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Chômage : taux « chef de famille » et paiement d’une pension alimentaire

C. trav. Mons, 14 mars 2019, R.G. 2018/AM/118

Mis en ligne le jeudi 9 juillet 2020


Cour du travail de Mons, 14 mars 2019, R.G. 2018/AM/118

Terra Laboris

Dans un arrêt du 14 mars 2019, la Cour du travail de Mons rappelle les conditions dans lesquelles un débiteur de pension alimentaire peut conserver la qualité de travailleur avec famille à charge lorsqu’il paie une pension alimentaire : le taux ne pourra être maintenu qu’en cas d’effectivité du paiement de celle-ci et de paiement régulier.

Les faits

Un bénéficiaire d’allocations de chômage indique lors de la demande d’octroi des allocations, vivre seul et payer une pension alimentaire, celle-ci ayant été déterminée par jugement.

En avril 2016, l’ONEm demande la preuve du paiement de la pension alimentaire depuis juillet 2013. Le chômeur n’ayant pas réagi, il est convoqué, la copie du jugement (et/ou de l’acte notarié) étant demandé.

L’intéressé communique ensuite des reçus relatifs au paiement d’une pension mensuelle de 100€ pour la période concernée. Il déclare, en ce qui concerne le jugement, que le dossier a été archivé (18 ans) et qu’il ne peut le communiquer dans l’immédiat.

L’ONEm réagit en notifiant une décision d’exclusion pour les trois années précédentes, à concurrence du taux de travailleur ayant charge de famille, ainsi que de récupération.
Une exclusion de treize semaines est également prononcée.

Un recours étant introduit devant le Tribunal du travail du Hainaut (div. Charleroi), la décision est confirmée sauf pour ce qui est de la sanction d’exclusion, qui est ramenée à un avertissement.

Appel est interjeté par l’assuré social, qui demande à être rétabli dans ses droits et, à titre subsidiaire, plaide la bonne foi aux fins de limiter la récupération aux 150 dernières allocations perçues.

Il fait valoir que la pension qui a été versée est inférieure au montant prévu dans le jugement mais que ceci n’a aucune influence sur son droit. Par ailleurs le paiement ne fait pas obstacle à l’application de l’article 110, dès lors qu’il a été ratifié par la créancière d’aliments.

Il fait également une offre de preuve.

La décision de la cour

La cour reprend la règle de l’article 110 de l’arrêté royal du 25 octobre 1991 et renvoie à la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 14 septembre 1998, n° S.97.061.F), selon laquelle il appartient au chômeur d’établir la qualité qu’il revendique, que ce soit celle de chef de ménage ou celle d’isolé.

La remise du formulaire C1 emporte dans un premier temps que la preuve est rapportée de la qualité réclamée. Si l’Office conteste, il est tenu de procéder aux contrôles qu’il estimera opportun pour établir que la qualité revendiquée n’est pas correcte.

Reprenant les conditions pour que soit retenue la situation d’un travailleur ayant charge de famille lorsque celui-ci déclare habiter seul et payer de manière effective une pension alimentaire (imposée par jugement ou par acte notarié), la cour constate que l’intéressé produit des reçus dans lesquels il est mentionné que 100€ sont payés directement à sa fille depuis janvier 2013.

La cour résume la position de l’ONEm, selon lequel il ne s’agit « probablement » pas de ce qui est prévu dans le jugement initial.
La preuve d’un nouveau jugement n’étant par ailleurs pas apportée, qui permettrait de retenir l’obligation pour l’intéressé de payer la pension directement à sa fille et celle-ci étant majeure depuis deux ans à l’époque (son état de besoin n’étant en outre nullement démontré), l’ONEm considère que l’appelant ne répondait plus aux conditions fixées par l’article 110, § 1er, alinéa 1er, 3°, a) de l’arrêté royal organique.

Elle poursuit en rappelant l’arrêté royal du 24 janvier 2002 (arrêté royal modifiant l’article 110 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage), qui a introduit l’obligation de paiement effectif (la cour souligne) de la pension alimentaire.

Il y a dès lors lieu de répondre, depuis la date d’entrée en vigueur de celui-ci (1er mars 2002) à deux conditions pour se voir reconnaître la qualité de « chef de ménage » : il faut une décision judiciaire (ou un acte notarié) ainsi qu’un paiement effectif de la pension à laquelle le débiteur a été condamné.

La cour reprend le Rapport au Roi de cet arrêté royal (M.B., 5.02.2002), qui a relevé qu’il s’agit d’une obligation supplémentaire dont l’objectif est de permettre au chômeur débiteur alimentaire de s’acquitter de son obligation en lui assurant un complément d’allocations à cette fin. Un retard isolé, des difficultés financières passagères ou encore des modalités particulières de paiement sont possibles et peuvent être soumises au directeur du bureau de chômage, qui est tenu de les prendre en considération dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation.

Pour la cour du travail, il en résulte que le chômeur doit s’acquitter personnellement de son obligation alimentaire au moment même (la cour souligne) où il reçoit des allocations. La majoration doit lui permettre de faire face, mois par mois, (la cour souligne encore) à des dépenses supplémentaires dues à ses obligations alimentaires.

En l’espèce, elle retient des présomptions graves, précises et concordantes que la pension n’a pas été payée de manière régulière au moment où les allocations étaient perçues.

Les reçus sont identiques et il n’est d’ailleurs pas établi qu’ils ont été signés par la créancière alimentaire. Les déclarations produites sont également peu convaincantes.

La cour précise encore que, en vertu de l’article 1239, alinéa 2 du Code civil, le créancier peut ratifier le paiement qui aurait été fait entre les mains d’un accipiens n’ayant pas qualité pour le recevoir. Par l’effet de cette ratification, un paiement initialement nul devient valable, et ce à dater du jour où il a été effectué. En l’espèce, l’attestation produite supposée contenir la ratification n’est cependant pas probante, la cour relevant qu’aucun accord n’est établi sur la réduction de la pension alimentaire telle que fixée par jugement.

Elle renvoie encore à l’arrêt de la Cour de cassation du 31 octobre 2005 (Cass., 31 octobre 2005, S.04.0182.S) sur l’exigence que la pension alimentaire ait été fixée par décision judiciaire condamnant le bénéficiaire d’allocations au paiement de celle-ci. Les termes de la décision judiciaire fixant la contribution alimentaire s’imposent à elle même si le montant de la pension lui-même n’influence pas directement celui des allocations de chômage. Elle estime dès lors ne pas devoir faire droit à la demande d’enquête et rejette la bonne foi.

Intérêt de la décision

La question de l’étendue de l’obligation alimentaire a donné lieu à diverses décisions dans la jurisprudence.

La question de l’effectivité du paiement revient régulièrement, vu essentiellement l’apport de l’arrêté royal du 24 janvier 2002. La cour en a rappelé l’objectif, qui est de permettre au chômeur, qui doit s’acquitter personnellement d’une obligation alimentaire, de disposer au moment où il perçoit son allocation d’un taux majoré lui permettant de faire face à ses dépenses supplémentaires, qu’il doit assurer au mois le mois.

La cour a rappelé que dans le Rapport au Roi, figurent des situations spécifiques, ainsi un retard isolé de paiement, des difficultés financières passagères ou encore des modalités particulières de paiement, situations qui doivent être prises en compte par le directeur du bureau de chômage, dans son pouvoir d’appréciation.

Le principe reste néanmoins la concomitance entre la perception des allocations au taux majoré et le paiement de la dette alimentaire.


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