Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div.Tournai), 17 janvier 2020, R.G. 18/543/A
Mis en ligne le mardi 8 septembre 2020
Tribunal du travail du Hainaut (division Tournai), 17 janvier 2020, R.G. 18/543/A
Terra Laboris
Dans un jugement du 17 janvier 2020, le tribunal du travail du Hainaut division de Tournai rappelle que le motif grave doit être fautif et que la faute commise doit avoir propension à altérer immédiatement et définitivement la confiance réciproque des parties, ce qui n’est pas nécessairement le cas lors de la constatation de comportements / propos inappropriés dans le chef d’un membre du personnel.
Les faits
Une employée comptable, engagée depuis fin 2014 dans une société faisant partie d’un grand groupe fait l’objet en mai 2018 d’un courrier de reproches (dysfonctionnements, non réalisation des attentes, …).
Deux semaines plus tard, celle-ci transmet à un collègue de son service un courriel indiquant qu’un autre membre de la comptabilité « puait ». Ce courriel fut également transmis à ce dernier et sa hiérarchie l’a convoqua. Elle fut alors licenciée pour motif grave. Les griefs furent précisés dans un courrier ultérieur. Il se réfère essentiellement aux faits relatifs au collègue, qui aurait été choqué et scandalisé, les propos utilisés étant qualifiés d’injurieux, d’intolérables et de contraires aux obligations imposées à un travailleur en vertu de l’article 17 de la loi du 3 juillet 1978. Sont également reprochés des faits antérieurs où avait été pointé « le caractère insupportable de (son) attitude dans la relation de travail », le courrier insiste sur les retours négatifs parvenus quant à l’ambiance du travail. Est également rappelé l’entretien de deux mois auparavant, où avaient été soulignées des erreurs comptables et des erreurs de TVA.
Des contacts ultérieurs ne permirent pas de régler le litige, l’intéressée ayant chargé son organisation syndicale d’approcher la société et celle-ci restent sur sa position.
Une procédure fut dès lors introduite devant le tribunal.
La décision du tribunal
Le tribunal passe brièvement en revue les exigences relatives au double délai de trois jours et à la précision des motifs, les règles ayant été respectées. Il développe plus longuement la question de la preuve des faits reprochés, ainsi que la qualification de faute grave.
Avec force renvois à la jurisprudence, le tribunal rappelle que deux conditions vont guider le contrôle du juge du fond, étant l’existence d’un fait fautif et la propension de cette faute à altérer immédiatement et définitivement la confiance réciproque des parties, indispensable à l’exécution des relations professionnelles contractuelles.
Un rappel est fait d’un important arrêt de la Cour de Cassation du 6 mars 1995 (Cassation, 6 mars 1995, R.G. ???) : l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978 n’impose ni que la faute grave soit de nature contractuelle, ni qu’elle ait été commise à l’égard de l’employeur ni encore que celui-ci ait subi un préjudice. (….) Il suffit que le comportement du travailleur constitue une faute d’une gravité telle qu’elle empêche immédiatement et définitivement la continuation des relations professionnelles. Le juge du fond dispose ici d’un pouvoir d’appréciation souverain.
Quant au terme utilisé, il est, pour le tribunal, totalement inapproprié et lorsqu’elle a été entendue pour s’expliquer, l’intéressée aurait certes dû présenter ses excuses quant à ce. Il est relevé cependant qu’elle a contesté toute intention de moquerie vis-à-vis du collègue en question.
Les faits établis ne justifient, cependant, pas un licenciement pour motif grave. En effet, le tribunal retient que dans une autre situation (un autre collègue ayant également tenu des propos inappropriés envers une autre membre du personnel), la société a apprécié différemment le caractère gravement fautif du comportement, l’intéressé ayant fait l’objet d’un rappel à l’ordre seulement.
La demanderesse a fait l’objet quant à elle de la sanction la plus lourde, le tribunal relevant même qu’aucun avertissement circonstancié n’a été notifié dans l’autre incident comparé.
Il fait dès lors droit à la demande en ce qui concerne le motif grave. Par contre, il déboute la demanderesse de sa demande d’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable.
Intérêt de la décision
Le tribunal statue en l’espèce, comparant les faits qui lui sont soumis à d’autres faits qu’il estime similaires et dans lesquels la société a fait un tout autre usage de son pouvoir d’appréciation de la gravité du manquement qui était avérée dans le chef d’un membre du personnel. Le tribunal ne renvoie pas, dans les faits, à d’autres considérations, si ce n’est qu’il retient l’absence de moquerie dans le chef de l’intéressée, tout en pointant l’existence d’une faute dans le chef de la demanderesse. Le tribunal a, ainsi, fait plein usage de son pouvoir d’appréciation de la décision patronale, et ce « in concreto ».
Sur le caractère « inapproprié » du comportement, dès lors que celui-ci est fautif, la prudence s’impose, puisque le critère de gravité requis pour justifier le licenciement sans préavis ni indemnité implique l’impossibilité absolue et immédiate de poursuivre la relation contractuelle. Le tribunal du travail du Hainaut a considéré, dans l’espèce commentée, que si cette appréciation doit se faire eu égard au manquement lui-même, l’employeur doit suivre et respecter une politique cohérente quant aux sanctions à prendre dès lors que de tels manquements sont présents.
Pour ce qui est de cas d’illustration, l’on peut encore prendre en compte les deux arrêts suivants, récents dans la jurisprudence.
C. trav. Liège (div. Liège), 8 mars 2019, R.G. 2017/AL/720
C. trav. Liège (div. Namur), 25 septembre 2018, R.G. 2016/AN/18