Commentaire de Cass., 22 juin 2020, n° S.19.0035.F
Mis en ligne le lundi 28 décembre 2020
Cour de cassation, 22 juin 2020, n° S.19.0035.F
Terra Laboris
Par arrêt du 22 juin 2020, la Cour de cassation reprend les rôles respectifs de l’employeur et du FOREm, dans le cadre du contrat de formation-insertion (Région wallonne) tant lors de l’exécution de contrat que pour ce qui est des conditions de sa rupture.
La Cour de cassation est saisie d’un pourvoi contre deux arrêts de la Cour du travail de Liège des 23 mai 2018 et 23 janvier 2019. C’est essentiellement celui du 23 mai 2018 qui est examiné, aucun grief n’étant développé contre celui du 23 janvier 2019.
Brefs rétroactes
Une société avait signé un contrat de formation-insertion avec un jeune travailleur pour une durée de 21 semaines. Elle lui adressa deux avertissements successifs eu égard à certains incidents, qu’elle considérait révélateurs de son attitude « inappropriée » et « insubordonnée ». Elle prit la décision, après ceux-ci, d’informer le FOREm qu’elle mettait fin au contrat. Le FOREm eut, quelques jours plus tard, à la date de fin attendue du contrat de formation-insertion, un entretien avec l’intéressé (entretien prévu par la réglementation).
Une procédure fut introduite par celui-ci au motif du non-respect des règles en matière de rupture.
Par arrêt du 28 mai 2018, la Cour du travail de Liège décida que la société devait réparer, conformément au droit commun de la responsabilité contractuelle, le dommage causé par la rupture fautive du contrat et que ce dommage consistait pour le demandeur, stagiaire, en la perte d’une chance de poursuivre la formation puis le contrat de travail équivalent à la durée de celle-ci. Elle estima que, vu la position du FOREm, qui n’aurait pas autorisé la rupture du contrat, la probabilité de ne pas arriver au terme de celui-ci était insignifiante. Elle considéra dès lors que le dommage équivalait à la totalité des indemnités prévues jusqu’à son terme.
Par ailleurs, pour ce qui est de la perte d’une chance de conclure et d’exécuter le contrat de travail après la formation, elle ordonna une réouverture des débats, aux fins d’apprécier la chance perdue. En effet, en vertu de l’article 9 de l’arrêté d’exécution, trois évaluations interviennent dans le cadre du contrat de formation-insertion, l’une en fin de période d’essai, l’autre intermédiaire, et une troisième en fin de contrat. Celle-ci porte sur l’aptitude du stagiaire. Pour la cour du travail, compte tenu des griefs et avertissements formulés par la société après les deux premières évaluations ainsi que des fautes commises par le stagiaire, les probabilités d’obtenir une évaluation positive en fin de contrat et de conclure un contrat de travail apparaissaient moins élevées que celles d’achever la formation.
L’arrêt de la Cour de cassation
La Cour de cassation reprend les termes du décret du Conseil régional wallon du 18 juillet 1997 relatif à l’insertion de demandeurs d’emploi auprès d’employeurs qui organisent une formation permettant d’occuper un poste vacant. Il s’agit d’organiser l’insertion par la formation professionnelle pour des personnes qui acquièrent par un stage chez un employeur les compétences professionnelles nécessaires pour exercer une activité professionnelle chez lui (article 2). Elle reprend ensuite les rôles et responsabilités respectifs de l’employeur et du FOREm, rappelant que le contrat est tripartite (stagiaire, employeur et FOREm). L’employeur s’engage à occuper le stagiaire après le contrat de formation-insertion dans les liens d’un contrat de travail pour la profession apprise, et ce pour une durée au moins égale à celle du contrat de formation-insertion, tandis que le FOREm est tenu d’assurer le suivi technique et pédagogique. Il doit procéder systématiquement, pendant l’exécution de ce contrat, soit d’initiative, soit à la demande d’une des autres parties, à la vérification du bon déroulement de la formation. En cas d’inaptitude, le contrat peut prendre fin avant son terme sur décision motivée de l’administrateur général du FOREm. C’est à l’administrateur général en effet qu’il appartient de décider si le stagiaire est inapte à suivre la formation et à exercer chez l’employeur l’activité professionnelle visée, décision qui pourra libérer l’employeur de son obligation de conclure un contrat de travail. La Cour rappelle que la mission du FOREm se poursuit jusqu’y compris le terme du contrat de formation-insertion.
Un contrat type a été élaboré et celui-ci reprend les conditions de la formation ainsi que les engagements de l’employeur et de l’administration.
La Cour rejette le pourvoi. Pour ce qui concerne l’appréciation de la perte d’une chance de poursuivre la formation, elle considère que l’arrêt a déduit de ce que le FOREm n’aurait pas autorisé la rupture que, sans la rupture fautive de la défenderesse, le contrat aurait nécessairement été exécuté jusqu’à son terme.
Pour ce qui est du contrat de travail, pour lequel la cour du travail avait retenu que les probabilités étaient moins élevées, elle retient que la cour du travail a respecté le mécanisme légal, puisqu’elle a considéré que le FOREm avait le pouvoir de décider si le stagiaire était apte à exercer l’activité professionnelle, décision qui aurait pu libérer la société de l’obligation de l’engager et de le faire travailler.
Intérêt de la décision
Dans ses conclusions, M. l’Avocat général GENICOT avait rappelé que toute rupture unilatérale fautive du contrat de formation-insertion par l’employeur engage sa responsabilité contractuelle et que, suivant une certaine doctrine, le préjudice matériel du stagiaire consisterait dans la perte d’une chance de conclure le contrat de travail et de l’exécuter pendant la durée minimum d’occupation (avec renvoi notamment à Q. CORDIER, « Le plan de formation-insertion en Région wallonne de langue française », in H. MORMONT, dir., Droit du travail tous azimuts, C.U.P., 2016, pp. 672 et s.).
Pour ce qui est de l’appréciation de la cour du travail selon laquelle le FOREm n’aurait pas autorisé la rupture du contrat de formation avant terme, M. l’Avocat général précise que cette considération repose sur l’issue très proche de la période de formation, du souhait de l’employeur de la poursuivre après les deux premières évaluations, ainsi que des contestations du stagiaire quant aux griefs qui lui avaient été adressés. Le FOREm n’aurait dès lors pas, pour ces motifs, autorisé la rupture, qui est intervenue à moins d’une semaine de la fin attendue.
M. l’Avocat général avait conclu que, pour ce qui est de l’évaluation de la perte d’une chance d’obtenir le contrat de travail, la cour du travail n’avait pas violé les dispositions applicables en considérant que les chances étaient ici beaucoup moins élevées, prenant en considération le pouvoir d’appréciation que le FOREm aurait pu exercer en fin de contrat d’insertion-formation.
Relevons encore sur la question deux décisions récentes de la Cour du travail de Mons.
Dans un arrêt du 5 mars 2019 (C. trav. Mons, 5 mars 2019, R.G. 2017/AM/318), elle a considéré que l’engagement de l’employeur d’occuper le stagiaire pendant une durée minimale à l’issue de sa formation constitue une promesse unilatérale de contrat, dont la violation l’expose, en vertu du droit commun de la responsabilité, au paiement de dommages et intérêts destinés à réparer intégralement le préjudice subi. À ce titre, la réparation la plus adéquate consiste en l’octroi de dommages et intérêts équivalant au montant de la rémunération qui aurait été perçue au cours de la période minimale d’occupation, sans que l’employeur soit, pour réduire le montant de ceux-ci, fondé à invoquer les aléas, par définition incertains, qui auraient pu émailler le déroulement du contrat de travail.
Dans un arrêt légèrement antérieur du 8 janvier 2019 (C. trav. Mons, 8 janvier 2019, 2018/AM/13), elle a rappelé que, vu les termes de l’arrêté du Gouvernement wallon du 14 novembre 2007, le licenciement du stagiaire peut intervenir dans trois cas : (i) inaptitude du stagiaire, (ii) non-respect par l’employeur de ses obligations et (iii), pour le stagiaire peu qualifié, résultats de son évaluation. Le chef d’entreprise ne peut mettre un terme à la formation, le FOREm ayant seul cette compétence. Même en cas de motif légitime, le chef d’entreprise qui procéderait à une telle rupture commettrait une faute susceptible d’emporter le droit à des dommages et intérêts.