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Accident du travail et restitution de l’indu d’indemnités journalières suite à une erreur dans le calcul de la rémunération de base

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Verviers), 14 mars 2019, R.G. 17/234/A

Mis en ligne le vendredi 7 février 2020


Tribunal du travail de Liège (division Verviers), 14 mars 2019, R.G. 17/234/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 14 mars 2019, le Tribunal du travail de Liège (division Verviers) reprend, à propos d’un indu payé au titre d’indemnités journalières dans le cadre de l’incapacité temporaire consécutive à un accident du travail, les conditions d’application de l’article 17 de la Charte de l’assuré social, aux fins de déterminer quand prend effet une décision de révision moins favorable à l’assuré social, au sens de cette disposition.

Les faits

Un travailleur, victime d’un accident du travail survenu le 11 juin 2013, a été indemnisé dans le cadre de l’incapacité temporaire totale.

Le montant de la rémunération mensuelle figurant dans la déclaration d’accident (rubrique 58) reprenant le total des rémunérations et avantages assujettis, hors heures supplémentaires, pécule de vacances complémentaire et prime de fin d’année est de 4.597,08 euros et la prime de fin d’année est reprise pour le même montant (avec une légère différence dans la décimale).

Après que les paiements sont intervenus, l’assureur constate que le salaire de base applicable à l’incapacité temporaire est inférieur à celui qui a été retenu. Il est, selon lui, de 33.948,91 euros.

Le remboursement de l’indu est dès lors demandé et le travailleur sollicite des termes et délais.

Après cet échange, l’organisation syndicale intervient, contestant la décision de récupération.

L’assureur introduit, quelques mois plus tard, une demande en justice. Il s’agit d’un remboursement de l’ordre de 8.000 euros.

La position des parties

La position de l’assureur-loi demandeur

L’assureur renvoie à l’article 17, alinéa 2, de la Charte de l’assuré social.

D’une part, il expose avoir fait application d’une circulaire ministérielle (n° 246) et d’autre part considère que, si erreur il y a, celle-ci ne lui est pas imputable, s’agissant d’une erreur de l’employeur. Dès lors, la nouvelle décision doit produire ses effets à la date initiale et non au premier jour du mois qui suit sa notification.

L’assureur considère encore qu’il ne pouvait se rendre compte de l’erreur de l’employeur et que, par ailleurs, le travailleur savait ou devait savoir qu’il n’avait pas droit à ce montant, vu son importance, dès lors qu’il connaissait – lui – le montant de sa rémunération.

La position de défenderesse

La partie défenderesse invoque également l’article 17.

Pour ce qui est de l’application de la circulaire, elle rappelle qu’il s’agit d’une norme de rang inférieur à loi et qu’elle ne peut dès lors en restreindre la portée. Le responsable de l’erreur est l’assureur-loi, peu importe que cette erreur résulte d’une information erronée communiquée par l’employeur. Il appartenait à celui-ci de vérifier les paramètres du calcul de la rémunération de base. Elle plaide encore l’ignorance dans laquelle elle était de l’importance anormale des montants qui lui étaient payés, cette situation ayant par ailleurs perduré pendant deux ans.

La décision du tribunal

Le tribunal rappelle les dispositions de la Charte invoquées par les parties, étant ses articles 2, 8°, 13, 14, 15 et 17, ainsi que les articles 1235, alinéa 1er, ainsi 1376 et 1377 du Code civil, concernant la récupération de l’indu, et l’article 63 de la loi du 10 avril 1971 relatif à la prescription.

Pour ce qui est de la portée de l’article 17, le tribunal renvoie à la doctrine de P. PALSTERMAN (P. PALSTERMAN, « L’application de la Charte de l’assuré social dans le secteur des accidents du travail », Bull. Ass., 2002, p. 107-108), rappelant le renvoi fait dans cet article 17 à la condition spécifique que l’erreur doit être due à l’institution de sécurité sociale et que la protection (absence de rétroactivité) ne peut pas être invoquée si l’assuré social « savait ou devait savoir », au sens de l’arrêté royal du 31 mai 1933, qu’il n’a pas ou plus droit à l’intégralité d’une prestation. P. PALSTERMAN souligne que cet arrêté royal s’applique à toutes les formes de subvention qui sont – au moins partiellement – à charge de l’Etat. Il impose de faire la déclaration des sommes perçues indûment lorsque le caractère indu ne pouvait être ignoré. Sont visés les indus « de mauvaise foi ». Renvoyant à la complexité de la législation de sécurité sociale, il admet qu’un assuré social peut ne pas se rendre compte de ce qu’une partie des allocations qu’il perçoit ne lui est pas due. Il est alors « logique », selon cet auteur, que la révision ne se fasse pas avec effet rétroactif. Certaines erreurs peuvent cependant ne pas être repérées par une personne normalement diligente et de bonne foi et il est alors normal que l’erreur puisse être réparée.

Il renvoie, pour la matière des allocations familiales pour enfants handicapés, à un arrêt de la Cour de cassation du 26 mai 2003 (Cass., 26 mai 2003, n° S.01.0108.F), qui a rejeté le principe du respect dû aux anticipations légitimes d’autre, comme motif de non-restitution.

En l’espèce, le tribunal constate que quatre questions se posent essentiellement, étant de savoir (i) s’il y a eu une première décision entachée d’une erreur juridique ou matérielle, (ii) si l’assureur a pris une nouvelle décision, (iii) si l’erreur est due à l’assureur et (iv), en cas de réponse affirmative à cette dernière question, si l’employé savait ou devait savoir qu’il n’avait pas droit aux prestations dont il a bénéficié.

Aucune décision n’a été notifiée à l’intéressé, qui serait à la base de l’erreur constatée. Cependant, renvoyant à la jurisprudence de la Cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 5 juillet 2017, R.G. 2016/AM/47), il précise qu’il est admis en jurisprudence qu’une décision soit implicite. Dès lors, effectuer un paiement, même à la suite d’une erreur de calcul, constitue une telle décision. Les paiements qui ont été faits impliquent qu’une décision implicite ait préalablement été adoptée, et ce via les programmes informatiques de l’assureur. Une décision motivée en interne a ainsi été prise et le tribunal répond affirmativement à la première question.

Pour ce qui est de la décision de révision, il admet également qu’elle a été prise, puisqu’elle contient nécessairement deux parties, la première constatant que les indemnités ont été payées à un taux erroné et la deuxième invitant au remboursement de l’indu. En sa première partie, la décision de récupération est dès lors bien une décision de révision, le tribunal renvoyant ici à la doctrine de H. FUNCK (H. FUNCK, « Un fait constitue-t-il une décision ? », C.D.S., 2016, p. 235).

Le tribunal va cependant conclure que l’erreur n’est pas le fait de l’assureur, qui s’est basé sur les données transmises par l’employeur dans une déclaration faite. L’incapacité temporaire totale va impliquer un calcul de l’indemnité journalière sur la base du salaire de l’année précédant l’accident. Or, ce salaire n’est pas connu immédiatement et un calcul est fait provisoirement sur la base des informations contenues dans la déclaration d’accident. Un recalcul est dès lors opéré sur la base des montants fournis par l’employeur et la rectification éventuelle s’opère. En l’occurrence, c’est lors de la consolidation que l’erreur a été constatée.

La demande de l’assureur est dès lors fondée.

Le tribunal fait doit, enfin, à une demande de termes et délais.

Pour ce qui est des dépens, et particulièrement l’indemnité de procédure, il rappelle l’article 68 de la loi sur les accidents du travail, étant qu’ils sont à charge de l’assureur, sauf si la demande est téméraire et vexatoire.

La demande de compensation judiciaire qui a été formée entre l’indemnité de procédure et l’indu est cependant rejetée.

Intérêt de la décision

L’affaire tranchée par le Tribunal du travail de Liège (division Verviers) pose la question de l’application de l’article 17 de la Charte de l’assuré social en cas de « trop-payé » par l’entreprise d’assurances dans le cadre des prestations d’incapacité temporaire.

Le tribunal a renvoyé, pour ce qui est de la première décision visée à l’article 17 de la Charte (étant celle qui devrait contenir une erreur matérielle ou de droit) à un arrêt de la Cour du travail de Mons du 5 juillet 2017, qui a admis qu’une décision peut être implicite, procédant nécessairement de décisions internes, de calculs ou recalculs, etc.

La décision implicite qui aboutit à un paiement est une décision au sens de la Charte.

Pour ce qui est de la rémunération de base relative à l’incapacité de travail temporaire qui n’excède pas trente jours, rappelons que, pour les accidents survenus à partir du 1er juillet 2005, elle est le résultat de la rémunération journalière moyenne multiplié par le nombre de jours sous déduction du congé légal (le simple pécule étant supprimé). La même loi-programme du 11 juillet 2005 (qui a ainsi modifié les règles à partir du 1er juillet 2005) a également supprimé le pécule de vacances légal pour l’incapacité temporaire supérieure à trente jours. En cas de fin de contrat d’employé, le pécule de vacances est cependant considéré comme rémunération pour le calcul des indemnités dues pour l’incapacité temporaire à partir de cette date de fin (voir article 35 de la loi du 10 avril 1971).


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