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Les règles de la C.C.T. n° 109 sont-elles telles quelles transposables par analogie au secteur public ?

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Dinant), 16 septembre 2019, R.G. 18/135/A

Mis en ligne le vendredi 12 juin 2020


Tribunal du travail de Liège (division Dinant), 16 septembre 2019, R.G. 18/135/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 16 septembre 2019, le Tribunal du travail de Liège (division Dinant), conclut à l’inapplicabilité automatique des règles de la C.C.T. n° 109 au licenciement des contractuels du secteur public, confirmant ainsi la position d’une partie importante de la jurisprudence sur la question.

Les faits

Un assistant social est engagé en 2019 en qualité d’agent contractuel par un C.P.A.S. L’intéressé se voit confier en 2016 la gestion d’une initiative locale d’accueil (I.L.A.) et, vu les difficultés rencontrées au niveau des risques psychosociaux à l’intérieur de cet établissement, le C.P.A.S. le renvoie au service social général. L’I.L.A. est fermée.

La poursuite des relations professionnelles est cependant difficile, l’intéressé ayant d’une part reçu un avertissement et, d’autre part, connu une période d’incapacité de travail. Le C.P.A.S. décide d’entamer une procédure disciplinaire et le convoque en audition. Divers reproches viennent encore s’accumuler.

Après son audition, il est mis fin au contrat de travail, sans prestation d’un préavis. La lettre de rupture est particulièrement motivée. Il est fait état de diverses fautes graves, le licenciement s’accompagnant toutefois du paiement d’une indemnité compensatoire de préavis.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Liège (division Dinant), l’intéressé demandant d’une part une indemnité correspondant à 17 semaines de rémunération au titre de dommages et intérêts pour licenciement déraisonnable et d’autre part un montant provisionnel de 5.000 euros pour abus de droit de licencier.

La décision du tribunal

Le tribunal est ainsi saisi de la question du licenciement manifestement déraisonnable dans le secteur public. Il reprend la problématique eu égard à l’absence de dispositions dans ce secteur comparables à la convention collective de travail n° 109. Il reprend la jurisprudence de la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 30 juin 2016 (C. const., 30 juin 2016, n° 101/2016), qui a estimé qu’il appartient aux juridictions, en application du droit commun des obligations, de garantir sans discrimination les droits de tous les travailleurs du secteur public en cas de licenciement manifestement déraisonnable, en s’inspirant, le cas échéant, de la convention collective de travail n° 109.

Il ne découle cependant pas de cet arrêt que la C.C.T. n° 109 au secteur public est applicable, le tribunal rappelant avec la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, div. Liège, 22 janvier 2018, J.L.M.B., 2018/14, p. 669) que la Cour constitutionnelle peut certes annuler la loi mais qu’elle n’a pas le pouvoir de créer du droit positif ni d’élargir le champ d’application de la C.C.T. n° 109.

Pour le tribunal, il faut éviter dans toute la mesure du possible une différence de traitement injustifiée entre les travailleurs, notamment en ce qui concerne la limitation des motifs de licenciement, le renversement de la charge de la preuve et la fixation forfaitaire de l’indemnité.

Quant à la méthodologie, il estime que, pour ce qui est des motifs, il peut être recouru au droit commun de l’abus de droit et, conformément à l’enseignement de la Cour constitutionnelle, il convient dans cet examen de comparer le comportement d’un employeur du secteur public à celui de l’employeur normalement prudent et diligent du secteur privé, référence donnée à l’article 8 de la C.C.T. n° 109. La Cour de cassation a en effet rappelé dans un arrêt du 18 février 2008 (Cass., 18 février 2008, n° S.07.0010.F) qu’est abusif l’exercice du droit de licenciement d’une manière qui dépasse manifestement les limites de l’exercice normal que ferait de ce droit un employeur prudent et diligent. Ainsi, procéder à un licenciement manifestement déraisonnable au sens de la C.C.T. n° 109 est un manquement à la référence à l’employeur prudent et diligent et constitue un abus. Cette faute peut, si elle présente un lien de causalité suffisant avec un dommage, justifier l’octroi d’une indemnité sur la base de l’article 1382 C.C.

Sur la question de la charge de la preuve, le tribunal ne retient pas que peut être transposé au secteur public le régime de l’article 10 de la C.C.T. n° 109. Cependant, lorsque l’employeur a, dans ce cadre, communiqué les motifs, le régime probatoire ne déroge précisément pas au droit commun, puisqu’il rappelle en des termes exprès que chaque partie a la charge de la preuve des faits qu’elle allègue. L’application des règles de droit commun ne discrimine dès lors pas le travailleur à cet égard.

Enfin, pour ce qui est de la fixation forfaitaire de l’indemnité, il ne peut être conclu à une application pure et simple de celle fixée à l’article 9 de la C.C.T. Le travailleur a la charge, dans le secteur public, de la preuve du dommage, et ce tant dans son principe que dans son ampleur (le tribunal renvoyant ici la doctrine de S. GILSON et de F. LAMBINET, « La motivation (formelle et substantielle) du licenciement des contractuels du secteur public », J.T.T., 2019/4, p. 58.

Dans l’hypothèse où le tribunal admettrait ce montant, il devrait s’agir d’une évaluation ex aequo et bono. Il relève cependant une divergence de position dans la jurisprudence, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles ayant jugé, dans une décision du 20 juin 2018 (Trib. trav. fr. Bruxelles, 20 juin 2018, J.T.T., 2019/4, p. 152), que les dommages et intérêts sanctionnant les licenciements manifestement déraisonnables au sein du secteur public, par analogie avec le régime de la C.C.T. n° 109, sont, selon les décisions, soit déterminés en fonction d’une fourchette équivalente à celle de l’article 109, soit fixés ex aequo et bono, tandis que le Tribunal du travail de Liège (Trib. trav. Liège, div. Arlon, 25 avril 2017, R.G. 16/3/A) considère que, quant aux dommages, en s’inspirant de l’arrêt de la Cour constitutionnelle, il faut s’en référer à une fourchette équivalente à celle de la C.C.T. n° 109.

Après ce rappel des positions les plus récentes sur la question, le tribunal examine les motifs qui ont été invoqués par l’employeur, retenant l’existence de reproches et d’avertissements, les éléments du dossier révélant que l’intéressé avait une conduite qui n’était pas toujours appropriée. Celui-ci est dès lors débouté du premier chef de demande.

Quant à l’abus de droit de licencier, étant fondé sur les articles 1134 et 1383 du Code civil, le tribunal rappelle les critères habituels (dont l’exercice du droit dans le but de nuire, de façon méchante ou vexatoire, sans avantage particulier – ou si peu – pour celui qui l’exerce, ainsi que le détournement de la finalité économique du licenciement, qui est le critère générique). Les éléments d’appréciation d’un abus de droit et d’un licenciement manifestement déraisonnable sont distincts, mais l’appréciation de la faute et du dommage doit se faire conformément au droit commun mais par analogie avec les articles 8 et 9 de la C.C.T. n° 109.

Il conclut que rien en l’espèce ne permet de faire droit à ce chef de demande.

Intérêt de la décision

La question des garanties du personnel contractuel du secteur public en cas de licenciement reste débattue, vu l’inapplicabilité de la C.C.T. n° 109 et l’enseignement de la Cour constitutionnelle, qui renvoie à la C.C.T. n° 109, considérant qu’il appartient aux cours et tribunaux de garantir sans discrimination les droits de tous les travailleurs du secteur public, en application du droit commun des obligations, et ce en s’inspirant le cas échéant de la C.C.T. n° 109.

Le tribunal du travail fait une juste application de cet enseignement dans ce jugement, donnant, par ailleurs, des éléments utiles en ce qui concerne les « ponts » à faire avec la C.C.T. sur la limitation des motifs admissibles, sur la charge de la preuve et sur le montant de l’indemnité.

Diverses décisions sont citées et l’on peut encore renvoyer à la position de la Cour du travail de Mons dans un arrêt du 9 avril 2019 (C. trav. Mons, 9 avril 2019, R.G. 2018/AM/125), selon laquelle le fait que la Cour constitutionnelle ait – constatation faite de la lacune existant à leur détriment – invité les juridictions du travail à garantir sans discrimination, en application du droit commun des obligations, les droits de tous les travailleurs du secteur public en cas de licenciement manifestement déraisonnable, en s’inspirant, le cas échéant, de la C.C.T. n° 109, ne peut constituer un fondement pour une application pure et simple de celle-ci aux intéressés. Ainsi est-il exclu, pour la cour, de leur accorder, à titre d’indemnisation, l’indemnité forfaitaire dont elle prévoit le paiement.


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