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Tardiveté d’une déclaration d’accident du travail suite à un choc psychologique

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 22 octobre 2019, R.G. 2018/AN/118

Mis en ligne le vendredi 29 mai 2020


Cour du travail de Liège (division Namur), 22 octobre 2019, R.G. 2018/AN/118

Terra Laboris

Par arrêt du 22 octobre 2019, la Cour du travail de Liège (division Namur) rappelle que la déclaration d’accident du travail faite par la victime n’est pas soumise à un délai particulier et qu’une déclaration « tardive » doit être admise dès lors qu’il est constaté que celle-ci ne remet pas en cause la réalité du fait invoqué non plus que son caractère soudain ou qu’il soit susceptible d’avoir engendré la lésion.

Les faits

Une commissaire de police est convoquée aux fins de s’expliquer sur la teneur de courriels échangés avec un collègue. Il s’agit d’échanges privés abordant également des questions de service. Une note a été préparée par sa hiérarchie, contenant des reproches graves eu égard aux aspects professionnels des échanges (avoir porté atteinte à la dignité de l’emploi de policier, ne pas avoir eu un comportement adéquat et conforme à celui attendu d’un chef de service et avoir manqué de collégialité). La note conclut qu’il y a perte de confiance et que la charge de chef de section lui est retirée. Une information à l’autorité disciplinaire est annoncée en cas de persistance des manquements.

Un entretien d’évaluation a lieu quelques jours plus tard et celle-ci est extrêmement positive, étant vantés à la fois sa loyauté et l’excellent niveau de ses prestations.

Parallèlement, l’intéressée répond à la note de fonctionnement, contestant les griefs.

Après une absence pour congé, elle tombe en incapacité de travail et ne reprendra ses fonctions que huit mois plus tard. Les certificats remis font état de burnout, de harcèlement professionnel et autres diagnostics voisins.

Quatre mois et demi après la reprise du travail, elle remplit une déclaration d’accident du travail. Elle vise au titre d’accident la convocation, intervenue quatorze mois plus tôt, pour l’entretien au cours duquel la note de fonctionnement lui a été signifiée et ses fonctions retirées. Elle explique que, vu le choc psychologique, elle est tombée en dépression et n’a pas pu prendre les décisions utiles en temps opportun – d’où la rentrée tardive de la déclaration d’accident.

L’Etat belge refuse de reconnaître l’accident du travail, essentiellement au motif de l’absence de preuve d’un événement soudain.

La commissaire reprendra ultérieurement le travail à temps plein.

La position des parties devant la cour

L’appelante, qui a été déboutée de sa demande par un jugement du Tribunal du travail de Liège (division Namur) du 6 février 2018, expose sa version des faits lors de cette journée. Elle précise s’être ensuite vue affecter à la gestion des archives, qu’elle considère comme une mesure harcelante et humiliante. En outre, aucune suite n’a été réservée à sa note en réponse. Sur le plan légal, elle considère avoir été, lors de l’entrevue en cause, victime de plusieurs chocs psychologiques successifs (découvrir que l’on avait pris connaissance de son courrier privé, se voir retirer des fonctions de direction pour être affectée aux archives, vu une perte de confiance, décision communiquée à l’ensemble du personnel dont elle était responsable). Elle expose avoir poursuivi quelque temps ses fonctions, mais avec de grandes difficultés, et reprend l’enchaînement des événements par la suite, étant une période de congé, qu’elle espérait bénéfique, ainsi que des périodes d’incapacité de travail.

Pour l’Etat belge, la contestation persiste quant à la reconnaissance d’un événement soudain. Il fait valoir que l’intéressée n’a pas contesté la mesure prise à son égard, étant notamment qu’elle n’a pas introduit de recours devant le Conseil d’Etat, qu’ensuite elle a continué à travailler et qu’elle a été en incapacité pour « burnout », ce qui est incompatible avec un événement soudain. La preuve n’est pas rapportée et l’autorité invoque également la tardiveté de la déclaration, ainsi que la parfaite normalité de la discussion en cause.

La décision de la cour

La cour reprend les principes, avec le rappel fait dans la loi du 3 juillet 1967 à la législation du secteur privé, étant la loi sur les accidents du travail du 10 avril 1971.

La victime a la charge de la preuve de trois éléments (survenance d’un événement soudain, survenance par le fait de l’exécution du travail et lésion). Jouent ensuite, dès que ces éléments sont avérés, deux présomptions légales, étant (i) la présomption de causalité et (ii) la présomption que l’accident est survenu par le fait de l’exécution.

De longs développements sont réservés ensuite à la notion d’événement soudain, la cour rappelant également que, par « exécution », il faut savoir si le travailleur se trouve sous l’autorité de l’employeur au moment de l’accident, c’est-à-dire dans les temps et lieu où s’exerce cette autorité, celle-ci pouvant être virtuelle.

Dans le cadre du renversement du lien causal présumé, l’employeur doit établir que la lésion est exclusivement attribuable à une autre cause que l’accident (s’il y a plusieurs causes, la présomption n’est pas renversée).

En l’espèce, la cour retient que le fait en cause peut être épinglé, c’est-à-dire décrit avec suffisamment de précision, et qu’il s’est déroulé dans un laps de temps bref, étant ainsi conforme au critère de soudaineté.

La cour réfute ensuite la position de l’Etat belge selon laquelle le fait n’a pas présenté une intensité suffisante ou un caractère d’anormalité pouvant lui conférer le caractère d’événement soudain. Les critères d’intensité ou de normalité importent peu. La cour renvoie à l’exemple qu’avait donné M. l’Avocat général Ganshof VAN DER MEERSCH précédant l’arrêt de la Cour de cassation du 26 mai 1967 (Pas., p. 1138), selon lequel raisonner en sens contraire reviendrait à accorder une moindre protection aux travailleurs exerçant des métiers dangereux ou exposés. Par ailleurs, la cour considère que le fait en cause n’a pas un caractère normal ou banal, ou encore d’une intensité insuffisante, vu les circonstances exposées par la victime : convocation imprévue et manquements reprochés aux règles déontologiques, sur la base de courriers à caractère strictement privé obtenus dans des circonstances que la cour qualifie d’inconnues, privation de ses responsabilités, et ce en dehors de toute procédure disciplinaire – mesures intervenant avec effet immédiat et sans attendre les explications de l’intéressée.

Par ailleurs, le fait que la déclaration d’accident ait été rentrée beaucoup plus tard ne remet pas en cause la réalité du fait décrit, ce fait n’étant pas contesté en tant que tel. Cette tardiveté n’influence pas davantage les éléments de la définition (caractère soudain, fait susceptible d’avoir engendré la lésion). La circonstance de la poursuite du travail est également indifférente. Il en va de même des certificats médicaux, qui visent des diagnostics sans grande précision.

La cour conclut à l’existence d’un accident du travail et ordonne une expertise.

Intérêt de la décision

Les faits de cette espèce sont essentiellement centrés sur la convocation litigieuse et sur le contenu de l’entretien ainsi que sur les décisions prises à l’égard de l’intéressée.

La cour a l’occasion de rappeler la jurisprudence rendue à propos des chocs psychologiques, susceptibles de constituer l’événement soudain requis par la loi. Elle conclut, suite à un examen strict des éléments à retenir, que des circonstances bien déterminées sont indifférentes pour conclure à l’existence (ou l’absence) de celui-ci.

La première est le délai qu’a mis l’intéressée pour rentrer sa déclaration d’accident. L’on rappellera à cet égard que la loi n’impose pas de délai déterminé à la victime pour ce faire et qu’en cas de déclaration dite « tardive », il n’y a aucune sanction, seuls pouvant être invoqués par le débiteur de la réparation les effets de l’écoulement du temps (perte des éléments de preuve, essentiellement).

Sont également indifférentes les mentions des certificats médicaux remis à l’employeur dans le cadre de l’incapacité de travail, ces mentions manquant, pour la cour, de précision quant à la nature exacte de la cause de l’incapacité elle-même.

Enfin, l’on notera que l’Etat belge faisait également valoir que l’intéressée était responsable, par son comportement, de la réunion en cause et que, de ce fait, il y avait lieu de conclure qu’elle avait intentionnellement causé l’accident et qu’elle ne pouvait dès lors prétendre à aucune indemnisation. Cet argument a été rejeté par la cour, dans une brève motivation, étant que, à supposer même qu’elle ait commis des fautes déontologiques, elle n’a pas pour autant causé volontairement ou intentionnellement l’événement soudain que constituait l’entretien lui-même.


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