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Contrat de travail « belgo-luxembourgeois » : loi applicable

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 5 janvier 2021, R.G. 19/3.484/A

Mis en ligne le vendredi 28 mai 2021


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 5 janvier 2021, R.G. 19/3.484/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 5 janvier 2021, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) rappelle que le choix des parties quant au droit applicable à un contrat de travail ne peut préjudicier le travailleur.
Les faits

Une société de droit luxembourgeois introduit une procédure devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège) aux fins d’obtenir la condamnation d’un ancien travailleur à restituer des effets en sa possession (mallette de présentation, catalogues, présentoir, etc.) ou, à défaut, au paiement de 6.000 euros au titre de compensation, la société sollicitant également un montant de 5.000 euros au titre de dédommagement pour le manque à gagner. Quant au travailleur, il introduit une demande reconventionnelle en cours d’instance, par voie de conclusions, en paiement de sommes.

La décision du tribunal

Le tribunal tranche en premier lieu une question de compétence, le travailleur opposant un déclinatoire de compétence au profit des juridictions luxembourgeoises. Il examine (le défendeur s’étant entre-temps désisté de ce déclinatoire) les règles applicables, tenant compte du fait que les relations de travail se sont déroulées sur le territoire belge, et notamment dans l’arrondissement liégeois.

Il renvoie au Code de droit international privé, qui fixe les règles de compétence des juridictions belges, et particulièrement en matière de relations individuelles de travail, étant qu’est retenu comme critère que l’exécution de l’obligation contractuelle doit avoir eu lieu en Belgique, cette condition étant comprise comme supposant que le travailleur y accomplissait habituellement son travail lors du différend.

Sur le plan territorial, est compétent le juge de l’endroit affecté à l’exploitation de l’entreprise, à l’exercice de la profession ou à l’activité de l’employeur. Le défendeur ayant eu la qualité de représentant de commerce, l’action peut être introduite devant le juge du lieu où s’exerçait cette activité. Le tribunal retient dès lors sa compétence ratione loci.

Se pose encore la question du droit applicable, vu que le contrat signé entre les parties fait référence à la loi luxembourgeoise. Il y a dès lors un choix exprimé par celles-ci, ce qui implique le renvoi aux dispositions du Code de droit international privé à cet égard : le droit applicable aux obligations contractuelles est déterminé par le Règlement n° 593/2008, dit « Rome I ». Celui-ci dispose en son article 3 que le contrat est régi par la loi choisie par les parties (ce choix pouvant être fait pour la totalité ou pour une partie seulement du contrat). Cependant, lorsqu’au moment où le choix est fait, tous les autres éléments de la situation sont localisés dans un pays autre que celui dont la loi est choisie, le choix des parties ne peut porter atteinte à l’application des dispositions auxquelles la loi de cet autre pays ne permet pas de déroger par accord. Le contrat individuel va ainsi être régi par la loi choisie par les parties, mais ce choix ne peut avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord ou en vertu de la loi qui, à défaut de choix, aurait été applicable. Les parties pouvaient dès lors convenir d’un droit applicable à la relation de travail, mais ce choix ne pouvait préjudicier le travailleur de la protection que lui assure le droit qui aurait été retenu à défaut d’un tel choix.

Il faut en conséquence d’abord vérifier si le droit belge aurait dû s’appliquer à défaut de choix par les parties, c’est-à-dire qu’il faut procéder à un examen des critères de rattachement. Le tribunal retient que ceux-ci sont au nombre de quatre, étant (i) le lieu du travail, (ii) la monnaie du contrat (critère indifférent en l’espèce), (iii) le droit choisi et (iv) l’assujettissement à la sécurité sociale.

En l’espèce, le lieu du travail est le territoire belge et l’intéressé est resté assujetti à la sécurité sociale belge (ayant d’ailleurs fait une demande de chômage temps partiel avec maintien des droits).

A côté de ces critères, qui ont pu être dégagés (la collaboration professionnelle ayant été de courte durée), le tribunal retient encore la référence à l’index en vigueur au Luxembourg, constatant cependant que « c’est fort peu pour un contrat intégralement exécuté en Belgique ».

La question de savoir si le choix est de nature à préjudicier le travailleur est examinée sur le plan de la prescription. En droit luxembourgeois, seules certaines actions du travailleur contre l’employeur sont soumises à une prescription de trois ans. Il s’agit de l’action en paiement des salaires de toute nature dus au salarié (article L-221-2 du Code du travail). D’autres règles existent et, notamment, pour ce qui est de l’action en contestation des motifs de licenciement, la prescription est de trois mois (article L-124-11). Par contre, de nombreuses actions sont soumises à une prescription trentenaire.

De nombreuses hypothèses font dès lors l’objet de règles de prescription plus défavorables au travailleur qu’en droit belge. Le tribunal en déduit que le choix du droit luxembourgeois prive le défendeur d’une partie de la protection à laquelle il aurait eu droit en vertu de celui-ci. Il s’écarte, dès lors, de la clause contractuelle, et ce en application de l’article 8.2 du Règlement n° 593/2008, et revient à l’examen de la règle de prescription à partir du droit belge.

En vertu de l’article 15 de la loi du 3 juillet 1978 et de l’article 26 du titre préliminaire du Code d’instruction criminelle, les règles de prescription sont de un an pour les actions naissant du contrat (ou cinq ans après le fait qui a donné naissance à l’action, sans que ce dernier délai puisse excéder un an), délai qui court à partir de la fin du contrat. Pour ce qui est de l’action civile résultant d’une infraction, celle-ci se prescrit selon les règles du Code civil ou les lois particulières applicables à l’action en dommages et intérêts (l’action civile ne pouvant se prescrire avant l’action publique).

Le tribunal renvoie à une espèce où la Cour du travail de Liège a statué à propos de la restitution d’un ordinateur de société (C. trav. Liège, div. Namur, 17 novembre 2015, R.G. 2014/AN/15 – précédemment commenté). Il s’agit, pour la cour du travail, d’une action civile résultant d’une infraction (détournement) à laquelle s’applique le délai de prescription de l’article 2262bis du Code civil auquel renvoie l’article 26 du titre préliminaire du Code d’instruction criminelle.

S’agissant en l’espèce d’une demande de restitution de matériel de travail et, à défaut, de dommages et intérêts, l’action n’est pas prescrite.

Par contre, pour ce qui est de la demande d’indemnisation de l’employeur suite à un manque à gagner, s’agissant d’une faute commise dans l’exécution du contrat, il y a prescription.

A propos de la demande reconventionnelle, le tribunal constate que celle-ci se fonde sur le non-paiement de la rémunération et sur une infraction aux dispositions en matière de temps de travail. Cette action reconventionnelle n’est pas prescrite.

Le tribunal ne règle pas le fond de l’affaire, prononçant une réouverture des débats sur cette question.

Intérêt de la décision

C’est l’examen du choix des parties à propos de la législation applicable qui fait l’intérêt de cette première décision rendue par le Tribunal du travail de Liège dans cette affaire. La question de l’occupation d’un travailleur belge par une société luxembourgeoise est en effet fréquente, les conditions de prestation en l’espèce ayant toutefois restreint l’activité du travailleur au territoire belge.

A la question du choix exprès fait par les parties quant à l’application du droit luxembourgeois, alors qu’aucune des conditions de travail ne se rattachait normalement au territoire luxembourgeois non plus qu’au droit applicable (fixation de la rémunération, conditions de prestation, respect du temps de travail, etc.), s’ajoutait celle de l’assujettissement à la sécurité sociale, les parties ayant ici opté pour le maintien de l’assujettissement à la sécurité sociale belge (le travailleur ayant manifestement presté précédemment pour des sociétés belges, sans que ne se pose une question d’extranéité). Devait ainsi être suivi le Règlement « Rome I », dont l’article 3 pose le principe du libre choix des parties quant à la loi applicable au contrat. Cette disposition prévoit que ce choix est exprès ou qu’il peut résulter – mais d’une façon certaine – des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause.

Les parties peuvent désigner la loi applicable à la totalité du contrat ou à une partie seulement de celui-ci. En outre, elles peuvent convenir à tout moment de faire régir le contrat par une loi autre que celle qui le régissait auparavant, soit en vertu d’un choix antérieur, soit en vertu d’autres dispositions du Règlement. Dans la mesure où un choix a été posé, il ne peut cependant porter atteinte à l’application des dispositions auxquelles la loi de l’autre Etat ne permet pas de déroger par accord.

Le Règlement prévoit également, à propos du contrat de travail, qu’à défaut de choix, celui-ci est régi par la loi du pays à partir duquel le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail.

A propos de la situation « belgo-luxembourgeoise », rappelons encore un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 28 mars 2017 (C. trav. Bruxelles, 28 mars 2017, R.G. 2015/AB/131 – précédemment commenté), concernant un directeur d’une société luxembourgeoise active dans le domaine de sites web. Le droit choisi était également le droit luxembourgeois, où un délai de préavis de deux mois est prévu. Une procédure avait été introduite devant les juridictions belges. La cour y avait examiné la question de savoir si l’employeur luxembourgeois pouvait être attrait devant les juridictions sociales belges. La question débattue était de déterminer si l’intéressé accomplissait habituellement son travail sur le territoire du Royaume. La notion n’est en effet pas précisée dans le texte.


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