayant octroyé 25.000.

La cour rappelle qu’il s’agit ici d’apprécier un préjudice distinct de celui couvert par l’indemnité compensatoire de préavis. Quant à la possibilité de cumul de ces dommages et intérêts avec l’indemnité de protection, rien n’y fait obstacle, puisque ces deux indemnités ont une cause et un objet différents.

Sur l’évaluation, la cour admet – sans davantage donner de précisions – le montant alloué par le tribunal du travail, montant que le Ministère public avait admis comme raisonnable dans son avis.

La cour rejette, ensuite, en quelques attendus, une demande de l’intéressé (par ailleurs introduite pour la première fois en degré d’appel) relative à sa réintégration dans l’entreprise. Elle rappelle que, à supposer ce chef de demande recevable, en tout état de cause, la réintégration ne constitue pas un mode de réparation légal. Elle ordonne, cependant, la réouverture des débats, le délégué ayant également fait valoir un autre chef de demande pour perte d’une chance de conserver son emploi, et ce à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où il ne serait pas fait droit à sa demande de réintégration. Le préjudice estimé est ici de près de 730.000 euros.

Outre que se pose également ici une question de recevabilité, la cour aborde déjà le premier examen du fond, étant qu’elle demande à l’appelant de préciser sa position, non par le renvoi – peu explicite semble-t-il – à des décisions de jurisprudence, mais par une motivation propre aux éléments spécifiques de la cause. La cour précise que la partie qui entend voir appliquer à sa situation une décision rendue dans une autre cause – celle-ci fût-elle similaire – doit justifier sa position par une motivation propre et non se limiter à citer des décisions jurisprudentielles.

En outre, la cour demande à être éclairée sur l’évaluation faite par le délégué, qui estime qu’existaient seulement 20% de probabilité théorique pour un travailleur de la société d’être licencié avant l’âge légal de la retraite. Elle précise que l’examen de la perte de chance dont celui-ci sollicite l’indemnisation – à supposer qu’elle puisse être prise en considération – implique que la perte de chance soit réelle et non théorique. La réouverture des débats sur ces questions s’impose dès lors, la cour considérant qu’elles ne sont pas en état d’être jugées.

Intérêt de la décision

Cet arrêt donne un bon rappel de la question des options sur actions, dans le cadre du calcul d’une indemnité compensatoire de préavis.

Si, ensuite, les développements faits quant à l’indemnité de protection sont assez classiques – la cour se livrant à un examen approfondi des motifs invoqués ainsi que des éléments produits à l’appui du licenciement – pour conclure à la confirmation du jugement, le raisonnement de la cour quant au licenciement abusif mérite d’être souligné.

Dès lors qu’est admis dans le chef du travailleur qu’il a prouvé le caractère illégal de pratiques commerciales dans le chef de son employeur, elle rappelle que, sur le plan de la charge de la preuve, celui-ci doit apporter la preuve contraire. A défaut, l’abus peut être constaté. La cour renvoie encore à l’arrêt de la Cour de cassation du 12 décembre 2005 (Cass., 12 décembre 2005, n° S.05.0035.F), soulignant que le fait d’invoquer comme motif de licenciement fût-ce un seul motif ne correspondant pas à la réalité, comme par exemple le refus d’appliquer le plan d’action (motif non justifié et contraire à la réalité) laisse apparaître que la société a exercé son droit de licencier de manière qui dépasse manifestement les limites de l’exercice normal que ferait de ce droit un employeur prudent et diligent. Il y a détournement du droit de licencier de sa finalité économique et sociale.


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