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C.C.T. n° 109 : obligation pour le travailleur de demander les motifs du licenciement par voie recommandée ?

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Dinant), 9 novembre 2018, R.G. 17/469/A

Mis en ligne le mardi 28 mai 2019


Tribunal du travail de Liège (division Dinant), 9 novembre 2018, R.G. 17/469/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 9 novembre 2018, le Tribunal du travail de Liège (division Dinant) rappelle la discussion sur les effets d’une demande de communication de motifs concrets adressée par voie ordinaire et non recommandée. Le tribunal considère que cette formalité intervient sur le plan probatoire et ne peut être considérée comme susceptible d’entraîner la nullité de la demande en cas de non-respect.

Les faits

Un ouvrier engagé par une A.S.B.L. depuis 2011 est licencié en 2016 moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis, le document C4 faisant état de propos racistes adressés aux demandeurs d’asile dont l’A.S.B.L. se charge, de propos dénigrants vis-à-vis du personnel et d’avances faites aux résidentes.

L’intéressé ayant demandé à connaître les motifs concrets de son licenciement, l’employeur apporte la réponse requise, reprenant de nombreux faits liés à son attitude et ayant notamment donné lieu à un avertissement. Le conseil du travailleur demande la preuve des faits invoqués et l’employeur refuse, signalant qu’il les communiquera dans le cadre de la procédure judiciaire si les motifs sont contestés.

La procédure est introduite devant le tribunal du travail et, dans le cadre de celle-ci, est soulevée la question de la motivation du licenciement eu égard à la convention collective n° 109. L’intéressé demande également au tribunal de retenir le caractère manifestement déraisonnable du licenciement et réclame, en outre, des dommages et intérêts pour abus de droit.

La décision du tribunal

Le tribunal règle en premier lieu la question de la motivation du licenciement, rappelant la genèse de la convention collective n° 109 et, particulièrement, la procédure reprise aux articles 4 à 6. La lettre recommandée de l’employeur en réponse à la demande de communication des motifs doit contenir les éléments permettant au travailleur de connaître ceux-ci et le texte vise les « motifs concrets qui ont conduit à son licenciement ». Le tribunal rappelle encore qu’en cas de motivation spontanée, il est dérogé à cette obligation de réponse.

Cette lettre recommandée est un document juridiquement distinct du formulaire C4, s’agissant de deux obligations distinctes découlant de deux législations différentes. La logique veut cependant qu’elles se confirment sur le fond. Cette communication est soumise à des formes et à des délais.

La forme est la lettre recommandée. En l’occurrence, le travailleur n’a pas, dans sa demande, respecté cette formalité et le tribunal se pose la question de savoir s’il s’agit d’un élément probatoire ou d’une formalité prescrite à peine de nullité. Il retient les divergences en doctrine, certains considérant qu’il n’y a pas de nullité mais une formalité imposée à des fins probatoires (S. GILSON et F. LAMBINET, « Et la motivation du licenciement fut ! », B.S.J., 2014, p. 7) et d’autres considérant qu’il s’agit d’une procédure écrite formelle (M. VERWILGHEN et N. VAN KERREBROECK, Harmonisation des statuts ouvriers employés. Etat des lieux après la Loi sur le Statut Unique, Bruxelles, Larcier, 2014, p. 206). La motivation spontanée ne fait, quant à elle, l’objet d’aucune exigence sur le plan de la forme. Le tribunal rappelle encore que, une fois l’obligation de communication respectée, l’employeur n’est pas tenu de répondre à une demande d’explication complémentaire.

Face à cette divergence d’opinions doctrinale (dont le tribunal rappelle qu’elle est confirmée dans la jurisprudence), il opte pour le caractère probatoire, dès lors que la convention collective a pour objet de permettre au travailleur de connaître les motifs concrets de son licenciement. Il renvoie au rapport préalable à la C.C.T., qui a souligné que les partenaires sociaux ont considéré que, lorsqu’une décision de licencier est prise, elle doit être bien expliquée et que l’approche humaine d’un licenciement dans un contexte de respect mutuel fait partie d’une bonne politique des ressources humaines. Il en découle que le travailleur licencié a le droit de connaître les motifs concrets qui ont conduit à son licenciement.

Le tribunal considère en conséquence que, chaque partie ayant reçu les courriers/courriels de l’autre, le texte a été respecté, même si aucune des deux n’a recouru à la formalité du recommandé.

Le tribunal fait ensuite une longue analyse de la C.C.T. elle-même, analyse mise en perspective avec les dispositions de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (article 30) et de la Charte sociale révisée (article 24) ainsi qu’avec le principe du standstill contenu à l’article 23 de la Constitution (qu’il considère enfreint par le texte de l’article 8 de la C.C.T. n° 109, qui a introduit la conjonction de coordination « et » et non « ou »). Pour le tribunal, ce texte vide de sa substance la protection reconnue par l’ancien article 63 de la loi du 3 juillet 1978, qui exigeait que le motif légitime soit examiné à la lumière de trois critères légaux uniquement. Le tribunal estime qu’il y a dès lors lieu de lire le texte positivement, aux fins de rejoindre la disposition légale dont il est le prolongement. Il faut donc vérifier la légalité du motif, sa réalité et le lien de causalité requis entre celui-ci et le licenciement, le motif devant être légitime, valable, raisonnable.

En l’espèce, rappelant encore les règles en matière de charge de la preuve (l’employeur devant apporter la preuve des faits et l’intéressé devant établir que le licenciement est manifestement déraisonnable par rapport à ceux-ci), le tribunal considère les motifs établis. Il s’agit de propos manifestement racistes et dénigrants à l’égard de résidents et de collègues, qui ne peuvent être justifiés par la référence à des « plaisanteries ».

Enfin, sur l’absence d’audition – pour laquelle l’intéressé demandait des dommages et intérêts –, le tribunal rappelle que celle-ci n’est pas prévue par les textes mais peut découler du principe d’exécution de bonne foi des contrats. En l’occurrence, le licenciement était inéluctable, vu les faits constatés par l’employeur. Il n’y a pas de préjudice découlant de l’absence d’audition et ce chef de demande est également rejeté.

Intérêt de la décision

Ce jugement du Tribunal du travail de Liège rappelle à juste titre le débat en doctrine et en jurisprudence quant aux effets de l’absence d’envoi recommandé sur la question. Il n’est pas rare de constater que l’employeur se retranche derrière l’absence d’envoi recommandé pour considérer qu’il n’est (ou n’était) pas tenu de donner les motifs concrets du licenciement. La question des effets juridiques de l’absence d’envoi recommandé n’est pas tranchée par le texte. Dans son jugement, le Tribunal du travail de Liège renvoie, cependant, à l’objectif poursuivi par la C.C.T. n° 109, qui est de permettre au travailleur de connaître les motifs pour lesquels il a perdu son emploi et de décider en pleine connaissance de cause s’il doit introduire une procédure judiciaire en contestation.

L’exigence de l’envoi recommandé à peine de nullité nous paraît être un formalisme outrancier, eu égard au mécanisme de la convention collective. Dès lors qu’il est établi que le travailleur a fait sa demande – ce qui, dans le cas d’espèce, n’était pas contesté –, il doit, à notre estime, être considéré qu’il a satisfait à son obligation (si par ailleurs le délai est lui-même respecté). Tout autre serait la situation où l’employeur contesterait avoir reçu cette demande. C’est précisément ici qu’intervient l’importance du recommandé, puisqu’il importe au travailleur d’apporter la preuve de la demande introduite. La formalité nous semble dès lors – comme le tribunal l’a considéré – avoir des effets uniquement sur le plan de la charge de la preuve.


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