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Jours de congés supplémentaires non pris : droit à des dommages et intérêts ?

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 6 novembre 2020, R.G. 18/1.747/A

Mis en ligne le mardi 15 juin 2021


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 6 novembre 2020, R.G. 18/1.747/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 6 novembre 2020, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) rappelle la jurisprudence de la Cour de Justice en matière de droit au congé annuel ainsi que les obligations de l’employeur à cet égard.

Les faits

Un employeur dépendant de la commission paritaire n° 332 (commission paritaire pour le secteur francophone et germanophone de l’aide sociale et des soins de santé) a omis d’octroyer aux travailleurs occupés trois jours de congés extra-légaux annuels prévus par une convention collective de travail sectorielle. La situation est régularisée, mais non pour le passé.

Une employée réclame paiement de ces jours pour les années précédant la régularisation intervenue. Elle introduit un recours devant le Tribunal du travail de Liège, sollicitant l’octroi de dommages et intérêts en compensation des jours non octroyés (et donc non pris).

Position des parties devant le tribunal

La demanderesse se fonde sur l’article 3 d’une convention collective conclue au sein de la C.P. n° 332 en date du 7 décembre 2007 (convention collective de travail relative à l’octroi de jours de congés supplémentaires pour le secteur) et réclame le paiement des jours non octroyés.

L’employeur (A.S.B.L.) estime pour sa part qu’il n’est pas tenu de payer ces jours supplémentaires, au motif que l’article 8 de la convention collective prévoirait que ceux-ci ne sont prévus que s’ils sont pris en charge par la Région wallonne et que le FOREm a fait valoir qu’il n’interviendrait pas dans les montants en cause. Il considère également qu’aucune compensation financière n’est due, la convention collective renvoyant, pour ses modalités d’application, aux dispositions légales en matière de vacances annuelles, dispositions qui ne prévoiraient pas une telle compensation. Enfin, il fait valoir qu’il n’a pas commis de faute, dans la mesure où l’intéressée n’avait pas réclamé les jours en cause.

La décision du tribunal

Le tribunal examine le texte de la convention collective, en ses articles 3 et 8. L’article 3 fixe le nombre de jours de congés supplémentaires octroyés dans le temps, tandis que l’article 8 renvoie à l’intervention de la Région wallonne en exécution d’un accord-cadre tripartite pour le secteur non marchand privé wallon 2007-2009.

Un courriel a effectivement été envoyé par le FOREm, rappelant que les travailleurs APE sont subventionnés mensuellement sur base forfaitaire, la rémunération étant versée tant pour les jours de congés ordinaires que pour les jours supplémentaires.

Pour le tribunal, il en résulte que l’A.S.B.L. a ainsi perçu des subventions pour la rémunération, incluant les jours de congés extra-légaux. Ceux-ci n’ont cependant pas été octroyés – ce qui n’est pas contesté.

Sur le principe du droit à une compensation financière pour les jours non-octroyés, vu le renvoi fait aux dispositions des lois coordonnées du 28 juin 1971, le tribunal en rappelle l’article 2, qui dispose que le droit aux vacances est acquis aux travailleurs nonobstant toute convention contraire. Il est interdit aux travailleurs de faire abandon des vacances auxquelles ils ont droit.

Le droit belge doit par ailleurs respecter la norme européenne et le tribunal renvoie à la Directive n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003. Le travailleur doit bénéficier concrètement et réellement de périodes de repos et de loisirs minimales, l’employeur ne pouvant remplacer ces périodes par des compensations financières.

Renvoi est fait à l’arrêt rendu par la Cour de Justice le 6 novembre 2018 (C.J.U.E., 6 novembre 2018, Aff. n° C-684/16, MAX-PLANCK-GESELLSCHAFT ZUR FÖRDERUNG DER WISSENSCHAFTEN eV c/ SHIMIZU, EU:C:2018:874), arrêt qui donne la portée de cette règle, étant que le travailleur doit bénéficier d’un repos effectif, dans un souci de protection efficace de sa sécurité et de sa santé. Ceci ne signifie pas que, si le travailleur n’a pas pu prendre ses congés dans le délai de douze mois suivant l’exercice de vacances, il est forcément privé de toute compensation financière. Le même arrêt a rappelé que la privation d’une telle compensation ne peut intervenir que si le travailleur a effectivement eu la possibilité d’exercer ce droit au congé annuel. Et le tribunal d’ajouter que, si cette compensation financière n’est prévue ni dans les lois coordonnées du 28 juin 1971 ni dans l’arrêté royal du 30 mars 1967, les règles de droit commun de la responsabilité contractuelle doivent pouvoir s’appliquer dès lors que l’employeur a commis un manquement contractuel ayant causé un préjudice au travailleur.

Le tribunal recherche dès lors si une faute a été commise. Pour lui, l’employeur a l’obligation de respecter les obligations légales applicables en matière de temps de repos et il ne peut adopter une attitude purement passive, attendant que les travailleurs réclament le bénéfice des dispositions légales. Il rappelle encore que, dans l’arrêt ci-dessus, la Cour de Justice était interrogée sur une question relative à l’article 7 de la Directive n° 2003/88/CE et à l’article 31, § 2, de la Charte. Lui était demandé si ces dispositions s’opposaient à une réglementation nationale en vertu de laquelle, si le travailleur n’a pas demandé à exercer son droit au congé annuel, il perd ceux-ci à la fin de la période de référence même s’ils sont acquis, ainsi que, corrélativement, s’il peut percevoir une indemnité financière remplaçant ses congés annuels non pris en cas de fin de relation de travail.

Le tribunal reprend un large extrait de l’arrêt de la Cour de Justice, qui avait renvoyé à sa jurisprudence antérieure (et notamment à l’arrêt SCHULTZ-HOFF – C.J.U.E., 20 janvier 2009, Aff. n° C-350/06 et C-520/06, SCHULTZ-HOFF c/ DEUTSCHE RENTENVERSICHERUNG BUND – STRINGER e.a. c/ HER MAJESTY’S REVENUE AND CUSTOMS, EU:C:2009:18), rappelant que cette disposition de la directive ne s’oppose pas à ce qu’une réglementation nationale prévoie, dans les modalités d’exercice du droit au congé annuel, la perte de ce droit à la fin d’une période de référence ou d’une période de report, à condition toutefois que le travailleur dont le droit est perdu ait effectivement eu la possibilité d’exercer le droit que la directive lui confère. L’employeur doit cependant veiller à mettre le travailleur en mesure d’exercer un tel droit, le tribunal insistant sur un extrait de l’arrêt qui rappelle l’obligation de l’employeur, vu le caractère impératif du droit au congé annuel payé, et afin d’assurer l’effet utile de la directive, de veiller concrètement et en toute transparence à ce que le travailleur soit effectivement en mesure de prendre ses congés annuels et en l’incitant, au besoin formellement, à le faire (le tribunal souligne).

En l’espèce, il n’est pas contesté que l’employeur n’a pas informé l’intéressée de son droit à prendre ses congés supplémentaires alors que ceux-ci étaient prévus par la convention collective applicable. L’employeur ne peut se retrancher derrière la circonstance qu’il n’aurait pas été informé de l’existence de la convention collective et, dans la mesure où il fait appel à un secrétariat social, le tribunal relève qu’il pourrait sans doute se retourner contre celui-ci. Il n’est cependant pas à la cause et l’employeur doit dès lors assumer la réparation du préjudice subi par sa faute.

Intérêt de la décision

Ce jugement renvoie, pour le droit du travailleur en cas de non-prise de jours de congés supplémentaires obligatoires dans le secteur, à l’interprétation de l’article 7 de la Directive européenne n° 2003/88/CE.

Dans les divers arrêts repris, dont essentiellement l’arrêt MAX-PLANCK-GESELLSCHAFT, rendu le 6 novembre 2018, était en cause le sort du droit au congé annuel payé dans l’hypothèse où le travailleur n’avait pas demandé à pouvoir exercer celui-ci. Dans cet arrêt, il s’agissait d’un employé de l’Institut Max Planck engagé dans le cadre de plusieurs contrats à durée déterminée, et ce pendant une période de près de treize ans. L’employeur l’avait invité à prendre ses congés avant la fin de la relation de travail, mais sans l’y contraindre cependant. Le travailleur demanda paiement, quelques jours avant la fin du dernier contrat, d’une indemnité de l’ordre de 12.000 euros, correspondant à cinquante-et-un jours de congés annuels non pris pendant les deux dernières années. Un recours fut introduit aux fins d’obtenir la condamnation de l’Institut à ce paiement.

La Cour de Justice fut saisie sur la base de l’article 7 de la directive, qui dispose que les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales. Cette disposition prévoit en son alinéa 2 que la période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail.

Ceci ne signifie pas qu’il y a, en cas de non-prise de jours de congés supplémentaires en cours de contrat, perte de tout droit par rapport à ceux-ci. L’employeur a en effet comme obligation de veiller à mettre le travailleur en mesure d’exercer son droit au congé annuel payé et l’arrêt MAX-PLANCK-GESELLSCHAFT a souligné, à propos de cette obligation, que l’employeur est tenu d’inciter le travailleur, « au besoin formellement », à le faire, tout en l’informant de manière précise et en temps utile pour garantir que lesdits congés soient encore propres à assurer à l’intéressé le repos et la détente auxquels ils sont censés contribuer, de sorte que, s’il ne prend pas ceux-ci, ils seront perdus à la fin de la période de référence ou d’une période de report autorisée.


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