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Charge de la preuve en sécurité sociale

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 6 janvier 2021, R.G. 2019/AL/513

Mis en ligne le vendredi 14 mai 2021


Cour du travail de Liège (division Liège), 6 janvier 2021, R.G. 2019/AL/513

Terra Laboris

Dans un arrêt du 6 janvier 2021, la Cour du travail de Liège (division Liège), devant trancher l’existence ou non d’une cohabitation en chômage, renvoie aux règles de preuve de l’article 8.4 du titre VIII du nouveau Code civil en vigueur depuis le 1er novembre 2020.

Les faits

L’ONEm a exclu une assurée sociale du bénéfice des allocations de chômage au taux de travailleur avec charge de famille, celle-ci devant cependant conserver lesdites allocations en qualité de travailleur cohabitant. La récupération a été ordonnée sur pied des articles 169 et 170 de l’arrêté royal organique et une sanction de treize semaines a été retenue, au motif de déclarations inexactes. Celle-ci tient également compte de la durée de la période infractionnelle (plus de huit ans). C’est ainsi une somme de plus de 28.000 euros qui est réclamée.

Pour ce qui est de la cohabitation, l’ONEm motive sa décision en retenant que l’intéressée a habité pendant la période considérée avec le père de son enfant, qui est lui-même bénéficiaire de revenus.

Un recours a été introduit devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège) et rejeté.

L’intéressée interjette appel de cette décision.

Position des parties devant la cour

L’assurée sociale se fonde sur les éléments obtenus par une enquête de voisinage, qu’elle conteste, ainsi que les consommations d’eau.

Sur le premier point, elle plaide que l’enquête de voisinage réalisée tant à son domicile qu’à celui du père de son enfant n’est pas déterminante. Quant aux consommations d’eau, elle estime que celles-ci, évaluées à 400 mètres cubes par an et par personne, ne le sont pas davantage (elle-même habitant avec son enfant et sa mère).

Quant à l’ONEm, il se fonde sur ces consommations (étant de 110 mètres cubes, ce qui correspond à un ménage de quatre personnes) ainsi que sur l’usage par l’intéressée du véhicule du père de son enfant pour conduire celle-ci à l’école. Il postule la confirmation du jugement également en ce qui concerne la hauteur de la sanction.

La décision de la cour

La cour rappelle les rétroactes, étant que l’appelante a été admise aux allocations de chômage en juin 1996 sur la base de ses études, ce qui aboutit à une durée de plus de dix-sept ans au moment de la décision de l’ONEm.

Elle rappelle que l’auditorat a été informé sur plainte. En conséquence, un procès-verbal figure au dossier, suite à l’enquête de voisinage qui a été effectuée aux deux adresses. L’intéressée a été auditionnée, notamment sur sa consommation d’eau. Elle précise que le père de son enfant viendrait garder celle-ci le soir pendant qu’elle travaille (pour un très courte durée). Elle conclut qu’elle ne peut apporter de preuve qu’il ne vit pas avec elle.

Pour ce qui est des dispositions applicables, c’est l’article 110 de l’arrêté-royal organique qui est au cœur du débat et la cour rappelle, tenant compte également de l’article 59 de l’arrêté ministériel qui définit la cohabitation, que la Cour de cassation est intervenue, précisant les concepts. Il ne suffit pas que les parties partagent les principales pièces de vie et les frais d’un même logement, règlent en commun les seules questions relatives au loyer et aux frais de celui-ci et tirent ainsi un avantage économique et financier. La jurisprudence de la Cour du travail de Liège est explicite, exigeant qu’il soit constaté une « communauté domestique », sans intervention du critère affectif, qui peut toutefois être un indice d’une vie commune (la cour renvoyant à C. trav. Liège, div. Namur, 3 décembre 2019, R.G. 2017/AN/98 et à C. trav. Liège, div. Namur, 2 décembre 2019, R.G. 2019/AN/20).

Sur le plan de la preuve, la cour rappelle les règles du droit commun, étant les articles 870 du Code judiciaire et 1315 du Code civil.

Les parties doivent en outre collaborer à l’administration de la preuve, règle qui est applicable en sécurité sociale (renvoyant à la doctrine de H. MORMONT, « La charge de la preuve dans le contentieux judiciaire de la sécurité sociale », R.D.S., 2013/2, pp. 361 et s.). Il ne s’agit pas de déterminer l’ordre dans lequel la preuve doit être apportée mais de savoir qui in fine assure le risque du défaut de preuve. Aussi a-t-il pu être dit en doctrine que, si les faits restent incertains, ces règles désignent qui perd et qui gagne (H. MORMONT, ci-dessus).

A celles-ci, s’ajoute l’article 8.4 du titre VIII du nouveau Code civil, en vigueur depuis le 1er novembre 2020, qui régit les règles déterminant la charge de la preuve. Il précise que celui qui veut faire valoir une prétention en justice doit prouver les actes juridiques ou faits qui la fondent. Celui qui se prétend libéré doit prouver les actes juridiques ou faits qui soutiennent sa prétention.

La disposition précise, sur le plan de l’administration de la preuve, que toutes les parties doivent collaborer à celle-ci.

En cas de doute, celui qui a la charge de prouver les actes juridiques ou faits allégués par lui succombe au procès (sauf si la loi en dispose autrement).

Quant au juge, il a également un rôle à jouer, puisqu’il peut déterminer par un jugement spécialement motivé, dans des circonstances exceptionnelles, qui supporte la charge de la preuve lorsque l’application des règles ci-dessus serait manifestement déraisonnable. Il ne peut faire usage de cette faculté que s’il a d’abord ordonné toutes les mesures d’instruction utiles et s’il a veillé à ce que les parties collaborent à l’administration de la preuve sans pour autant obtenir de preuve suffisante.

Dès lors donc qu’une partie allègue des faits et que ceux-ci sont contestés, elle a la charge de la preuve de ceux-ci. La cour rappelle que cette règle est reprise à l’article 8.3 du nouveau Code civil, étant que, hormis les cas où la loi en dispose autrement, les faits ou actes juridiques doivent être prouvés lorsqu’ils sont allégués et contestés.

La question du taux des allocations de chômage est une matière d’ordre public et l’assuré social, qui est demandeur de prestations sociales, et donc d’un droit subjectif, et qui est en outre demandeur en justice, doit apporter cette preuve.

La cour précise qu’en cas de décision de révision ou de retrait, ce n’est pas à l’ONEm à prouver l’absence des conditions d’octroi de la prestation retirée mais l’existence d’un motif légal de révision, et la cour de citer : son erreur, l’existence d’un fait nouveau ou d’un élément de preuve, une nouvelle demande, l’échéance d’un délai prévu pour une révision planifiée ou périodique, ou tout autre élément qui justifie le réexamen du droit à la prestation. L’ONEm peut notamment revoir une décision en cas de déclaration inexacte ou d’omission de déclaration ayant une incidence sur les droits de la personne.

La charge de la preuve de la réunion des conditions d’octroi de la prestation sociale repose dès lors toujours sur l’assuré social.

En l’espèce, la cour demande en premier lieu à l’ONEm de justifier du motif de la révision qui fonde sa décision et, sur ce point, l’ONEm renvoie à des déclarations inexactes reprises sur le formulaire C1, vu la cohabitation de l’intéressée avec le père de sa fille (et non uniquement avec sa mère pensionnée). La situation a été portée à la connaissance de l’ONEm par une dénonciation. Celle-ci émane d’une personne qui s’est identifiée et qui donne des détails sur la situation socio-professionnelle du couple. Une enquête de police a permis de recueillir des indices sérieux et concordants.

Sur la base des éléments de fait, la cour retient que la proximité est constante depuis la naissance de l’enfant commun.

C’est, dans ce contexte, à l’assurée sociale de démontrer qu’elle est un travailleur ayant charge de famille, preuve qu’elle n’apporte pas.

La cour confirme dès lors le jugement, réduisant cependant la sanction à quatre semaines, au motif que seules trois années sont retenues, et qu’il n’y a pas d’antécédents.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est un des premiers à renvoyer au nouveau Code civil en ses articles 8.3 et 8.4 relatifs à la preuve.

Si les dispositions nouvelles confirment les principes généraux selon lesquels chacune des parties a la charge de prouver les faits qu’elle allègue (article 870 du Code judiciaire) et que celle qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver et que, réciproquement, celle qui se prétend libérée doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de l’obligation (article 1315 du Code civil), ces obligations sont explicitées dans la disposition actuelle, puisque celle qui veut faire valoir une prétention en justice doit prouver les actes juridiques ou faits qui la fondent et que celle qui se prétend libérée doit prouver les actes juridiques ou faits qui soutiennent sa prétention.

Le principe selon lequel toutes les parties doivent collaborer à l’administration de la preuve (question distincte de la charge de la preuve) figure dans le texte légal.

Une innovation est certes que le juge se voit conférer des pouvoirs particuliers en vue d’aménager les règles de preuve dans certaines situations. Il peut en effet déterminer par un jugement spécialement motivé, dans des circonstances exceptionnelles, qui va supporter la charge de la preuve lorsque l’application des règles générales serait manifestement déraisonnable. Il ne peut cependant faire usage de cette faculté que s’il a déjà ordonné toutes les mesures d’instruction utiles et veillé à ce que les parties collaborent à l’administration de la preuve et que la preuve suffisante n’a pas été obtenue. Il s’agit dès lors d’un pouvoir d’aménagement de la charge de la preuve, mais encadré, puisqu’il ne peut être exercé qu’après que les modes généraux ont été utilisés – infructueusement.


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