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Non-paiement des cotisations de sécurité sociale dans les délais : conditions d’application de l’article 55 de l’arrêté royal du 28 novembre 1969

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 23 mai 2018, R.G. 2017/AB/218

Mis en ligne le vendredi 29 mars 2019


Cour du travail de Bruxelles, 23 mai 2018, R.G. 2017/AB/218

Terra Laboris

Par arrêt du 23 mai 2018, la Cour du travail de Bruxelles rappelle la définition de la force majeure et examine également la question de la motivation des décisions de l’O.N.S.S. L’article 55, § 1er, 2e alinéa, de l’arrêté royal du 28 novembre 1969 autorise en effet l’O.N.S.S. à renoncer au paiement des sanctions civiles en cas de dépassement de délai dans le paiement des cotisations de sécurité sociale (ou des paiements professionnels) en cas de force majeure.

Les faits

Une société de nettoyage occupant de nombreux travailleurs prestant sur des chantiers sis sur l’ensemble du territoire national connaît des difficultés financières entre les années 2012 et 2014. Elle ne paie dès lors pas régulièrement ses cotisations de sécurité sociale et négocie divers plans d’apurement. Vu les retards, des majorations et intérêts ont été imposés par l’Office. En 2015, la société a introduit une demande en vue d’en obtenir l’exonération totale ou partielle. Elle expose dans sa demande des difficultés particulières (difficultés économiques majeures totalement imprévisibles et élisives de toute faute dans son chef). Les majorations s’élèvent, selon la société, à près de 915.000 euros et les intérêts à plus de 265.000 euros.

Dans l’examen de la demande, le Comité de gestion de l’O.N.S.S. estime que les motifs invoqués sont purement économiques et qu’il ne s’agit pas d’une force majeure. Celle-ci suppose en effet la survenance d’un événement totalement étranger à la personne du débiteur et indépendant de sa volonté, événement raisonnablement imprévisible et humainement insurmontable, le plaçant dans l’impossibilité absolue d’exécuter son obligation dans les délais. Il ne peut y avoir de force majeure s’il y a faute dans le chef du débiteur, et ce y compris dans les événements qui ont précédé, préparé ou accompagné la cause étrangère. Il est également fait référence à des demandes introduites par le passé. Le Comité conclut dès lors que la société ne peut bénéficier de l’article 55, § 5, de l’arrêté royal du 28 novembre 1969. La demande d’exonération d’intérêts est également rejetée en totalité, au motif qu’en accédant à ce type de demande, l’on encouragerait le non-paiement des cotisations de sécurité sociale. Il s’agit dès lors, pour le Comité, de retenir des motifs économiques et non une force majeure.

Un recours est introduit devant le tribunal du travail, en ce qui concerne les intérêts de retard. La société demande au tribunal de dire pour droit que la totalité de ceux-ci doivent faire l’objet d’une exonération. Elle est déboutée de sa demande et interjette appel.

L’objet de l’appel

A titre principal, la société demande l’exonération totale des intérêts de retard et, à titre subsidiaire, une exonération partielle.

L’O.N.S.S. sollicite la confirmation du jugement.

La décision de la cour

La cour reprend le cadre réglementaire, étant les dispositions spécifiques de l’arrêté royal du 28 novembre 1969 et suivants (54, 54bis et 55).

Ces dispositions sont relatives aux sanctions en cas de non-paiement des cotisations de sécurité sociale dans les délais. Il y a une majoration de 10% du montant dû ainsi qu’un intérêt de retard de 7% par an, ceci étant appliqué à partir de l’expiration des délais de paiement, et ce jusqu’au jour de celui-ci. Existe également, comme le relève la cour, une indemnité forfaitaire en cas de non-paiement des provisions mensuelles.

Les conditions dans lesquelles l’O.N.S.S. peut renoncer aux majorations et aux intérêts de retard sont longuement exposées à l’article 55. Il est admis qu’il peut y avoir renonciation au paiement de ces sanctions si est établie l’impossibilité (par l’employeur ou le curateur) de remplir ces obligations dans les délais fixés en raison d’un cas de force majeure. En outre, en cas de circonstances exceptionnelles, justificatives du défaut de paiement dans les délais, le montant des majorations des cotisations et/ou de l’indemnité forfaitaire peut être réduit au maximum de 50%. Il en va de même des intérêts de retard avec un maximum de 25%. Ceci suppose cependant le paiement préalable de toutes les cotisations échues.

Certains cas prévoient la majoration de cette réduction (limitée ci-dessus à 50% pour les cotisations et/ou l’indemnité forfaitaire et à 25% pour les intérêts de retard) dans certains cas. Ils seront alors portés respectivement à 100% et 50%.

Il s’agit, essentiellement, des sociétés ayant une créance certaine et exigible à l’égard de l’Etat, de pouvoirs publics ou d’organismes publics (définis par référence à la loi du 16 mars 1954) ou lorsque, statuant à l’unanimité, le Comité de gestion admet l’existence de raisons impérieuses d’équité ou d’intérêt économique national ou régional. Ce deuxième cas est présenté comme étant exceptionnel (existe une autre hypothèse de réduction – visée à l’article 55, § 1er, § 3/1 – non rencontrée en l’espèce).

Dans son contrôle, la juridiction du travail ne peut se substituer à l’administration. Sur les décisions de l’O.N.S.S., elle dispose en effet d’un contrôle de légalité. La cour renvoie ici à la doctrine de H. MORMONT (H. MORMONT, « Le contrôle judiciaire des décisions de l’ONSS en matière de renonciation aux sanctions civiles », La sécurité sociale des travailleurs salariés. Assujettissement, cotisations, sanctions, Larcier, 2010, p. 477). La cour renvoie également à la jurisprudence de la Cour de cassation, dans deux arrêts (Cass., 30 mai 2011, n° C.10.0625.F et C.10.0169.N), et, par analogie, à un arrêt plus récent (Cass., 8 mars 2013, n° C.12.0408.N).

Fait partie de ce contrôle de légalité la vérification du respect de l’obligation de motivation et la cour reprend à cet égard les conditions de l’existence de celle-ci, au sens de la loi du 29 juillet 1991.

En l’espèce, renvoyant aux éléments visés dans l’acte lui-même, la cour constate que la force majeure est rappelée mais que le Comité se borne à faire état de « motifs purement économiques ». L’on ne peut comprendre en quoi de tels motifs ne pourraient être constitutifs de force majeure. Il y a dès lors non-respect de l’obligation de motivation en ce qu’elle suppose normalement l’articulation du droit et du fait, permettant ainsi de savoir pourquoi la décision a été prise dans les circonstances déterminées. Pour la cour, il y a également manquement à l’exigence de minutie et le rejet de la demande formée à titre subsidiaire de renonciation partielle n’est pas motivé. La cour fait dès lors (partiellement) droit à l’appel. Elle admet l’exonération des intérêts de retard pour la période de 2012 à 2015, estimant que, si elle faisait davantage, il s’agirait d’un pouvoir de substitution.

Intérêt de la décision

Dans ce bref arrêt, la Cour du travail de Bruxelles reprend les hypothèses dans lesquelles il peut être totalement ou partiellement renoncé aux majorations et aux intérêts de retard en cas de non-respect des délais de paiement de cotisations (ainsi que des provisions).

La notion de force majeure reprise à l’article 55, § 1er, est la notion civiliste, dont le Comité rappelle la définition. Celle-ci est reprise par la cour dans l’arrêt.

L’arrêt porte essentiellement sur le contrôle de la régularité de la décision prise, en ce qu’elle n’est pas suffisamment motivée. Le simple renvoi à des « motifs économiques » ne permet pas l’articulation nécessaire, comme le rappelle la cour, entre les éléments de droit et la situation de fait, qui permettrait de comprendre pourquoi la décision a été prise dans les circonstances de l’espèce.

La cour admet, en conséquence de ce défaut de motivation, que les intérêts de retard pour la période écoulée entre le dépassement du délai réglementaire pour le paiement des cotisations et l’introduction de la procédure ne sont pas dus.


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